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RECIT. Comment l'affaire Preynat, un prêtre accusé de pédophilie, a conduit le cardinal Barbarin devant la justice

Benoît Zagdoun le samedi 5 janvier 2019

Photos non datées du père Bernard Preynat collectées par "Complément d'enquête" de France 2 en avril 2016. ("COMPLEMENT D'ENQUETE" / FRANCE 2 / BAPTISTE BOYER / FRANCEINFO)

Cet article a été publié pour la première fois le 5 janvier 2019, avant le procès en première instance du cardinal Barbarin. 

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Son cas est devenu emblématique du scandale de pédocriminalité qui a éclaté au sein de l'Eglise catholique de France. Bernard Preynat, prêtre lyonnais âgé aujourd'hui de 74 ans, doit être jugé du 13 au 17 janvier 2020 devant le tribunal correctionnel pour les agressions sexuelles dont l'accusent de jeunes scouts de sa paroisse dans les années 1980-1990. Mais il a fallu la persévérance de ses victimes déclarées, rassemblées au sein de l'association La Parole libérée, pour que le diocèse de Lyon sévisse, alors que les faits reprochés à cet homme étaient connus depuis longtemps de sa hiérarchie. L'affaire a déjà conduit le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon depuis 2002, devant la justice. Condamné en première instance à six mois de prison avec sursis, Philippe Barbarin est jugé en appel à partir du jeudi 28 novembre, pour n'avoir pas dénoncé les faits dont il avait été informé. 

Voici l'histoire du long combat des victimes pour la vérité.

"Tu es mon grand garçon, c'est notre secret"

Photo non datée du père Bernard Preynat avec des scouts du groupe Saint-Luc, diffusée par "Complément d'enquête" de France 2 en avril 2016. ("COMPLEMENT D'ENQUETE" / FRANCE 2 / BAPTISTE BOYER / FRANCEINFO)

Le "père Bernard" : c’est ainsi que l’appellent affectueusement les paroissiens de l’église Saint-Luc de Sainte-Foy-lès-Lyon, commune huppée de la banlieue lyonnaise, où il officie de 1971 à 1991. Les ouailles chantent les louanges de ce prêtre brillant et dynamique qui encadre les centaines de jeunes scouts de la paroisse. Les activités les samedis et dimanches après-midi, les camps pendant les vacances de printemps et d’été en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Grèce, en Corse… Les badges de bon campeur et de bon cuisinier, que les fières mamans cousent sur les pull-overs de leurs louveteaux… Bernard Preynat fait des miracles à la tête du groupe Saint-Luc qu’il dirige depuis son ordination à l’âge de 26 ans. Le dimanche après la messe, on s’enorgueillit dans ces bonnes familles de l’inviter à déjeuner. Le vicaire est pour beaucoup un ami de la famille. "Un homme charismatique", "admiré par tous", "un gourou à qui tout le monde obéissait", comme le décrivent ses victimes déclarées.

Mais dans l’ombre des salles paroissiales, à l’écart dans son bureau, au fond d’un car ou la nuit sous les tentes des camps scouts, ses "chouchous" d’une dizaine d’années à l'époque disent aujourd'hui avoir découvert un tout autre homme. Plus de trente voire quarante ans après les agressions sexuelles et les viols qu’ils décrivent, ces jeunes garçons sont devenus des hommes, pères de famille et toujours catholiques pratiquants pour la plupart. Sur le site de l’association de victimes La Parole libérée, une vingtaine d’entre eux sortent de leur long silence et livrent des témoignages accablants. Ils racontent avoir refoulé pendant des décennies leurs souvenirs traumatisants, mais affirment n'avoir rien oublié de leurs souffrances : ni "son odeur de cigare froid", la "douceur" de ses paroles, "sa respiration qui devenait de plus en plus forte", ni leur "malaise", leur "tétanie", leur "honte" et enfin leur "déni".

"Il ferme la porte. Il me prend dans ses bras. Il passe sa main dans mon short bleu marine, je ne bouge pas. Il me serre fort, très fort. Il m’embrasse dans le cou, se frotte contre ma jambe", se remémore Alexandre. "J’entends encore son souffle et ses mots réconfortants. Il dit qu’il m’aime. Il respire fort, plus fort et puis plus rien. Je sais que cela va s’arrêter. Cela dure… un certain temps, quelques minutes. Il me dit que c’est notre secret."

"A chaque fois ses gestes étaient de plus en plus oppressants, raconte une autre victime, Cyril, sur le site de La Parole libérée. Il m’embrassait sur la bouche et je sentais le contact de sa langue, il me caressait le bas du dos, l’intérieur des cuisses."

