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Traité européen contre les violences faites aux femmes : quatre questions sur le projet de retrait de la Pologne

Le gouvernement polonais a annoncé son intention de renoncer à un traité international sur les violences faites aux femmes, connu sous le nom de "Convention d'Istanbul". Franceinfo vous en explique les raisons. 

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Le ministre de la Justice polonais, Zbigniew Ziobro, le 30 janvier 2019. (MATEUSZ WLODARCZYK / NURPHOTO)

Un traité européen pour lutter contre les violences faites aux femmes ? Superflu, pour le très conservateur ministre de la Justice polonais, Zbigniew Ziobro. Ce dernier a annoncé, samedi 25 juillet, son projet de retrait de la "Convention d'Istanbul", un traité international établi par le Conseil de l'Europe pour protéger la condition féminine au sein des Etats signataires. "Il suffit de lire les Saintes Ecritures pour savoir qu'une femme n'est pas battue, il n'est pas nécessaire d'adhérer à une convention motivée par des idéologies déformées", a déclaré Zbigniew Ziobro, selon des propos rapportés par le journal italien La Repubblica (en italien). En réalité, le gouvernement polonais défend un projet de société qui s'oppose frontalement aux valeurs de ce traité. Franceinfo vous résume cette rupture en quatre questions.

1Qu'est-ce que le traité européen contre les violences faites aux femmes ?

C'est le premier instrument juridiquement contraignant établi au niveau européen pour lutter contre la violence à l'égard des femmes. Adopté à Istanbul en 2011, et signé à ce jour par 45 membres du Conseil de l'Europe, le traité engage les Etats qui l'ont ratifié à incriminer certaines infractions à l'égard des femmes, notamment les violences domestiques. Parmi elles, les violences physiques, sexuelles ou psychologiques, les mariages forcés, les avortements contraints et les mutilations génitales. 

Le texte ne s'arrête pas aux violences qualifiées, mais reconnaît une "nature structurelle de la violence" basée sur "le genre", défini dans l'article 3 comme "les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits". Les pays signataires s'engagent ainsi à entreprendre des programmes pour "éliminer toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes".

2Pourquoi le texte pose-t-il problème en Pologne ?

"Il contient des éléments de nature idéologique que nous considérons comme nuisibles", a déclaré Zbigniew Ziobro. Moins que le volet juridique, c'est le terme "genre" et ses implications qui dérangent l'actuel gouvernement conservateur, dirigé par le PiS (parti Droit et Justice) et proche de l'Eglise catholique. En 2012, lorsque la Pologne a signé ce traité (ratifié trois ans plus tard par Varsovie), Zbigniew Ziobro avait déjà qualifié ce texte, jugé trop libéral, "d'invention, une création féministe qui vise à justifier l'idéologie gay".

"Les milieux conservateurs polonais réfutent l'idée d'un rôle construit culturellement. Il y a un refus absolu de tout débat à ce sujet", analyse pour Franceinfo Dorota Dakowska, politologue franco-polonaise. Impensable donc d'inclure dans les programmes scolaires l'éducation à l'égalité des sexes prônée par la "Convention d'Istanbul".

Depuis son arrivée au pouvoir, le PiS s'attache à une conception dite "traditionnelle" de la femme au foyer. Désormais, les femmes qui ont eu au moins quatre enfants bénéficient, par exemple, d'un soutien financier, à condition de renoncer à leur activité professionnelle pour se consacrer à l'éducation de leurs enfants. "Depuis 2015, la Pologne a supprimé des subventions aux ONG défendant les droits des femmes et fermé certaines lignes d'écoute", ajoute Dorota Dakowska. "Ils sont dans le déni d'une violence structurelle, qu'ils considèrent comme un phénomène sociologique marginal", explique-t-elle encore.

3Comment l'annonce est-elle perçue dans le pays ?

Dès vendredi, l'annonce d'un possible retrait du traité a conduit des milliers de personnes dans les rues de Varsovie. "PiS est l'enfer des femmes", pouvait-on lire sur les banderoles. "L'objectif est de légaliser les violences domestiques", a déclaré vendredi Magdalena Lempart, l'une des organisatrices de la manifestation dans la capitale polonaise.

Le texte divise également entre le gouvernement et la majorité : si la vice-Première ministre chargée de l'Economie, Jadwiga Emilewicz, et la ministre du Travail, Marlena Maciag, soutiennent le projet de retrait, le parti a préféré rester prudent. Michal Dworczyk, chef de bureau du Premier ministre, a indiqué à la chaîne polonaise Polsat qu'il n'y avait toujours "pas de décision officielle et univoque" sur la question.

"La société polonaise est profondément divisée entre les conservateurs catholiques et les libéraux", décrypte Dorota Dakowska. Ces mouvements idéologiques que tout oppose se sont affrontés pendant la récente élection présidentielle. Le président conservateur Andrzej Duda a finalement été reconduit le 12 juillet, avec 51% des voix face à son opposant libéral Rafal Trzaskowski après une campagne extrêmement polarisée.

"Le conservatisme polonais n'est pas inné. Pendant les nombreuses guerres qu'a connues la Pologne, les femmes ont longtemps occupé des métiers dits 'masculins' et le pays a connu plusieurs Premières ministres depuis 1989", note la chercheuse. Les voix des mouvements militants féministes portent de plus en plus. Au point, au printemps dernier, de faire reculer le gouvernement sur son projet de loi anti-IVG, qui restreignait un accès à l'avortement déjà très limité. 

4Quels autres pays rejettent le traité ?

Outre la Russie et l'Azerbaïdjan, qui n'avaient pas voulu signer la Convention d'Istanbul dès sa rédaction, la Hongrie de Viktor Orban a refusé en mai de ratifier le texte, perçu par le gouvernement comme une promotion de "l'idéologie destructrice du genre", rapportait l'AFP. Le Parlement slovaque a de son côté rejeté le traité en 2019, comme la Bulgarie un an plus tôt. 

La décision de Varsovie déplaît à plus d'un à Bruxelles. Des eurodéputés ont adressé une pluie de reproches au gouvernement polonais. "La violence n'est pas une valeur traditionnelle", a tweeté Guy Verhofstadt, membre du groupe parlementaire Renew et ancien Premier ministre belge.

"Il est honteux qu'un Etat membre de l'UE veuille se retirer de la Convention d'Istanbul", s'est pour sa part indignée, également sur le réseau social, l'Espagnole Iratxe Garcia Pérez, présidente de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) au Parlement européen. Elle se dit "aux côtés des citoyens polonais qui descendent dans la rue pour exiger le respect des droits des femmes".

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