: Témoignages "C'est l'avenir de notre métier qui se joue" : six jeunes agriculteurs racontent une profession en mutation
Comment favoriser le renouvellement des générations et l'installation de jeunes agriculteurs ? C'est l'un des enjeux de la profession, qui se retrouve à Paris pour le Salon de l'agriculture, du samedi 24 février au dimanche 3 mars, quelques semaines après la crise qui a illustré les difficultés et le mal-être du secteur. Le milieu est de très loin celui qui compte le plus de seniors en activité. En 2019, selon les dernières statistiques de l'Insee, plus de la moitié (55%) des agriculteurs avaient 50 ans ou plus, soit 24 points de plus que pour l'ensemble des actifs français.
Pour comprendre ce qui motive de nouvelles générations à se lancer dans la culture ou l'élevage, mais aussi ce qui les freine, franceinfo a interrogé six jeunes agriculteurs. Ils ont entre 19 et 29 ans et expliquent leur engagement, leur vision du métier, ses joies comme ses difficultés.
Lorea, 19 ans : "C'est à la ferme que je suis heureuse"
Apprentie à Hasparren (Pyrénées-Atlantiques), à une vingtaine de kilomètres de Bayonne dans le Pays basque, Lorea est issue d'une famille d'agriculteurs. Elle veut reprendre l'exploitation de son père et parle de son futur métier avec conviction.
"J'ai grandi à la ferme et c'est là que j'y suis heureuse. Petite, je voulais aider mon père à la bergerie mais les brebis étaient trop grandes, je n'arrivais pas à les traire. C'est l'un de mes premiers souvenirs d'une enfance avec les bêtes. J'ai imaginé devenir professeure de mathématiques mais en grandissant, j'ai su que je voulais devenir agricultrice.
A 5 heures du matin, même si le réveil pique un peu, il me tarde de commencer la journée, d'être avec mes animaux. J'ai 19 ans, un âge où les jeunes sortent, font la fête, mais je préfère passer le week-end avec mes brebis. Je ne suis pas trop sociable, je suis attachée à ma ferme, au Pays basque, et j'ai envie d'y rester, à vie.
"Il y a des fermes, ce sont des usines avec plein de bêtes, et ce n'est pas ce que je veux faire."
Lorea, apprentie dans les Pyrénées-Atlantiquesà franceinfo
Je veux connaître mes animaux par cœur, avoir un lien avec eux et tenir une petite exploitation avec suffisamment d'hectares pour les nourrir. J'aimerais être autonome à 100%, avoir des chèvres et des brebis, faire mon fromage et le vendre sur les marchés."
Antonin, 22 ans : "C'est un métier dur, qu'on prend à cœur"
Antonin a grandi à Limoges (Haute-Vienne) avec des parents qui n'ont jamais travaillé dans l'agriculture. A 22 ans, il va prochainement s'installer dans une ferme pour y faire du fromage. Il a mûri son projet dans une structure locale où il a remplacé des agriculteurs pendant deux ans, après son BTS. Il y a découvert un métier dur mais passionnant.
"Après mes études, j'ai ressenti le besoin d'acquérir plus d'expérience. Je suis spécialisé en élevage et j'ai fait de tout : du bovin, du porc, de l'ovin, pour en faire de la viande ou du lait. J'ai gagné en confiance, en autonomie, en savoir. S'occuper d'une bête malade, gérer les parcelles, diriger un troupeau, mettre bas des brebis et des vaches... On apprend à se débrouiller seul, et parfois, c'est une bonne dose de stress.
"Entre la théorie à l'école et la pratique, il y a beaucoup de différences."
Antonin, futur éleveur en Haute-Vienneà franceinfo
Ces expériences m'ont permis de découvrir tous les aspects du métier, les positifs comme les négatifs, et de progresser sur le plan humain. Parfois, on remplaçait des agriculteurs en grande détresse, et dans ces moments, il faut savoir trouver les mots, faire preuve d'empathie... J'ai vu des situations de mal-être et je ne m'y fais pas vraiment. C'est un métier dur, qui est aussi un métier passion qu'on prend à cœur."