Une de ses mains progressait à l’intérieur de mon short pour en arriver entre mes jambes et à me toucher le sexe, pendant que son autre main me faisait toucher son sexe de la même manière.

Cyril, victime déclarée du père Preynat, à La Parole libérée

"Il m'a entraîné vers sa tente, qu'il a fermée, il m'a serré contre lui, relate Christian. Je tentais de me dégager mais il me serrait plus fort et il a commencé à me caresser, j'étais complètement tétanisé. Je me demandais ce qui m'arrivait. Puis ces caresses sont devenues plus insistantes, il me prenait les mains pour que je le caresse, il m'a allongé par terre dans sa tente, a baissé mon pyjama et a caressé mon pénis. J'avais peur, j'étais glacé, je ne pouvais plus bouger, il s'est serré contre moi en me disant : 'Tu es mon grand garçon, c'est notre secret, il ne faut pas en parler'. Puis il a enlevé son pantalon et m'a forcé à le caresser en me disant que j'étais son garçon, il a continué ses caresses sur moi, je sentais sa respiration qui s'emballait, il fallait que je fasse de même pour lui jusqu'à ce qu'il atteigne son plaisir." Selon Paul, qui se confie à France 2, les attouchements ont duré neuf ans. Son frère aussi dit avoir été une victime du père Preynat.

Au sein de la troupe, les scouts se taisent. "Le mutisme s’installait entre copains, mon pote Régis ou Jérôme ne me disaient rien, quand on sortait de sa tente, c’était comme ça et idem pour moi", confie Eric. Ils tentent d’échapper au prêtre. "En quatre ans de scoutisme de 1978 à 1982, mon seul souci a été d’éviter 'le père Bernard' en plus d’avoir de bonnes notes à l’école", écrit Eric. Les garçons n’osent pas non plus en parler à leurs familles. "Nos parents le trouvaient génial, chez moi mes sanglots auprès de mon père pour ne pas y aller ont été pris pour des caprices", poursuit Eric. Les scouts grandissent. Le père Preynat en marie certains, baptise leurs enfants, raconte "Complément d’enquête", le magazine de France 2. Aujourd'hui, ils s’interrogent : comment se fait-il que les autres adultes n’aient rien vu, rien su ?

"Ben alors, tu as recommencé ?"

Photo non datée de Bernard Preynat, diffusée dans "Complément d'enquête" en avril 2016. ("COMPLEMENT D'ENQUETE" / FRANCE 2 / BAPTISTE BOYER / FRANCEINFO)

Les agissements présumés du père Preynat sont pourtant connus de certains parents et même du curé responsable de la paroisse, le père Jean Plaquet, alerté par des familles dès 1978, selon Le Monde et le livre-enquête Eglise : la mécanique du silence (de Daphné Gastaldi, Mathieu Martiniere et Mathieu Périsse, éditions JC Lattès). Après "des caresses pendant un camp en Allemagne", se souvient Bernard Preynat lors de son audition, son supérieur le convoque et lui dit "de ne pas recommencer".

Deux ans plus tard, en 1980, les pères Preynat et Plaquet sont de nouveau mis face à leurs responsabilités. Bertrand Virieux, futur fondateur de La Parole libérée, dit avoir subi des attouchements. "J'en ai parlé à ma mère, qui a eu une discussion avec Bernard Preynat, chez nous, où il se serait excusé, et son supérieur hiérarchique immédiat dans la paroisse [Jean Plaquet] en a été avisé, raconte Bertrand Virieux. J'ai néanmoins dû continuer à lui servir d'enfant de chœur et assister à ses sermons pendant des années et passer encore deux ans aux scouts mais il m'avait, depuis ses excuses, totalement épargné."

En 1982, le comportement reproché au père Preynat revient à nouveau aux oreilles de sa hiérarchie. "J’avais été convoqué par le prêtre qui gérait ce genre de situations. Je reconnaissais les faits, (…) j’essayais de prendre la résolution, ça durait quelques mois et malheureusement je retombais, confessera-t-il aux enquêteurs. On m’avait expliqué le mal que ça pouvait faire aux enfants, mais il n’y avait pas d’autres décisions." Bernard Preynat reste en place, à la tête du groupe de scouts.

Le diocèse ne va agir que neuf ans plus tard, sous la pression des parents. En mai 1990, François Devaux, futur fondateur de La Parole libérée lui aussi, rentre des scouts et lance : "Je crois que le père, il m’aime bien, il m’a même embrassé sur la bouche." Les parents du louveteau demandent des comptes au père Preynat et à ses supérieurs. Une rencontre est organisée. Auditionné par les enquêteurs, le père de François Devaux se souvient des paroles de Jean Plaquet à Bernard Preynat : "Ben alors, tu as recommencé ?" "Tu sais que si tu étais dans le civil, tu pourrais te retrouver en prison."

