Mondiaux d'athlétisme : "Je ne suis pas de retour, je suis meilleure..." La fusée Sha'Carri Richardson s'est assagie pour devenir la nouvelle reine du 100 mètres
Un rugissement a parcouru les tribunes du stade. Et Sha'Carri Richardson s'est figée de longues secondes, l'air choqué, les yeux rivés sur le grand écran. Avant d'hurler et de bondir de joie sur la piste en voyant s'afficher en haut du tableau son nom et les quatre chiffres de son chrono : 10"65. "Je ne suis pas de retour, je suis meilleure", a-t-elle ensuite réagi au micro du speaker du stade. À seulement 23 ans, l'Américaine a décroché, lundi 21 août, le titre mondial de la ligne droite devant les deux Jamaïcaines Shericka Jackson (10"72) et Shelly-Ann Fraser-Pryce (10"77).
En rabotant de six centièmes son record personnel, elle s'est offerte au passage la cinquième meilleure performance de l'histoire (partagée avec la Jamaïcaine Shericka Jackson et l'Américaine Marion Jones). Avec cette médaille d'or pour ses tout premiers Mondiaux, la sprinteuse de poche (1m55) prouve qu'elle sait désormais canaliser sur la piste sa personnalité fantasque pour exprimer au mieux son potentiel.
Brillante chez les jeunes, Sha'Carri Richardson a éclos en 2019 en remportant le très relevé championnat universitaire américain dans un temps rare (10"75) pour une athlète de 19 ans. Aussi connue pour ses performances chronométriques que pour ses tenues délurées - perruques, ongles interminables, faux cils, bas résille, bijoux volumineux -, l'Américaine avait réussi à se qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo. Mais elle n'avait pas pu s'y rendre, suspendue pour un contrôle positif au cannabis. La sprinteuse avait alors reconnu avoir consommé des stupéfiants durant les sélections olympiques après avoir appris la mort de sa mère biologique. Éliminée dès les séries des championnats américains l'année suivante, elle avait échoué à se qualifier aux Mondiaux de Eugene (Etats-Unis) en 2022.
Perruque au placard
L'année 2023 a marqué la renaissance de cette athlète aux fins de course dévastatrices. Au fil de ses apparitions, son look s'est un peu assagi. En finale des sélections américaines pour Budapest, elle a laissé la perruque au placard : "Je devais me délester du passé et montrer le présent, a-t-elle déclaré lors de l'une de ses rares allocutions. Je voulais montrer que je suis toujours cette fille, mais meilleure. Que je suis toujours cette fille, mais plus forte. Que je suis toujours cette fille, mais plus mature." Une maturité qui a porté ses fruits. Avant les championnats du monde, Sha'Carri Richardson n'avait perdu qu'une seule fois sur ses neuf sorties sur 100 mètres en 2023, début juillet face à Julien Alfred.
Sur la rive sud du Danube, Sha'Carri Richardson a survolé les séries, ses tresses colorées détachées volant derrière elle. En demi-finales, cheveux attachés mais faux ongles longs de cinq centimètres sertis de pierres brillantes, l'Américaine s'est fait peur avec un départ catastrophique. Qualifiée au temps, elle a dû attendre, incapable de tenir en place, les résultats de ses concurrentes de la dernière course. En finale, les artifices avaient disparu de ses mains, Sha'Carri Richardson a bien mieux jailli des starting-blocks et repris ses adversaires grâce à un finish explosif, levant les bras avant même de franchir la ligne.
Avec un 10"65 à 23 ans, Sha'Carri Richardson peut-elle à terme lorgner sur le vieux record du monde de Florence Griffith-Joyner (10"49) de 1988 ? Pour Maryse Ewanjé-Epée, consultante athlétisme pour France Télévisions, "il y a encore un monde entre 10''65 et moins de 10''50. Elle a déjà couru en 10''50 mais avec quatre mètres de vent dans le dos, donc ça ne compte pas. On la voit extrêmement perfectible. Elle est forcément la génération de demain. De là à dire que Florence Griffith-Joyner sera un jour dépassée, je n'irai pas encore faire ce pari."
Pour rejoindre ses consœurs dans l'histoire du sprint mondial, un défi l'attend : gérer la pression médiatique. "C'est une jeune fille qui est toute 'fofolle'. Il faut qu'elle reste concentrée sur sa pratique, qu'elle prenne du plaisir aussi, parce qu'elle rentre dans la partie difficile, poursuit Maryse Ewanjé-Epée. Elle va être extrêmement exposée, elle l'était déjà. D'ailleurs, elle a autant d'admirateurs que de gens qui la détestent parce qu'elle est trop extravagante, parce qu'on ne la trouve pas assez raffinée." Dans un an à Paris, Sha'Carri Richardson pourrait débuter son histoire avec les Jeux olympiques et affirmer définitivement son nouveau statut.
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