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De la guérison inexpliquée au "signe de Dieu" : comment les enquêteurs de l'Eglise valident-ils les miracles de Lourdes ?

Article rédigé par Anne Brigaudeau, Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
Des cierges à l'entrée de la grotte de Massabielle, à Lourdes (Hautes-Pyrénées), le 4 novembre 2016. (REGIS DUVIGNAU / REUTERS)

L’Eglise catholique a reconnu une 70e guérison miraculeuse à Lourdes, le 11 février. Mais comment a-t-elle été certifiée ? Franceinfo a interrogé les principaux intéressés.

Un mélange hardi de science et de religion. L’Eglise catholique a reconnu, dimanche 11 février, un 70e miracle à Lourdes. Atteinte d’une maladie invalidante, Bernadette Moriau ne pouvait plus marcher depuis 1987. En 2008, cinq mois après un pèlerinage dans la ville des Pyrénées, cette religieuse franciscaine de 79 ans se rétablit totalement. Le miracle est officialisé dix ans plus tard par l’évêque de Beauvais, Jacques Benoit-Gonin. Mais comment se passe cette procédure ? Qui sont les enquêteurs ? Franceinfo retrace le parcours des certifications, qui ressemble à un chemin de croix.

"Une voix m'a dit 'enlève tes appareils'"

Au commencement du 70e miracle était un médecin, Christophe Fumery. Sans ce catholique convaincu qui accompagne, chaque année depuis quatre décennies, deux cents malades à Lourdes, rien ne serait arrivé. Médecin traitant de Bernadette Moriau depuis 2006, il encourage sa patiente à faire le pèlerinage dans la grotte de Massabielle, en février 2008, à l’occasion des 150 ans des apparitions.

Le 11 juillet de cette même année, alors qu'elle est de retour dans sa communauté du Sacré-Cœur de Jésus à Bresles, dans l’Oise, Bernadette Moriau éprouve "une sensation de chaleur et une détente" de tout son "être" au moment où elle "se trouve en adoration dans la chapelle". Peu après, elle reçoit un message mystique. "J'ai une voix qui m'a dit 'enlève tes appareils.'" Bernadette Moriau s’exécute et se met à marcher seule, raconte-t-elle à France 3 Hauts-de-France (vers 6 minutes).

La religieuse se précipite chez son médecin. Ce dernier expose à franceinfo sa surprise lors de l’examen.

Elle vient me voir deux à trois jours après sa guérison miraculeuse dans la chapelle. Elle s’accroupit, ce qu’elle n’arrivait pas à faire avant.

Christophe Fumery, médecin traitant de Bernadette Moriau

à franceinfo

"Elle s’était sevrée toute seule de sa morphine, sans effet secondaire. Cela m’a interpellé", souligne-t-il. Christophe Fumery conseille à sa patiente d'aller revoir ses spécialistes. Verdict : "Les confrères sont tout aussi surpris que moi de sa guérison." Il la convainc alors de transmettre son cas au sanctuaire de Lourdes, où il accompagne à nouveau le pèlerinage, en 2009, en compagnie de sœur Bernadette. "Après avoir récupéré toutes les pièces, j’ai fait une présentation Power Point à tous les médecins présents à Lourdes, se souvient-il. Ils décident d’étudier le dossier." 

Une quarantaine de guérisons signalées par an

Si Bernadette Moriau a été épaulée par son médecin traitant, une personne qui se pense miraculée peut aussi se déclarer seule. Débute alors un parcours du combattant. Les pièces médicales à conviction sont transmises au Bureau des constatations médicales de Lourdes. Cette instance unique au monde, qui existe depuis 1883, regroupe les médecins qui encadrent les pèlerinages à Lourdes, sous la responsabilité d’un médecin permanent, nommé par l’évêque de Tarbes.