D’échanges de courriers en entrevues, l’affaire traîne, relate le livre très documenté Grâce à Dieu, c’est prescrit : l’affaire Barbarin (Robert Laffont). Le père Preynat poursuit ses activités à la paroisse. Pour les parents, c’en est trop. En février 1991, les Devaux écrivent au cardinal Decourtray, alors archevêque du diocèse de Lyon. Ils exigent le départ immédiat du père Preynat. Et finissent par obtenir satisfaction. Le vicaire est envoyé chez les Petites Sœurs des Pauvres de la Part-Dieu, à Lyon. "J’ai aimé très fort mes scouts", "j’en ai aussi aimé trop", explique-t-il à ses paroissiens lors de son départ. Certains veulent croire leur prêtre victime d’une cabale.

Comment pourrais-je quitter la paroisse du jour au lendemain comme un voleur après vingt ans de présence où je n'ai tout de même pas fait que du mal ?

Bernard Preynat, dans une lettre aux parents d’une de ses victimes déclarées

Le prêtre en disgrâce écrit aux parents de François Devaux et avoue ses actes dans une lettre divulguée par La Parole libérée. "Je n'ai jamais nié les faits qui me sont reprochés. Ils sont pour moi aussi une blessure dans mon cœur de prêtre", assure-t-il. Il s’offusque surtout du sort qui lui est réservé : "En me voyant partir ainsi, que vont penser les gens du quartier, ma famille, mes amis ? Ils ne tarderont pas à connaître la raison, la rumeur va se répandre partout et comment pourrais-je alors retrouver un ministère : je serai complètement coulé !"

"Bernard, le passé, c’est le passé"

Photo non datée de Bernard Preynat célébrant une messe. ("COMPLEMENT D'ENQUETE" / FRANCE 2 / BAPTISTE BOYER / FRANCEINFO)

Le séjour de Bernard Preynat chez les Petites Sœurs des Pauvres dure six mois. Le prêtre est ensuite envoyé à Neulise, un village de la Loire, à une heure de route de son ancienne paroisse. Au cours de son audition, il se souvient des ultimes consignes du cardinal Decourtray : "Bernard, le passé, c’est le passé. Il faut avoir une nouvelle vie, on compte sur vous." A Neulise, l'ecclésiastique reçoit un visiteur régulier : le père Alberti, le "spécialiste" dépêché par le diocèse dans ce genre d’affaires.

L’archevêché garde un œil sur son prêtre. L’archidiacre du Roannais, le père Gabriel Rouillet, qui supervise la quarantaine de prêtres du secteur, est chargé de sa surveillance. "Mon cher Bernard, depuis quelque temps tu prends de plus en plus régulièrement des troupes d’enfants à Neulise, d’autre part, tu as des projets de voyages d’enfants de chœur à Rome (…)", lui écrit-il en 1992, selon le livre Eglise : la mécanique du silence. "Je me dois de te rappeler fermement que le diocèse exige que tu ne t’occupes pas de groupes d’enfants, garçons, de 8 à 12 ans." La réponse écrite du père Preynat ne se fait pas attendre : "J’ai eu un comportement exemplaire, alors pourquoi ce durcissement ? C’est la première fois que j’entends et lis les termes 'interdiction formelle'."

En 1999, le père Preynat est promu et muté à une trentaine de kilomètres au nord de Neulise. Le cardinal Billé, arrivé à la tête du diocèse un an plus tôt, lui confie la mission de chapeauter une quinzaine de paroisses. A Cours-la-Ville, Preynat exerce son ministère : il s’occupe du catéchisme, célèbre les messes avec des enfants de chœur… Le prêtre peut certes se montrer rude et strict sur la morale, il boit peut-être parfois un peu trop, mais ses paroissiens le trouvent brillant et vantent ses belles homélies. Certains connaissent même les accusations portées contre lui auparavant, mais veulent croire à une rumeur et ne l’ébruitent pas.

Quand je suis arrivé à Lyon, je ne savais rien. Quand j’ai appris les faits, nous ne disposions alors d’aucune plainte.

Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, à "La Croix"

En 2011, le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon depuis neuf ans, offre une nouvelle promotion à Bernard Preynat en lui conférant la charge de la paroisse du Coteau, une ville un peu plus importante aux portes de Roanne. Le prêtre y célèbre les communions, fait le catéchisme à l'école catholique Saint-Marc voisine et crée le patronage Claire Jeunesse, un centre aéré confessionnel.

