Droit de vote des étrangers : comment la proposition de loi du député de la majorité Sacha Houlié relance un débat vieux de quarante ans
François Mitterrand, Nicolas Sarkozy et François Hollande s'étaient eux aussi, par le passé, déclaré favorables à ce que les étrangers puissent voter lors des élections municipales. Mais une fois au pouvoir, ils n'ont jamais mis en œuvre cette mesure.
Un serpent de mer politique vieux de quatre décennies. Le député Renaissance (ex-LREM) et président de la Commission des lois à l'Assemblée nationale Sacha Houlié a déposé, mardi 9 août, une proposition de loi pour "accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales" à tous les étrangers, même non européens, suscitant les critiques de Gérald Darmanin, de la droite et du RN. "Cette reconnaissance se fait attendre. Nous la devons pourtant à celles et ceux qui, bien souvent et depuis longtemps, participent au dynamisme de notre société", défend le texte de la proposition, qui dénonce aussi une "discrimination entre deux catégories d'étrangers".
Le député de la Vienne, à l'origine du texte, y voit un "beau et long combat" : "La France enrichirait son modèle d'intégration" argue-t-il auprès de l'AFP, et "ferait aussi refluer les revendications communautaires qui se nourrissent de la marginalisation". Depuis le traité de Maastricht en 1992, seuls les citoyens de pays membres de l'Union européenne peuvent voter aux élections municipales.
Dans le programme de Mitterrand en 1981
Ce n'est pas la première fois que l'idée émerge en France. Le projet d'un droit de vote des étrangers aux élections municipales figurait déjà parmi les 110 propositions du programme de campagne de François Mitterrand, en 1981. Mais une fois élu, le président a finalement dû reculer.
Avec un Sénat majoritairement à droite à l'époque, le Parti socialiste ne disposait pas des 555 voix nécessaires à la révision de l'article 3 de la Constitution, indispensable à toute loi sur le sujet, rappelle franceinfo. Pour rappel, en 1981, le texte disait que "sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques". En 1985, dans une interview sur TF1, François Mitterrand expliquait que les Français n'étaient pas prêts et "ne permettaient pas de hâter cette réforme".
Trois ans plus tard, quelques mois avant la présidentielle de 1988, le président candidat à sa réélection relançait le débat : "Je suis de ceux qui pensent que ce droit devrait être étendu." Mais face à l'hostilité de l'opinion publique, le président concrétisera finalement l'abandon du projet en 1988, dans sa "Lettre à tous les Français" qui dressait le bilan de son septennat. François Mitterrand se contentait alors de "déplorer personnellement" que "l'état de nos mœurs" ne permette pas d'aller jusqu'au bout de la mesure, rappelait Le Monde en 2005.
Une idée tuée dans l'œuf sous Chirac
En 2005, l'idée avait aussi traversé l'esprit de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur sous Jacques Chirac. "Je considère qu'il ne serait pas anormal qu'un étranger en situation régulière, qui travaille, paie des impôts et réside depuis au moins dix ans en France, puisse voter lors des élections municipales", avait-il déclaré dans un entretien au Monde.
"Je veux (...) renforcer la chance de l'intégration pour les étrangers en situation légale. Le droit de vote aux municipales en fait partie."
Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieurdans un entretien au "Monde", le 25 octobre 2005
Le ministre s'était attiré les foudres de son parti politique, l'UMP. Le président, Jacques Chirac, et le Premier ministre, Dominique de Villepin, s'y étaient fermement opposés, renvoyant à la naturalisation, seule condition pour eux d'accéder au droit de vote. "C'est la nationalité qui donne le droit de s'exprimer sur les grandes orientations politiques locales ou nationales", avait tranché le Premier ministre de l'époque dans un entretien au Parisien.
Quelques années plus tard, Nicolas Sarkozy se prononçait finalement contre le droit de vote des étrangers aux élections locales au moment de l'élection présidentielle de 2012, qualifiant l'idée de "proposition hasardeuse".
Une promesse de campagne de Hollande
Cette même année 2012, François Hollande, alors candidat socialiste à la présidentielle, avait relancé le débat en l'intégrant dans son programme de campagne. "J'introduirai le droit de vote des étrangers aux élections locales sans rien craindre pour notre citoyenneté", avait-il déclaré, lors d'un meeting.
Le candidat socialiste avait affirmé qu'il envisageait pour 2013 une réforme institutionnelle donnant le droit de vote aux étrangers non communautaires (qui ne sont pas des ressortissants des Etats membres de l'Union européenne) aux élections locales s'il était élu, rappelle franceinfo.
"Ce sera uniquement pour les élections municipales, car ce sera le même régime que pour les étrangers européens qui votent déjà aux élections municipales, qui ne sont pas éligibles, qui ne peuvent pas devenir maire ou adjoint, qui peuvent devenir conseillers municipaux", avait-il à l'époque précisé. François Hollande entendait alors accorder ce droit de vote aux étrangers "résidant légalement en France depuis cinq ans".
Deux ans plus tard, le président François Hollande avait de nouveau confirmé, lors d'une intervention sur BFMTV et RMC, qu'un texte serait présenté "avant la fin du quinquennat", précisant qu'il n'avait pas voulu introduire cette proposition avant les élections municipales pour éviter qu'on lui en fasse "le reproche", rappelle Le Figaro.
Le projet n'aboutira jamais. En novembre 2015, le Premier ministre de l'époque, Manuel Valls, a finalement enterré cette promesse de campagne. "Il ne faut pas le proposer parce que ce n'est pas possible politiquement, ce n'est pas possible constitutionnellement et parce que je ne pense pas que ce soit une priorité", avait-il déclaré lors d'un débat avec les étudiants de Sciences Po.
Une proposition de loi déjà critiquée
Pour l'heure, la proposition de loi du député Sacha Houlié semble, à l'instar des tentatives précédentes, loin d'aboutir. Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui a proposé un débat au Parlement en octobre sur l'immigration, s'est déjà dit "fermement opposé à cette mesure", a indiqué son entourage à l'AFP. A l'extrême droite, le président par intérim du Rassemblement national, Jordan Bardella, s'est immédiatement indigné. A droite, le député LR Eric Ciotti a également tweeté qu'il s'opposerait "de toutes [ses] forces" à ce texte "grave et dangereux".
Du côté du PCF, la proposition est prise avec précaution. Le porte-parole du parti et maire adjoint de Paris en charge du Logement et de la Protection des réfugiés, Ian Brossat, a reproché à la majorité de partir "dans tous les sens sur le droit de vote des étrangers" dans un tweet.
Marrant : quand la gauche débat d'un sujet, les macronistes disent qu'elle s'éparpille façon puzzle. Quand eux-mêmes partent dans tous les sens sur le droit de vote des étrangers, on appelle ça comment ?
— Ian Brossat (@IanBrossat) August 10, 2022
Interrogé en février 2019 à Evry-Courcouronnes (Essonne) lors d'une réunion du grand débat organisé à la suite de la crise des "gilets jaunes", le président Emmanuel Macron avait affirmé qu'il n'était pas favorable au droit de vote des étrangers, préférant que les étrangers résidant en France demandent la nationalité française pour pouvoir accéder aux scrutins.
Sacha Houlié présentera cette proposition de loi, "déposée à titre personnel", au groupe Renaissance lors de la rentrée parlementaire. Même si elle était votée à l'Assemblée nationale, la mesure devra ensuite, pour être adoptée, être approuvée par le Sénat, où la droite est majoritaire, avant d'être soumise à un référendum.
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