"Je veux y croire mais je suis blasée" : les femmes qui accusent PPDA de viols et d'agressions sexuelles redoutent un nouveau revers judiciaire
La confrontation a duré environ deux heures. Pour la première fois depuis qu'il est dans le viseur de la justice, Patrick Poivre d'Arvor a fait face à l'une de ses accusatrices, début juillet. L'ancien présentateur du JT de TF1 a été entendu dans les locaux de la Brigade de la répression de la délinquance aux personnes (BRDP) avec l'une des plaignantes de la seconde enquête préliminaire ouverte à son encontre, en décembre 2021. Cette femme est la seule à ne pas être "prescrite" parmi les 22 qui accusent l'ancien journaliste de 75 ans de viols et d'agressions sexuelles dans ce second volet de "l'affaire PPDA". Elle affirme qu'il l'a embrassée de force lors d'une soirée en avril 2018
Avec cette confrontation, les investigations conduites par le parquet de Nanterre (Hauts-de-Seine) touchent à leur fin. Selon nos informations, les conclusions de la BRDP devraient être transmises à la fin de l'été aux magistrats, qui décideront, après examen, de l'issue de cette procédure. Trois options sont sur la table : un classement sans suite – comme pour la première enquête préliminaire –, un renvoi du mis en cause devant le tribunal pour les faits d'agression sexuelle non prescrits, si ceux-ci sont jugés suffisamment caractérisés, ou l'ouverture d'une information judiciaire pour continuer à enquêter. Sollicitée par franceinfo, l'avocate de PPDA, Jacqueline Laffont, a fait savoir que "monsieur Patrick Poivre d'Arvor réserv[ait] ses réponses et ses éléments de défense à la justice, dans un cadre qui respecte les droits des plaignantes comme ceux de la défense".
Plus d'un an et demi d'enquête
L'attente est longue pour Marie-Laure Eude-Delattre et les autres. "On passe par toutes les couleurs, avec des moments d'espoir énorme", témoigne cette femme de 60 ans. Malgré la prescription, c'est sa plainte qui a déclenché l'ouverture d'une seconde enquête dans ce dossier emblématique du mouvement #MeToo en France. Le déclic a lieu à la parution de l'article de Libération, fin 2021, dans lequel sept femmes accusent publiquement Patrick Poivre d'Arvor de violences sexuelles. "Le passé m'est revenu dans la gueule", raconte cette ancienne aspirante attachée de presse. Elle a 23 ans lorsqu'elle croise la route du journaliste au Festival de Cannes, en mai 1985. Elle espère alors décrocher un stage "à Antenne 2". "Jusqu'au bout, je pensais qu'on allait boire un pot sur la terrasse [du Martinez]. On s'est retrouvés dans sa chambre d'hôtel et il a fermé à clé." Marie-Laure Eude-Delattre accuse la star du petit écran de l'avoir violée ce soir-là. Trente-six ans plus tard, un soir de décembre 2021, elle franchit la porte du commissariat d'Amiens (Somme). Et envoie au procureur de Nanterre un extrait du livre Les Femmes de ma vie (éd. Grasset, 1988). L'écrivain y dresse une liste de ses conquêtes en divers endroits : "(...) A Quimper avec Ghislaine, à Minorque avec Sylvie, à Cannes avec Marie-Laure (...)"
Depuis, Marie-Laure Eude-Delattre a été "accueillie comme une héroïne" par les plaignantes de la première enquête. Plusieurs sont devenues ses "amies" et ensemble, elles se préparent à l'éventualité d'un nouveau revers judiciaire, plus d'un an et demi après sa plainte.
"Je vois une psychologue pour m'aider à anticiper ce moment-là, qui, je pense, va être violent."
Marie-Laure Eude-Delattreà franceinfo
Quarante-cinq femmes se sont manifestées auprès de la justice depuis la plainte initiale de la journaliste Florence Porcel, en février 2021. La majorité d'entre elles déclarent avoir été agressées ou violées dans un seul et même lieu : le bureau du présentateur, dans la tour de TF1, après le "20 heures".
En soutien des premières plaignantes
Alejandra M., 57 ans, assure avoir eu droit au "coup du plateau". Cette ancienne étudiante en journalisme franco-argentine accepte l'invitation de PPDA, rencontré dans un restaurant parisien en mai 1993, à venir voir le JT. Après avoir assisté au journal sur "une petite chaise" dans l'obscurité du studio, elle est conviée par "l'assistante" à venir "saluer monsieur d'Arvor dans son bureau", raconte-t-elle. "Trente-quarante secondes après, il s'est levé de son bureau, le pantalon défait, il est venu sur moi et il m'a violée sur la moquette", accuse-t-elle. La jeune femme, alors âgée de 27 ans, "en état de sidération", quitte la France peu de temps après.
Longtemps habitée par "la culpabilité" et se pensant "un cas isolé", Alejandra M. ne se confie qu'à "deux ou trois amis". C'est en regardant l'émission "C à vous" depuis Buenos Aires, fin 2021, qu'elle entend parler de la plainte de Florence Porcel. "J'avais conscience d'être prescrite mais je voulais apporter ma voix", résume-t-elle. Alejandra M. écrit au procureur de Nanterre pour témoigner, sans grand optimisme : "Je veux y croire mais je suis blasée."
"Je ne vois pas de grande condamnation sociale en France. Il y a deux ans, PPDA était encore sur le plateau de 'Quotidien' à dire qu'il aimait juste donner des petits bisous dans le cou."