Le prélat est pourtant depuis longtemps déjà au courant du cas Preynat. Dans un entretien donné à La Croix en 2016, il révèle avoir été informé de ses "comportements" "vers 2007-2008" par "une personne qui avait grandi à Sainte-Foy-lès-Lyon". Et l’archevêque de se défendre : "J’ai alors pris rendez-vous avec [Bernard Preynat] pour lui demander si, depuis 1991, il s’était passé la moindre chose. Lui m’a alors assuré : 'Absolument rien, j’ai été complètement ébouillanté par cette affaire.' Certains me reprochent de l’avoir cru… Oui, je l’ai cru : il n’était pas dans le déni, au contraire, il avait reconnu tout, et tout de suite, dès 1991."

Celle qui a alerté le cardinal n’est autre qu’Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef adjointe à La Croix et ancienne scoute du groupe Saint-Luc. Celle-ci assure que Philippe Barbarin était en réalité au courant depuis plusieurs années. "En 2004, alors que j’étais en visite chez mes parents, un vieux prêtre de Sainte-Foy-lès-Lyon, le père Alain Boy, qui est décédé depuis, me dit qu’il y a un 'gros dossier' de pédophilie autour de Bernard Preynat et me fait état de nombreuses rumeurs. J’en ai parlé ensuite au cardinal Barbarin", rapporte-t-elle à L’Obs. "J’étais simplement convaincue, depuis, que Preynat croupissait quelque part en prison." Il n’en était rien.

"Toi aussi, le père Bernard t'a tripoté ?"

Photo non datée du père Bernard Preynat diffusée par "Complément d'enquête" en avril 2016. ("COMPLEMENT D'ENQUETE" / FRANCE 2 / BAPTISTE BOYER / FRANCEINFO)

En 2013, Bernard Preynat est fait doyen par le cardinal Barbarin. Cette même année, Alexandre Dussot, futur cofondateur de La Parole libérée, découvre au cours d’une discussion entre amis que l'homme qu’il croyait mort officie toujours dans le diocèse. Quelques mois plus tard, en 2014, il croise un ancien scout du groupe Saint-Luc, Axel. Ils évoquent leurs souvenirs quand Axel lâche : "Toi aussi, le père Bernard t'a tripoté ?" Plus qu’une question, c’est une révélation pour Alexandre. Il comprend qu’il n’a pas été le seul scout agressé. Sous le choc, il décide d’agir. Il redoute que le prêtre "sévisse encore".

En juillet 2014, Alexandre Dussot écrit un long mail au cardinal Barbarin, "avec [son] témoignage assez détaillé (...) pour lui expliquer ce qu’il en est quant à ce prêtre et que ça peut être un danger pour les enfants". C’est un "terrible témoignage", lui écrit l’archevêque en retour. Alexandre ignore que le cardinal est déjà au courant depuis de nombreuses années du cas Preynat.

Le cardinal Barbarin suggère à Alexandre de se mettre en relation avec l'une de ses proches : Régine Maire. Cette psychologue, fervente catholique et membre du conseil épiscopal, est chargée de l’écoute des victimes. Elle propose au jeune homme une rencontre "de guérison et de pardon" avec Bernard Preynat. Alexandre accepte. Il a confiance en l’Eglise.

La rencontre a lieu en octobre 2014. "[Bernard Preynat] m’a dit que c’était 'une ombre dans sa vie', se souvient-il. C’est une révélation pour moi parce que je lui expose ce qu’il m'a fait. Il dit : 'Oui, oui, bien sûr, ça s’est passé'. Et je comprends dans ce qu'il dit que je n’étais pas un cas isolé et qu’il a agressé sexuellement pendant quinze à vingt ans des enfants. Il le reconnaît devant moi et Régine Maire écoute sans rien dire." L’entrevue se conclut par une prière.

On se tient par la main avec Preynat, on récite un 'Je vous salue Marie', c’est un moment horrible.

Alexandre Dussot, victime déclarée de Bernard Preynat, dans le livre "Eglise : la mécanique du silence"

Deux jours plus tard, la "médiatrice" du diocèse lui écrit : "J’espère que cette rencontre a eu pour vous un goût de paix et de guérison d’un passé douloureux qui laissera toujours une cicatrice, certes, mais qui avec la grâce se ferme si… nous ne la grattons pas trop." Alexandre est donc prié de ne pas remuer le passé.

