: Info franceinfo Pédophilie : 400 témoignages recueillis par une association d'aide aux victimes
En neuf mois seulement, 400 personnes se disant victimes de pédophilie ont contacté l’association La Parole libérée, basée à Lyon. 90% disent avoir été agressés par des prêtres.
L'association La Parole Libérée, basée à Lyon, a recueilli, depuis le mois de novembre 2015, 400 témoignages de personnes disant avoir été victimes d'actes pédophiles, dont 90% du fait de prêtres, selon les informations de franceinfo révélées vendredi 30 septembre. Ces témoignages ont été recueillis entre le mois de novembre 2015 et le mois de septembre 2016 par La Parole libérée, une association créée par trois anciennes victimes d’un prêtre soupçonné de pédophilie. Si tous ces témoignages n'ont pas fait l'objet d'une enquête, ce chiffre est impressionnant.
Des victimes qui se révèlent tardivement
Parmi ces personnes qui disent avoir été victimes de prêtres, certaines parlent pour la première fois, et parfois très longtemps après les agressions qu’elles affirment avoir subies. C’est le cas d’un nonagénaire, qui n’avait jamais rien dit à sa famille, comme l’explique le co-fondateur de la Parole libérée à Lyon, François Devaux : "Un monsieur qui nous a écrit a 93 ans. Il nous explique qu’il a été victime d’agressions sexuelles dans son enfance et que ça l’a hanté toute sa vie, que sa femme est décédée et qu’elle ne l’a jamais su. Il nous écrit avec une main très tremblotante, c’est très émouvant. Toutes ces victimes se révèlent très tardivement, c’est pour ça que les affaires ressortent et que ces victimes ont la nécessité de verbaliser, de dénoncer, en disant : 'ce traumatisme que j’ai vécu, je ne veux pas que d’autres enfants le vivent '."
La parole se libère donc après des décennies de silence. Jusqu’à récemment, la priorité de l'église était de veiller à ne pas faire de scandale. Pour y parvenir, il y avait un moyen très simple, que monseigneur Guyard, ancien vicaire général du diocèse de Paris, explique sans détour : "A l’époque, quand un prêtre avait des difficultés de quelque ordre que ce soit, quand ça risquait de porter atteinte à la vie du diocèse, un évêque le proposait dans un autre diocèse où le prêtre n’était pas connu, pour essayer d’étouffer les affaires et lui permettre de continuer à vivre tranquillement. "
Le regard que portait l’église sur la pédophilie a également été un facteur déterminant, que monseigneur Guyard explique : "Pour être un peu vulgaire, c’était des histoires de touche-pipi… comme les gamins le font quand ils ont 12 ans entre eux. On mettait ça à ce niveau-là. La prise en compte du traumatisme pour les victimes a été très tardive."
A l’époque, la pédophilie n’était pas considérée comme quelque chose de dramatique
Un sujet longtemps tabou
Longtemps, l'église n'a pas été la seule à penser ainsi : l'Education Nationale, certaines familles, et même certains policiers et gendarmes, considéraient qu'un inceste ou une affaire de pédophilie n'étaient pas des affaires prioritaires. Cela avait d'ailleurs surpris Alain Blanc, un ancien juge pour enfants et ancien président de cour d'assises :"J’en avais parlé à un responsable de la gendarmerie qui m’avait indiqué que des affaires d’inceste, ils en connaissaient beaucoup, et ils en sortaient quand il n’y avait pas assez d’affaires. Il y avait un vivier dans lequel on savait qu’il y avait quelque chose mais on n’allait pas y mettre son nez. Aujourd’hui ça ne serait plus concevable, aujourd’hui, sur ce type de dossiers, il n'y a pas de condamnation à moins de 10 ans."
Malgré cette prise de conscience générale, une partie des croyants a pourtant toujours du mal à regarder les faits en face, et c’est ce qu’a pu constater Isabelle de Gaulmyn, la rédactrice en chef du journal La Croix, qui vient de publier L'histoire d'un silence (Seuil) sur l'affaire Preynat, un prêtre soupçonné de pédophilie. "Beaucoup de gens me reprochent de remuer la boue, le passé, ils disent qu’ils ne veulent plus en entendre parler. Ils ont raison, mais pour les victimes, ce n’est pas du passé, c’est présent. Un certain nombre de victimes de prêtre vivent avec ça tous les jours. Il y en a qui sont vraiment bousillées. C’est vrai que c’est prescrit par la justice mais ce n’est pas prescrit pour les victimes. Ça fait partie de notre mémoire collective et c’est pour ça qu’il faut que les gens qui veulent parler parlent aujourd’hui. Je pense que ça leur fait du bien."
Cette prise de conscience de l’Eglise s’est amorcée avec Benoît XVI et se prolonge avec le pape François. En France, cet été, l'épiscopat a mis en place une cellule d’écoute dans chaque diocèse et cette adresse mail pour les victimes : paroledevictimes@cef.fr. Créée en avril 2016, cette boîte mail a déjà recueilli 80 témoignages.
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