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A Noisy-le-Sec, l’islam dans des box de parking

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Des fidèles se pressent à l'intérieur de la mosquée de la cité du Londeau, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), le 30 janvier 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

Des centaines de musulmans de la cité du Londeau vont prier dans un endroit aménagé par des fidèles. Un projet de mosquée est en cours, mais faute de financement et d'accord entre les musulmans, il est au point mort.

Les immeubles pastel de la cité du Londeau s'effacent derrière les premiers flocons de neige de la saison. Sorti de terre à la lisière de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) à la fin des années 1960, le long d'un échangeur autoroutier et d'un centre commercial, cet îlot d'un millier de logements s'active le vendredi, à l'heure du déjeuner. Des centaines de fidèles musulmans se pressent pour assister au prêche avant de repartir au travail, à l'université, à la salle de sport ou chez eux. Pas de coupole ni d'arcades, encore moins de minaret à l'horizon : leur mosquée, ils l'ont construite eux-mêmes, dans des box de parking qu'ils louent.

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De l'extérieur, rien ou presque ne laisse supposer l'existence d'un tel lieu de prière. L'endroit est caché du reste du monde, au fond d'une des deux allées que circonscrivent les dizaines de box de parking à disposition des autres résidents du Londeau. Quelques cloisons ont été abattues pour former un premier espace de prière, aux murs peints en blanc et au sol recouvert de tapis individuels rouges et verts, tournés vers La Mecque. Un appentis aux murs minces, coiffé de tôle, y a été adjoint pour accueillir un plus grand nombre d'hommes. Là, les tapis se mêlent aux bâches en plastique qui réceptionnent l'eau dégoulinant du toit. Un troisième espace, plus petit et sec, n'est accessible qu'aux femmes. Deux entrées permettent d'y pénétrer, une depuis la deuxième salle, ouverte aux quatre vents, une autre depuis une porte dérobée donnant sur une autre allée. Pas de mélange, c'est la règle.

"OK, ça caille, mais je me sens bien"

Comment se fait-il que toutes ces personnes acceptent de prier ici, dans un tel inconfort ? Il existe pourtant une salle de prière à proximité, dans un pavillon décent, et des mosquées dignes de ce nom dans tout le département. "J'habite ici, pourquoi je devrais aller ailleurs ? s'étonne Aniss*, la trentaine, barbe proprette et survêtement sombre. Ok, ça caille, mais je me sens bien, je suis avec des gens que j'apprécie." "C'est vrai qu'on a comme l'impression d'être à la casse. Mais on se contente de se qu'on a. Mieux vaut un petit chez-soi qu'un grand chez les autres", acquiesce Tariq, en jean étroit et chaussures de ville.

Première des trois salles de prière de la mosquée du Londeau, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), le 30 janvier 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

Pour expliquer ces conditions difficiles, le président de l'association qui gère ce lieu, Mehdi Touil, évoque une mauvaise entente avec l'autre association musulmane de Noisy-le-Sec, dont il était membre. "Entre nous, ça coince. Leur ambiance, c'est comme une dictature, tout est clanique." Une guerre des chefs qu'il décide de fuir à 60 ans, préférant créer "un lieu ouvert, avec des gens sympas, des pères de famille", il y a quatre ans. Nombre d'entre eux, menuisiers, peintres ou électriciens de profession, participent à la retape des box. L'association compte désormais une cinquantaine de membres, qui paient 10 euros de cotisation par mois. Une broutille au regard des 800 euros de loyer mensuel, sans compter les frais d'électricité, de chauffage et d'entretien.

Deux cents fidèles sous la neige

Dès 12h30, les premiers fidèles prennent place dans les trois salles, à peine réchauffées par de vieux radiateurs au fioul. Autant dire qu'avec 1°C au thermomètre, on gèle. Le crachin chasse la neige, les tapis à l'entrée se gorgent d'eau, tout le monde a les chaussettes trempées. "Salam !" "Salam mon frère !" "Posez vos chaussures ici, il reste de la place !" On se salue, on se sourit, on fait silence. En une demi-heure, près de deux cents personnes se rassemblent. Avec une tenue quasi-identique : qamis ou djellaba sur des vêtements de ville, barbe plus ou moins longue (souvent sans la moustache), cheveux entretenus. Les femmes portent généralement le jilbeb, long voile qui laisse le visage à l'air libre. Les retardataires, qui continueront d'affluer après la fin du prêche, trouvent refuge dans des box isolés, non aménagés, eux. 

Un fidèle tente de réparer une fuite sur le toit de la mosquée du Londeau, à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), le 30 janvier 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

Il est 13 heures. Le jeune imam, reconnaissable à sa calotte en crochet écru, se faufile parmi les corps concentrés. Il s'agit en fait d'un remplaçant et non de l'imam habituel, celui-ci ayant "fait un break" quelques jours pour se reposer et "se concentrer sur ses études de médecine", selon Mehdi Touil. Le micro de l'orateur est niché dans un renfoncement de la première salle, ce qui le rend invisible aux trois quarts des fidèles présents. Sa voix amplifiée traverse néanmoins les murs par l'entremise de haut-parleurs installés un peu partout. Un chant d'introduction à un quart d'heure de prières s'élève au milieu des box et jusqu'au terrain de basket voisin. Administré sur un ton parfois hésitant, le message s'articule autour de "la nuit de l'hiver" que les non-croyants traversent avant de trouver la voie de Dieu.

