Reportage "Ça va tuer l'essence même du hip-hop" : le projet de professionnaliser l'enseignement de toutes les danses fait débat

Une proposition de loi est examinée, mercredi, à l'Assemblée nationale visant à étendre l'exigence d'un diplôme d'État à l'enseignement de toutes les danses.
Article rédigé par Willy Moreau
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3min
Battle de hip-hop, à Perpignan en 2013. (MICHEL CLEMENTZ / MAXPPP)

Faudra-t-il bientôt faire des études pour enseigner le hip-hop, le breakdance ou encore la danse traditionnelle bretonne ? Les députés se penchent, mercredi 6 mars et jeudi 7 mars, sur une proposition de loi pour professionnaliser l'enseignement de la danse.

Une proposition de loi portée par Fabienne Colboc (Rennaissance) et Valérie Bazin-Malgras (LR). Aujourd'hui, un diplôme d'État - niveau licence - est exigé pour les cours de danse contemporaine, classique et jazz. L'idée est d'étendre cette obligation à toutes les danses. Cela crée de vifs débats chez les premiers concernés, en particulier dans le milieu hip-hop.

"Intellectualiser" la discipline au détriment de la "qualité des danseurs"

La buée recouvre les fenêtres d'une salle couverte de miroirs à l'étage d'un bâtiment du 20e arrondissement de Paris. Bruce Ykanji, en sueur, prodigue ses conseils à une trentaine de jeunes de l'école Juste Debout School. Il y enseigne hip-hop, popping, locking : des danses urbaines qui pourraient être concernées par le diplôme. "Ça va tuer l'essence même du hip-hop, ça va enfermer les choses, ça va codifier les choses", s'inquiète-t-il.

Et ça agace énormément cette pointure de la danse : "Ça va freiner artistiquement. Tout comme ça a déjà été fait pour le jazz en 1989. On voit le résultat aujourd'hui, le jazz en France est très bas parce qu'on est en train d'intellectualiser quelque chose qui n'a pas lieu d'être intellectualisé au détriment d'une qualité incroyable de danseurs en France." Cette loi entérine aussi, selon lui, l'exclusion des jeunes de cité ou des milieux ruraux obligés d'intégrer des formations, souvent payantes, souvent dans les grandes villes pour pouvoir enseigner ensuite.

Au contraire assure William Messi : "Ce diplôme d'État va permettre de structurer une politique publique." Le président de l'organisation nationale de hip-hop estime que ce diplôme serait une reconnaissance du savoir faire. "Pourquoi une personne qui est issue de la danse hip-hop n'aurait pas les mêmes droits que quelqu'un qui est en jazz, en classique, en danse contemporaine ?, s'interroge-t-il. Lorsqu'on n'a pas de diplôme, on ne peut pas avoir d'accès à la fonction publique, notamment territoriale. On ne peut pas se retrouver avec cet ascenseur social qui est assez important aussi."

"Clairement, on met la clé sous la porte"

La proposition de loi prévoit une dispense de diplôme d'État pour ceux qui ont déjà enseigné plus de quatre ans. Ce n'est pas le cas de Shireen. Elle donne des cours à Puteaux (Hauts-de-Seine) depuis deux ans au sein de l'association Original Kids Dancer, qu'elle a créée avec son amie Chrystelle. "Nous, on veut vraiment des danseurs qui sont des acteurs de la culture hip-hop parce qu'avant d'être une danse, c'est une culture, affirme-t-elle. Et si ces personnes-là ne peuvent plus enseigner parce qu'elles n'ont pas le DE [diplome d'État], qu'est-ce qu’on fait ? Le risque, c'est de payer 7 500 euros d'amende et la fermeture administrative… Clairement, on met la clé sous la porte." Les sanctions sont lourdes pour les établissements mais aussi pour les enseignants qui, sans diplôme d'État, risqueraient 15 000 euros d'amende.

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