Le docteur  Alessandro de Franciscis, président du Bureau des constatations médicales, pose devant ses locaux, à Lourdes (Hautes-Pyrénées). (LAURENT FERRIERE / HANS LUCAS / AFP)

"Il y a près d'une déclaration par semaine de malades se jugeant guéris de façon étonnante, soit une quarantaine par an", recense l’un de ces anciens médecins permanents, le docteur Patrick Theillier, prédécesseur de l’actuel titulaire du poste, Alessandro de Franciscis. "Sur cette quarantaine, une dizaine mérite d’être approfondie. On voit la personne, puis le médecin traitant, et on lui pose trois questions : est-ce que le patient était réellement malade et, si oui, quel était le diagnostic ? La guérison est-elle inattendue et complète ? Quelle explication peut-on donner à cette guérison ?" détaille-t-il.

"Dès le XVIIIe siècle, le cardinal Prospero Lambertini, futur Benoît XIV, avait établi sept critères constitutifs du miracle", rappelle l’historien Patrick Sbalchiero, auteur d'Apparitions à Lourdes, Bernadette Soubirous et les miracles de la Grotte" (Presses du Châtelet). L'Eglise catholique voulait que ces miracles ne soient pas contestés par des "courants de pensée très virulents, comme le rationalisme ou le scientisme", poursuit-il.

"On vérifie que ce n'est pas une illuminée"

Une fois les premiers critères vérifiés, poursuit Patrick Theillier, "le Bureau des constatations médicales réunit les documents médicaux attestant de la maladie réelle du ou de la patiente, puis de sa guérison. Si une majorité en ce sens se dégage lors d’une réunion avec tous les médecins présents à Lourdes, le dossier est transmis au Comité médical international de Lourdes [CMIL], qui se réunit chaque année en novembre. C’est l’institution habilitée à trancher définitivement sur le côté médical." Sur la quarantaine de dossiers qui arrivent tous les ans au Bureau des constatations, seuls quatre ou cinq parviennent au CMIL.

Cette instance est constituée d'une trentaine de spécialistes, "volontaires et choisis par cooptation. Ils examinent les cas les plus avancés", résume Patrick Theillier, qui a rejoint ce cénacle. Et ils recrutent régulièrement de nouveaux spécialistes, précise le pneumologue François-Bernard Michel, qui a présidé le CMIL de 2005 à 2016.

On veille à la diversité médicale des membres parce que les maladies [guéries] ne sont plus les mêmes. On n’a plus de tuberculose mais plutôt des arthroses multiples, des scléroses en plaques.

François-Bernard Michel, président du CMIL de 2005 à 2016

à franceinfo

Jean-Philippe Boulenger, psychiatre à la retraite, est membre de l'instance depuis huit ans. "J'ai été contacté car le comité cherchait quelqu'un avec une compétence en psychiatrie", raconte-t-il à franceinfo. Concrètement, le CMIL reprend le dossier présenté par le médecin permanent et nomme des experts. Dans le cas précis de Bernadette Moriau, deux rhumatologues et un neurologue ont été sollicités, sans compter l’expertise psychiatrique. "On s’est assuré que ça n’était pas dans sa tête (...) On vérifie que ce n’est pas une illuminée qui fait son numéro", synthétise crûment François-Bernard Michel. L'Eglise exclut d'ailleurs les pathologies mentales du champ des miracles.

L'Eglise "ne veut pas être prise en faute"

Chaque affaire est longuement décortiquée avant d’être confirmée comme inexplicable en "l'état actuel des connaissances de la science""Le CMIL prend son temps avant de trancher [deux ans minimum] avec des dossiers de plus en plus exigeants : on est passé des radios aux scanners et aux IRM", ajoute François-Bernard Michel. Alleluia ! En 2016, après moult expertises, le comité juge officiellement "inexpliquée" la guérison de sœur Bernadette. Un cas approuvé à l'unanimité moins une voix (les deux tiers sont requis).

Cette prudence du CMIL est saluée par des scientifiques non croyants. "Les médecins du comité ne veulent pas être pris en faute", reconnaît Jean Brissonnet, agrégé de physique, ancien vice-président de l'Association française pour l'information scientifique, et auteur du livre Les Pseudo-médecines : un serment d'hypocrites.

