Témoignage "C'est une grande victoire pour la cause des femmes" : quand une salariée obtient le droit de consulter la fiche de paie de ses collègues

franceinfo a rencontré la femme à l'origine de cette jurisprudence majeure, mais peu connue. Depuis un arrêt de la Cour de cassation, tout salarié peut demander à son entreprise de fournir les fiches de paie d'autres collaborateurs en cas de soupçon d'inégalité.
Article rédigé par franceinfo
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Un arrêt de la cour de cassation du 8 mars 2023 donne aux salariés la possibilité de demander à leur employeur de fournir les fiches de paie de leurs collègues quand ils estiment qu'il y a inégalité de traitement. (JEAN-MARC BARRERE / HANS LUCAS via AFP)

À partir de ce 8 novembre à 16h48, les femmes vont travailler gratuitement. Ce moment symbolique a été calculé par la newsletter féministe Les Glorieuses pour dénoncer l'inégalité salariale, pour la huitième année consécutive. Selon une étude de l'INSEE de mars 2024, cet écart entre les salaires des hommes et des femmes est encore de 14,9%. Autre date symbolique : depuis un arrêt de la Cour de cassation du 8 mars 2023, les salariés ont la possibilité de demander à leur employeur de fournir les fiches de paie de leurs collègues quand ils estiment qu'il y a inégalité de traitement.

franceinfo a rencontré la femme à l'origine de cette jurisprudence majeure. Malgré son bac +5 et son expérience de 20 ans, Sophie (prénom d'emprunt) était moins bien payée que ses collègues masculins à son poste de haut cadre, dans une grande compagnie d'investissement. "C'est mon boss qui m'avait dit : 'Bien sûr, tu n'auras pas le même salaire que telle personne'. Quand quelqu'un avec beaucoup d'aplomb vous le dit presque avec un sourire..., raconte-t-elle. On a des promotions, on est reconnu pour ses responsabilités, mais parce qu'on est une femme cela paraît naturel à plein de monde que l'on gagne moins. C'est difficile." 

La justice donne raison à l'employée

La tradeuse a alors pris un avocat, exigeant d'accéder aux bulletins de salaire. L'entreprise avait refusé au nom de la vie privée. Le dossier est allé jusqu'à la cour d'appel, qui a finalement donné raison à la salariée dans sa recherche de preuve, une décision confirmée par la Cour de cassation saisie par l'employeur. L'écart constaté s'est avéré significatif : d'après Sophie, il était de l'ordre de 20 à 30%.

"On ne peut plus avoir cette omerta et ce silence. Les entreprises sont sommées de produire des éléments chiffrés. Au lieu d'avoir juste un indice d'égalité homme/femme qui est très généraliste."

Sophie, qui a porté en justice les inégalités salariales femmes-hommes

à franceinfo

"C'est une grande victoire pour la cause des femmes. J'aimerais que la décision soit davantage connue auprès des femmes et des entreprises", défend Sophie. Cet arrêt de la Cour de cassation est en effet un outil juridique novateur, abonde son avocat Paul Estival.

Encore des embûches

Mais alors que l'affaire de Sophie doit encore être jugée sur le fond, ce spécialiste en droit du travail précise qu'une fois les fameuses fiches de paie obtenues, des difficultés peuvent encore persister. "Pour autant, vous n'avez pas gagné. Le juge peut refuser ce droit à la preuve parce qu'il y a encore de la résistance dans les juridictions des juges du fond. L'autre possibilité, c'est qu'il y a une inégalité de salaire alors que le travail fourni est égal. L'employeur peut aussi simplement expliquer pourquoi, avec des éléments objectifs, il a traité différemment un salarié par rapport à un autre par rapport à l'ancienneté ou le mérite", explique Paul Estival. 

Elise Fabing, autre avocate très engagée sur le sujet, constate qu'en cas de contentieux une majorité d'entreprises préfère négocier une issue amiable, "pour ne pas avoir à communiquer ces bulletins de salaire et prendre le risque d'être affichée comme une entreprise discriminant les femmes."
L'avocate estime que cet arrêt est un moyen de pression contraignant, mais pas dissuasif pour l'employeur, faute de sanctions significatives.

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