Alejandra M.à franceinfo
L'écrivaine Bénédicte Martin dénonce aussi une agression sexuelle dans le bureau de l'ancienne vedette, en 2003. Elle rapporte y avoir été conviée par PPDA après avoir participé à son émission littéraire "Vol de nuit", sur TF1, pour parler de son premier livre, Warm Up. "Il m'a fait une clé de bras. Nous avons basculé sur la moquette et je me suis débattue alors qu'il essayait de mettre ses mains dans ma culotte en relevant ma jupe et en descendant mes collants", avait-elle confié à franceinfo quelques jours après sa plainte, en septembre 2022. Elle dit être parvenue à s'échapper en feignant de souhaiter "quelque chose de plus joli".
La notion de "sérialité" au cœur de l'affaire
Le "processus" qui l'a conduite à porter plainte à son tour et à médiatiser son cas a été "assez long", Bénédicte Martin anticipant des "conséquences" sur sa carrière littéraire : "Je sais qu'il y a des maisons d'édition et des journaux qui me sont définitivement fermés." Mais l'autrice, qui souhaitait "apporter [sa] petite notoriété à l'affaire pour ouvrir la porte à d'autres femmes", ne regrette rien : "En sortant de mon audition, je me suis sentie légère comme je ne l'avais plus été depuis l'agression. Même si cela peut être classé sans suite, le fait d'avoir pu raconter et partager mon histoire publiquement m'a fait énormément de bien."
Bénédicte Martin veut voir dans la durée de l'enquête "un excellent signe". Alors qu'une décision était attendue au printemps, les investigations se sont poursuivies, trois nouvelles femmes s'étant manifestées. Selon nos informations, Patrick Poivre d'Arvor a fait l'objet d'une expertise psychologique, ce qui n'avait pas été le cas dans la première enquête. "Je me suis dit que la sérialité serait peut-être encore plus évidente", veut croire l'écrivaine. Cette notion de sérialité dans les faits reprochés à Patrick Poivre d'Arvor est examinée dans le cadre de l'information judiciaire ouverte après la plainte avec constitution de partie civile de Florence Porcel. Le major de police en charge de la première enquête avait déjà souligné que les témoignages recueillis décrivaient "Patrick Poivre d'Arvor comme un prédateur sexuel abusant de sa notoriété et usant d'un mode opératoire similaire dans l'approche de ses victimes et dans la brutalité de ses actes, commis sans la moindre tentative de séduction".
"On a toutes porté plainte pour aider Florence, qui n'est pas prescrite. Si l'enquête est classée sans suite, cela peut redéclencher une vague de témoignages. On devient une hydre à plusieurs têtes. Quand une se tait, une autre parle."
Bénédicte Martinà franceinfo
La journaliste Florence Porcel raconte avoir subi deux viols, l'un en 2004, prescrit, et l'un en 2009, non prescrit. Les plaignantes suivantes se demandent aujourd'hui si leur nombre peut, malgré la prescription, être pris en considération différemment dans le cadre de la seconde enquête préliminaire et déclencher l'ouverture d'une nouvelle information judiciaire. Pour l'avocate Alexandra Boret, qui représente l'une des plaignantes, il est tout à fait "possible", pour le parquet, "de solliciter l'ouverture d'une information judiciaire à partir du moment où il a affaire à une plainte pour des faits de violences sexuelles non prescrits, corroborés par de très nombreuses autres plaintes pour viols dans des circonstances analogues".
"Faire pousser des fleurs sur le fumier"
Selon la pénaliste, ce dossier "peut sembler le petit manifeste illustré de ce qui conduit les victimes de violences sexuelles à se taire : la décision initiale de classer l'affaire malgré une marée de témoignages, la procédure en dénonciation calomnieuse initiée par PPDA comme un bâillon contre la parole des plaignantes, la fuite de PV d'auditions…" Patrick Poivre d'Arvor a porté plainte pour dénonciation calomnieuse contre 16 femmes qui ont témoigné publiquement contre lui. On ignore l'issue judiciaire de cette démarche, cette infraction étant l'une des "plus difficiles à prouver", comme le reconnaissait auprès de franceinfo son avocate Jacqueline Laffont. Mais pour l'association #MeTooMedias, elle décourage d'autres femmes, potentiellement non prescrites, de se manifester.
Créée dans le sillage de l'affaire, cette organisation soutient disposer de plus d'une centaine de témoignages mettant en cause l'ancien journaliste. Certaines "n'osent pas aller" porter plainte, "elles ont peur des représailles", selon sa présidente, Emmanuelle Dancourt, l'un des visages des accusatrices de PPDA. "Le sort qui a été fait à Florence Porcel est trop difficile, je comprends très bien qu'elles n'y aillent pas, appuie la journaliste Hélène Devynck, qui a dénoncé dans la presse et dans son livre, Impunité (éd. Seuil, 2022), le viol qu'elle dit avoir subi au domicile du présentateur, en 1993. Ce qui est très triste, si l'enquête est classée, c'est que mon livre mérite son titre. J'aurais bien voulu être contredite." L'ancienne vice-présidente d'une filiale du groupe TF1, Muriel Réus, qui a dénoncé une tentative d'agression sexuelle dans le cadre de la première enquête, ne dit pas autre chose.
"Si la justice loupe ce rendez-vous, c'est qu'il y a quelque chose qui dysfonctionne."
Muriel Réusà franceinfo
En attendant une réponse sur le terrain judiciaire, certaines tentent de "faire pousser des fleurs sur le fumier", comme le formule Emmanuelle Dancourt. Des fleurs qui naissent de leur "solidarité" et de leur "émotion à se rencontrer". "Si je reviens en France, je n'aimerais qu'une chose, glisse depuis l'Argentine Alejandra M. Pouvoir prendre dans mes bras mes sœurs d'infortune."
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