L’Eglise a une démarche sérieuse et agit en toute transparence.

Jean Brissonnet, de l'Association française pour l'information scientifique

à franceinfo

Les guérisons inexpliquées ne surviennent pas qu’à Lourdes, souligne cet "agnostique". En 1993, les auteurs du livre Spontaneous Remission. An Annotated Bibliography ont analysé de façon exhaustive tous les cas de guérisons spontanées recensés en milieu hospitalier dans le monde, entre 1864 et 1992. Ils ont relevé 1 574 cas sur une période de 128 ans. En excluant les guérisons de cancer (qui ne sont en général pas considérées par le CMIL), ils obtiennent ce chiffre : 1 guérison inexpliquée pour 333 333 malades. "Lourdes n’affiche pas des résultats plus impressionnants que ceux du milieu hospitalier", commente le sociologue Gérald Bronner dans la Revue des sciences sociales (PDF).

L'évêque a le dernier mot

Reste qu’une guérison inexpliquée à Lourdes n’est pas encore un miracle. C’est l’Eglise qui la reconnaît ou non comme tel. La décision revient à l’évêque dont dépend la localité où vit la personne guérie.

La seule tâche du CMIL est de vérifier s’il s’agit bien d’une guérison inexpliquée. Le miracle est une notion théologique, sur laquelle les médecins n’ont pas à se prononcer.

Patrick Sbalchiero, historien

à franceinfo

"Souvent, l'évêque relance une enquête d’ordre moral, et vérifie les bonnes mœurs du ou de la miraculée", développe Patrick Sbalchiero. "Il se prononcera sur la cause transcendante, l’action de Dieu. Si la personne n'a pas eu de révélation spirituelle, il freine des deux pieds", poursuit-il. Le miracle, aux yeux de l'Eglise, témoigne d'une guérison physique et intérieure.

Cela peut conduire l'Eglise à écarter des candidats qui n'ont pas le bon profil. Plusieurs personnes interrogées par franceinfo ont évoqué le cas d’une femme musulmane reconnue guérie de la maladie de Crohn, dont la procédure de reconnaissance de miracle n’est pas allée jusqu’au bout, bien qu’elle se soit convertie. Pour Patrick Theillier, il s’agissait d’abord de ne pas lui nuire, sa conversion n’étant pas forcément facile à assumer vis-à-vis de son entourage.

Des miracles de plus en plus rares

Certains évêques, en outre, sont réticents à parler de miracle. En 2011, l’Eglise a reconnu le caractère "remarquable" de la guérison du Français Serge François, sans utiliser la terminologie de "miracle". L’évêque d’Angers, Emmanuel Delmas, a préféré parler de "signe de Dieu". "De nos jours, le mot miracle est trop galvaudé et a perdu de sa valeur. Chacun l'utilise pour le moindre événement de la vie courante, sans en comprendre la signification", avait alors expliqué son porte-parole à La Vie.

Finalement, les reconnaissances de miracles sont de plus en plus rares. On en dénombre cinq entre 1990 et 2018, contre 25 entre 1946 et 1989. Un pic inédit de 20 annonces a été enregistré en 1908. Il correspond au cinquantenaire des apparitions mariales à Lourdes.

Les normes sont-elles devenues trop draconiennes ? "Peut-être, déplore le pneumologue François-Bernard Michel. Il ne faudrait pas décourager l’espérance des malades. On pourrait distinguer plusieurs catégories de guérison et faire un rapport annuel à la presse."

"L’Eglise veut vraiment qu’aucun élément à charge ne puisse être produit contre le miracle authentifié", constate Patrick Sbalchiero. Mais cette exigence peut être parfois dure à vivre, pour une Eglise catholique concurrencée par d'autres courants moins regardants sur la vérification. Le miracle survenu pour les 150 ans des apparitions, et proclamé dix ans après, pile le jour anniversaire, ne tombe pas si mal. Pour Patrick Sbalchiero, "ça peut raviver la flamme".

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