"Vous voyez, c’est ça l’islam, la paix, la tolérance"

L'imam est en plein sermon quand soudain, un coup de klaxon rompt la solennité du moment, à une centaine de mètres. Puis un deuxième, et un autre encore, tenu une bonne vingtaine de secondes. Un des fidèles a garé son Opel Corsa pile à l'entrée d'une des résidences. Fermée à clé. La prière suit son cours, malgré les lamentations de l'automobiliste au bout de l'allée.

"Non mais il est malade !" La conductrice pianote sur son smartphone. "Oui bonjour, une voiture m'empêche de sortir de chez moi. Tout le parking est bloqué. La plaque d'immatriculation : douze quarante-huit..." "C'est tellement abusé, renchérit une autre dame aux joues fardées de rose, elle aussi bloquée. Ils pourraient aller prier ailleurs, ou au moins respecter les autres !" La police n'aura pas le temps de venir, puisque le fautif redémarrera son véhicule cinq minutes plus tard. Incident terminé, en même temps que la prière. "Pas le premier accroc du genre, ni le dernier", remarque un passant venu promener son chien sur les rares languettes de pelouse de la cité.

Les jours de beau temps, l'affluence dans cette salle de prière est telle que des tapis doivent être disposés à même le bitume au niveau de l'allée centrale, sur plusieurs dizaines de mètres. Et durant le mois de ramadan, les fidèles sont encore plus nombreux : jusqu'à 800 personnes, chaque jour. "Toujours dans le calme, le respect, avance Charles*. Vous voyez, c'est ça l'islam. La paix, la tolérance, l'espérance." Avec quelques places de parking en plus, ce serait tout de même mieux.

A la sortie de la prière de Dohr (la deuxième de la journée), Hakim a le sourire jusqu'aux oreilles. Fonctionnaire âgé d'une trentaine d'années, il se dit "ravi de retrouver les collègues ici entre midi et deux". S'il choisit cette salle plutôt qu'une autre, c'est aussi parce que "le prêche [lui] correspond. Ce n'est pas trop compliqué à comprendre, notamment parce que c'est en bilingue, arabe et français." Un avantage que saluent également les musulmans convertis, pas encore très à l'aise avec la langue de révélation du Coran.

Une centaine de fidèles prient dans la deuxième salle de la mosquée du Londeau, à Noisy-le-Sec, le 30 janvier 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

"Notre pays a trente ans de retard"

Au final, rares sont les fidèles du Londeau qui se plaignent de leur condition. Ce sont les anciens qui sont les plus remontés, à l'instar de Magid*, en longue djellaba blanche, dont le regard enfantin ne peut dissimuler une certaine amertume. Il reproche au pouvoir politique son inaction. "Le maire, et ceux avant lui, ils font comme le serpent, dit-il en lançant ses mains de droite et de gauche. Mais on est des citoyens français quand même ! On a droit à un lieu de culte, comme les juifs, les chrétiens, les bouddhistes." Mehdi Touil partage sa désolation. "Avant, on parlait de l'islam des caves. Aujourd'hui, on vit l'islam des rues. Notre pays a trente ans de retard ! Franchement, quand j'entends parler de 'l'islam de France', j'ai honte." Chez les jeunes, la résignation l'emporte. "Le maire n'en a rien à faire. Tant pis pour lui, on fait les choses entre nous", avance Moussa*, impeccablement coiffé à la Paul Pogba. Et son ami de tempérer : "Enfin, j'espère quand même que c'est provisoire..." 

Il faut bien reconnaître que la tâche du maire (UDI) de Noisy-le-Sec, Laurent Rivoire, n'est pas aisée. Loi de 1905 oblige, la ville ne peut faire construire elle-même un lieu pour réunir les fidèles. Il existe bien un projet de construction de mosquée, défendu par la seconde association, mais les fonds manquent toujours. Face à des associations musulmanes incapables de parler d'une même voix, la municipalité joue la montre. Contrairement aux religions chrétiennes, il n'existe pas de clergé dans l'islam, et les institutions telles que le Conseil français du culte musulman ou l'Union des organisations islamiques de France n'arrivent pas toujours à remplir leur rôle de médiateurs, sur le terrain.

Des box de parking abritent des fidèles venus prier à la cité du Londeau, à Noisy-le-Sec, le 30 janvier 2015. (ARIANE NICOLAS / FRANCETV INFO)

Quand bien même un tel projet aboutirait, il n'est pas dit que les musulmans se ruent dessus. Pour l'instant, l'urgence est ailleurs. Au printemps, les box changeront de propriétaire et seront sûrement détruits. Les fidèles devront trouver un autre lieu de prière. "On demande au maire de mettre à disposition un local de 400 m² environ, pour lequel on paierait un loyer", précise Mehdi Touil. En plus des cotisations, le président de l'association peut compter sur l'argent récolté lors des quêtes. La semaine dernière, 310 euros. Cette semaine, 550 euros. "On ne demande pas la charité à la République, soupire ce cuisinier-pâtissier à la retraite, arrivé en France à l'âge de 14 ans. On veut juste pratiquer notre religion dans le respect."

* Prénom modifié à la demande de l'intéressé.

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