Chloé, 24 ans : "Il y a un problème et personne ne s'y intéressait avant cette crise"
En octobre 2023, Chloé et sa sœur ont repris la ferme familiale tenue par leurs parents, près de Nevers (Nièvre), où elles produisent du fromage et un peu de viande de porc en bio. Si elles n'ont pas pu participer aux barrages, elles ont soutenu le mouvement. "Il y a un moment, ça ne peut plus tenir", peste Chloé, en faisant référence à la rémunération et à la souffrance des agriculteurs.
"Cela fait des années qu'on parle des rémunérations sur le lait, la viande, détaille-t-elle. En octobre, les panneaux retournés à l'entrée des villes étaient un premier signe. Des agriculteurs se suicident, le nombre d'exploitations diminue et les jeunes ne veulent plus faire ce métier. Il y a un problème et personne ne s'y intéressait avant cette crise. J'aimerais qu'on respecte les lois Egalim [qui doivent garantir un revenu fixe aux agriculteurs], que les collèges et lycées qui dépendent des collectivités cuisinent français et qu'on privilégie l'agriculture locale plutôt que d'importer des légumes d'ailleurs. C'est l'avenir de notre métier qui se joue."
"Pour une jeune, c'est important d'être soutenue, parce que c'est difficile pour quelqu'un qui reprend une exploitation de s'installer, vu les charges, les heures de travail, et toutes les autres difficultés liées à ce métier. La reprise de l'exploitation, c'est un long parcours. Notre premier rendez-vous à la chambre d'agriculture remonte à 2020. On a fait plusieurs études économiques, rencontré des banques et on est passées devant plusieurs commissions. On a reçu chacune 40 000 euros d'aide à l'installation, et nous avons emprunté 700 000 euros à la banque pour racheter l'exploitation et son cheptel, mais aussi financer des investissements. C'est une somme assez conséquente, certains prêts s'étalent sur 25 ans et cela a été délicat de parler reprise, argent [avec les parents]."
"Maintenant, on est lâchées dans le grand monde, c'est un peu stressant, mais c'est un beau défi."
Chloé, éleveuse dans la Nièvreà franceinfo
Valentin, 28 ans : "On ressent déjà le changement climatique"
Valentin a repris l'exploitation de son père en 2020 à Chenicourt (Meurthe-et-Moselle). Il cultive des céréales, élève des bovins pour en faire de la viande et teste de nouvelles méthodes, notamment face aux effets du réchauffement climatique.
"A la sortie de mon BTS, j'avais besoin de me challenger. Je suis parti neuf mois aux Etats-Unis, puis plus tard en Nouvelle-Zélande, et j'ai découvert de nouvelles techniques transposables chez moi. Dans ces deux pays, les agriculteurs n'ont pas d'aides comme nous avec la Politique agricole commune. Donc ils ont développé des systèmes hyper-économes et des techniques pour avoir un troupeau résilient face au changement climatique. On le ressent déjà, avec les étés secs, mais aussi les sécheresses précoces.
"En agriculture, changer prend du temps, alors je préfère être dans l'anticipation."
Valentin, agriculteur en Meurthe-et-Moselleà franceinfo
J'expérimente le pâturage tournant dynamique, une technique que j'ai découverte dans le Minnesota. J'ai divisé ma prairie en couloirs et les bêtes tournent, elles ne pâturent pas toujours au même endroit. Cela me permet de ne pas épuiser mes réserves en herbe et de gagner en productivité, les bêtes pâturent un mois et demi de plus qu'avant. J'expérimente aussi la culture de nouvelles plantes plus résistantes au manque d'eau, comme avec la chicorée et le plantain.
J'ai aussi arrêté d'utiliser les engrais en élevage et je me forme pour le faire en culture, où je les utilise de manière raisonnée. J'aimerais me tourner vers une agriculture de conservation des sols, en ramenant une vie biologique et de la matière organique dans les terres afin de créer un écosystème. Mon credo, c'est de faire avec la nature plutôt qu'aller à son encontre."
