Pourquoi le burkini est un casse-tête pour le Parti socialiste
Le 17 août, Manuel Valls a déclaré, dans un entretien à "La Provence", qu'il soutenait les maires qui ont pris des arrêtés pour interdire le burkini sur les plages. Une annonce qui a provoqué des remous au sein du Parti socialiste.
Le burkini est révélateur de "l'idée que, par nature, les femmes seraient impudiques, impures, qu'elles devraient donc être totalement couvertes", explique Manuel Valls dans un entretien à La Provence le 17 août. Pour le Premier ministre, qui a apporté son soutien aux maires qui ont interdit le port de ce maillot de bain intégral, "face aux provocations, la République doit se défendre". Au sein de sa propre famille politique, la métaphore guerrière a suscité des réactions hostiles. Pour Pascal Terrasse, député PS de l'Ardèche, les propos de Manuel Valls "n'engagent que lui".
Plus qu'une simple guerre de chapelles, la question du burkini est révélatrice d'un clivage entre deux gauches qui cohabitent au sein du Parti socialiste. Alors que le tribunal administratif de Nice examine, vendredi 19 août, la validité de l'un des arrêtés municipaux controversés, le PS, tiraillé entre féminisme, laïcité et lutte contre l'islamophobie, le tout dans un contexte marqué par la menace jihadiste, peine à se mettre d'accord. D'un côté, en figures de proue des représentants d'une stricte laïcité (ou d'une laïcité "restrictive", selon leurs opposants), Manuel Valls, mais également la philosophe Elisabeth Badinter ou encore le député des Hautes-Pyrénées Jean Glavany. De l'autre, des membres du PS revendiquant une conception plus libérale, à l'instar de Benoît Hamon et Pascal Terrasse. Ou encore l'actuel ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, qui n'est pas membre du PS.
Pourquoi le sujet est-il si délicat pour le parti au gouvernement ?
Parce qu'il y a un clivage historique à gauche sur la laïcité
"C'était déjà compliqué au sein de la SFIO, (l'ancêtre du Parti socialiste), il y a un siècle, quand la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat a été conçue", raconte Jean Garrigues, professeur d'histoire à l'université d'Orléans. "On avait d'un côté Jean Jaurès, partisan d'une laïcité ouverte, et de l'autre Georges Clemenceau, gêné par l'aspect ouvert de cette loi [qui établit la neutralité de l'Etat, mais garantit la liberté de culte individuelle]." Mais la SFIO, devenue le Parti socialiste en 1971, s'accommode de ces différentes conceptions. Il faut attendre les années 1980 pour que le consensus éclate.
En 1984, la bataille autour de la loi Savary, qui visait à "absorber" les écoles privées (presque toutes catholiques) au sein de l'Education nationale fait ressurgir des tensions : une partie de la gauche laïque exprime un "sentiment de trahison" après son abandon. Mais c'est véritablement la question de l'islam qui va cristalliser ces tensions internes au parti. En octobre 1989, dans un collège de Creil (Oise), deux élèves musulmanes sont exclues parce qu'elles refusent d'enlever leur foulard en classe.
L'histoire devient une affaire et, au Parti socialiste, les positions se durcissent entre les différents courants, avec d'un côté, "les Chevènementistes qui représentaient une gauche laïque classique, très liée à des positions traditionnelles, et de l'autre, ce qu'on appelait la deuxième gauche, comme les Rocardiens, pour qui la liberté de l'individu prime", explique à francetv info Laurent Bouvet, politologue. Mais à l'époque, "Lionel Jospin, alors ministre de l'Education, refuse de trancher. La doctrine de l'époque, c'était le 'cas par cas', et "on laisse le proviseur régler ça." Et les dissensions persistent au sein du PS.
On est en présence de deux gauches, résume Brice Teinturier, politologue et directeur général délégué de l'institut de sondage Ipsos. "L'une, profondément en faveur d'un multiculturalisme, qui considère que la religion fait partie des droits individuels". Et "l'autre, dans un renforcement des questions de laïcité."
Parce qu'il y a une opposition entre deux féminismes
"Ce qui est en cause, c'est l'émancipation des femmes", déclare Laurence Rossignol au micro d'Europe 1 le 15 août. Pour la ministre de la Famille, cette tenue de bain qui couvre tout le corps (hormis le visage) n'est "pas juste une nouvelle gamme de maillots de bain", mais "un projet de société" qui vise à "cacher le corps des femmes, pour cacher les femmes". En 1989 déjà, à la suite de "l'affaire de Creil", la philosophe féministe Elisabeth Badinter publiait une tribune dans Le Nouvel Observateur avec d'autres intellectuels, dénonçant le foulard islamique comme "symbole de la soumission féminine."
Là aussi, deux camps s'affrontent. Car une autre partie de la gauche conteste cette association d'idées entre voile, burkini et domination masculine. Pour celle-ci, la liberté individuelle, et en particulier celle de la femme, prime. En avril 2016, en réaction aux propos de Laurence Rossignol qui dénonçait la mode islamiste (dont le burkini), Esther Benbassa, sénatrice d'Europe Ecologie-Les Verts, réplique dans le quotidien Libération : "Si des marques créent des collections 'pudiques' pour des femmes qui, par revendication identitaire ou conviction religieuse, y trouveront leur compte, où est le mal ?"
La loi de 1905 n’interdit à personne de se conformer aux codes vestimentaires que sa confession ou sa fantaisie lui recommandent. Rien en tout cela n’est contraire à notre législation.
Parce que le contexte électoral pèse dans la balance
Thierry Migoule, directeur général des services de la ville de Cannes, expliquait ainsi l'interdiction du burkini au motif que "ces tenues ostentatoires (...) font référence à une allégeance à des mouvements terroristes qui nous font la guerre". Alors que les arrêtés anti-burkini ont été principalement pris par des maires de droite (hormis à Sisco), malgré le clivage politique, Manuel Valls leur apporte son soutien. Car le contexte terroriste islamiste renforce la position de la gauche partisane d'une laïcité stricte. "Bien sûr, il y a l’économie et le chômage, mais l’essentiel, c’est la bataille culturelle et identitaire", affirmait ainsi le Premier ministre lors d'un colloque sur l'islamisme. En clair : "Toute une partie de la gauche refuse de laisser le monopole de la laïcité à la droite et à l'extrême droite", explique Brice Teinturier.
"Mais ce durcissement des positions ne date pas des attentats, il a véritablement démarré il y a une dizaine d'années, autour des inquiétudes liées à l'immigration dans la communauté nationale", nuance le directeur général délégué de l'institut de sondage Ipsos. Au début des années 2000, la droite s'empare ainsi de la laïcité (qui est historiquement une valeur de gauche) pour l'utiliser politiquement "comme levier de protection face à la menace identitaire". En 2004, l'UMP est à l'origine de la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques, qui restreint le port de signes religieux, quinze ans après l'affaire de Creil, qui avait divisé le PS.
Ce qui vient brouiller les cartes actuellement, c'est que l'on a une convergence entre un discours du FN, qui utilise la laïcité pour les questions d'immigration, une gauche divisée sur la question, et une droite qui ne veut pas être isolée. Il y a une bataille pour montrer qui est le plus ardent défenseur de la laïcité.
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