"J’ai reçu une lettre de Rome”

Photo non datée du père Bernard Preynat diffusée par "Complément d'enquête" en avril 2016. ("COMPLEMENT D'ENQUETE" / FRANCE 2 / BAPTISTE BOYER / FRANCEINFO)

Les mois passent et l’inaction du diocèse de Lyon devient flagrante aux yeux d’Alexandre. Catholique fervent, déçu et en colère, il écrit au pape en avril 2015. Puis au procureur de Lyon, en juin. Quelques semaines plus tard, il apprend que le père Preynat va être nommé au Sedif, le service diocésain de formation. Pas vraiment une sanction.

En juillet, le cardinal Barbarin lui laisse un message sur son répondeur. Manifestement, sa lettre au Vatican a eu l’effet escompté. "J’ai reçu une lettre de Rome (…) me demandant de reprendre contact avec vous et de vous faire savoir exactement ce que j’avais fait à propos du père Preynat. Donc, je vous le dis, comme ça, voilà : j’ai interdit au père Bernard Preynat tout exercice du ministère pastoral et toute activité comportant des contacts avec des mineurs. Voilà", lui déclare le prélat. Il a fallu un an – et des pressions pontificales – pour que le diocèse de Lyon sanctionne enfin son prêtre.

Fin août, Bernard Preynat célèbre sa dernière messe. Il offre une statuette de la Vierge aux enfants, reçoit une assiette souvenir de la part du maire et quitte sa paroisse après un verre de l’amitié devant l'église. En janvier 2016, les membres de l’association La Parole libérée, tout juste créée, font éclater l’affaire au grand jour. Après des décennies de non-dits, ils brisent le silence. Des familles découvrent leur secret, et se sentent trahies par un prêtre en qui elles avaient une confiance aveugle.

Dans le même temps, Bernard Preynat est placé en garde à vue. Devant les enquêteurs, il reconnaît son attirance pour les jeunes garçons, née à l’adolescence, alors qu’il était moniteur de colonies de vacances. Il assure ne pas l'avoir cachée à ses confesseurs du séminaire. Il a même suivi à l'époque une psychothérapie sur les conseils de ses formateurs. "J’ai mal vécu le fait d’aller au Vinatier", le grand hôpital psychiatrique de l'Est lyonnais, dit-il.

L’Eglise savait déjà, selon lui. Mais elle a laissé à ce jeune prêtre, attiré par les petits garçons, la charge d’un groupe de scouts, dès son ordination en 1971. Après ses aveux, Bernard Preynat est mis en examen en 2016 pour "agressions sexuelles sur mineurs de 15 ans par personne ayant autorité" pour des faits commis entre 1986 et 1991 sur quatre anciens scouts, et placé sous le statut de témoin assisté pour trois viols présumés.

Depuis 1991, il ne s’est rien passé. Absolument aucune agression à me reprocher depuis 1991. D’aucune sorte.

Bernard Preynat à "Complément d’enquête"

En attendant d’être jugé devant une cour d’assises, Bernard Preynat est sous le coup d’un procès canonique, une procédure interne à l'Eglise, débutée en février 2016 et qui a repris en octobre 2018. Le prêtre est toujours interdit d'exercice de son ministère en public comme en privé : il ne peut ni dire la messe, ni confesser. Outre le paiement d'éventuels dédommagements aux victimes, il encourt le maintien de cette sanction, voire le renvoi de l'état clérical, c’est-à-dire l'interdiction de tout exercice de manière définitive. A 72 ans, Bernard Preynat "a pas mal de soucis de santé", d'après Yves Baumgarten, vicaire général du diocèse de Lyon, interrogé par La Croix. Il vit à Lyon sous contrôle judiciaire.

La Parole libérée, sans qui le prêtre n’aurait jamais été inquiété, recense à ce jour plus de 70 victimes déclarées. L'association a livré bataille en justice pour que le cardinal Barbarin soit condamné, le 7 mars, pour non-dénonciation (il sera jugé en appel à partir du 28 novembre). Car trois prélats se sont succédé à la tête du diocèse de Lyon. Selon La Parole libérée, tous se sont contentés de changer Bernard Preynat de paroisse et de le croire sur parole, sans jamais saisir la justice.

L’affaire Preynat est ainsi devenue l’affaire Barbarin. Désormais au centre du scandale, le cardinal n'a de cesse de se défendre, d'interviews en conférences de presse. "Je veux dire avec la plus grande force que jamais, jamais, jamais je n'ai couvert le moindre acte de pédophilie"affirme-t-il en mars 2016 depuis Lourdes, en marge de l'assemblée des évêques, avant d'ajouter, dans "une erreur" de langage qui laisse les victimes pantoises : "La majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits." 

Texte : Benoît Zagdoun

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