Louise, 29 ans : "On me renvoie à mon statut de femme"
Louise a grandi dans le centre-ville de Nancy avant de faire des études en arts décoratifs et un master en linguistique. Rien ne la prédestinait à devenir éleveuse dans les Vosges, où elle produit du lait et de la viande dans l'exploitation qu'elle a reprise avec son conjoint. Au quotidien, elle souffre d'être une femme dans un monde d'hommes. En 2019, les agricultrices ne représentaient en effet qu'un peu plus du quart (26,6%) des exploitants, selon l'Insee.
"Je suis une citadine et je n'ai jamais imaginé devenir agricultrice, tout simplement parce que ce milieu m'était totalement étranger. Pour penser à devenir agricultrice, il faut en avoir des représentations. Ce n'est pas un métier, c'est un mode de vie très particulier et quand on ne vient pas d'une famille d'agriculteurs, c'est très compliqué de se faire sa place. Il y a un côté viscéral avec la terre, une histoire et cela se transmet de génération en génération. Je suis maintenant installée, mais cela a été dur d'être légitime, puisque je ne viens pas de ce milieu et je suis une femme.
Dans l'imaginaire, il faut avoir plus de 50 ans et ne plus avoir de dents pour être considérée comme agricultrice. Quand je suis arrivée dans la famille de mon conjoint, certains m'ont jugée. On m'a demandé si j'étais prête à me salir les mains et les pieds. Et au quotidien, on me renvoie à mon statut de femme.
"A la ferme que je gère avec mon conjoint, certains demandent à parler à mon père, à mon mari, comme si une femme ne pouvait pas gérer une exploitation. On me demande parfois si je suis une stagiaire."
Louise, éleveuse dans les Vosgesà franceinfo
La profession ne fait rien pour s'adapter aux femmes. Manipuler les barrières, conduire un tracteur, déplacer les bottes de paille de 400 kg... Tout est dur. Quand on pense aux femmes, on pense au bien-être animal, au nettoyage, au rangement, à l'administratif. Il y a de vrais efforts à mener sur l'adaptation du métier aux femmes pour leur offrir un cadre sécurisant, sinon elles resteront dans les milieux para-agricoles à faire des factures."
Clément, 29 ans : "L'agriculture est un peu le bouc émissaire"
Clément est fier d'élever des poulets en plein air Label Rouge, un gage de qualité reconnu par l'Etat. Il s'est lancé en mars 2022 à Saint-André-Goule-d'Oie (Vendée) pendant l'épidémie de grippe aviaire, qui a mis sa ferme à l'arrêt pendant des mois. Le presque trentenaire, qui s'est mobilisé pendant la crise agricole, regrette l'image négative parfois associée à sa profession.
"J'ai passé des nuits sur les barrages parce que notre métier est en danger, raconte-t-il. Il est de moins en moins considéré, de plus en plus ouvert aux marchés extérieurs. Je veux plus de reconnaissance, moins de charges et surtout, plus de revenus. On a vu que cette crise touchait tout le monde, et que les gens nous soutiennent. Je crois profondément en mon métier, c'est un rêve d'enfant, mais si on veut attirer des jeunes, il faut mieux les rémunérer car des fous furieux comme moi, il n'y en a plus beaucoup. A cause de la grippe aviaire, j'ai débuté avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête et 50 000 euros de pertes. Je me suis versé mon premier salaire après un an et demi et c'était beaucoup moins qu'un smic, à peine 400 euros."
On a une vision arriérée de l'agriculture, celle qu'on faisait il y a 40 ans n'existe plus. L'agriculture évolue et les agriculteurs sont maintenant formés. Si on se lève 365 jours par an à 6 heures du matin, c'est qu'on aime nos animaux et notre métier. On entend beaucoup de critiques sur notre métier, notamment sur l'impact de notre activité sur la planète. L'agriculture est un peu la proie facile, le bouc émissaire. Oui, elle est responsable de 20% des émissions de gaz à effet de serre, mais elle pollue pour une bonne raison. On nourrit les gens, on ne produit pas des tee-shirts qui vont durer trois mois."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.