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ENTRETIEN. "On va voir arriver des générations performantes", assure Romain Barras, directeur de la haute performance à la Fédération française d’athlétisme

Alors que débutent, vendredi 18 mars à Belgrade (Serbie), les Mondiaux en salle d’athlétisme, Romain Barras, directeur de la haute performance à la FFA, détaille sa double priorité : présenter une équipe compétitive dès Paris 2024 et accompagner l’éclosion d’une jeune génération prometteuse.

Article rédigé par franceinfo: sport - Anaïs Brosseau
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
Romain Barras, lors des championnats d'Europe en salle à Torun (Pologne), le 5 mars 2021. (JEAN-MARIE HERVIO / KMSP)

"Il y a au moins autant d’honneur que de travail à assumer cette fonction." En prenant son poste de directeur de la haute performance à la Fédération française d’athlétisme le 1er février, Romain Barras était bien conscient du long marathon qui l’attendait jusqu’à sa première grande échéance : les Jeux de Paris 2024.

Après le fiasco de Tokyo, une seule médaille, et les polémiques qui ont suivi, l’ancien champion d'Europe du décathlon a l’immense tâche de remettre de l’ordre dans l’athlétisme français et de relancer une équipe en manque de cohésion. Sans oublier de préparer l’avenir. À quelques jours des Mondiaux de Belgrade (Serbie), du 18 au 20 mars, Romain Barras est revenu sur les échéances à venir et ses priorités.

Franceinfo: sport : Seuls dix athlètes français seront du voyage à Belgrade. Pourquoi une sélection si resserrée ?

Romain Barras : Nous souhaitions envoyer uniquement des finalistes potentiels. Cet hiver, la saison en salle n’était pas prioritaire, ni un passage obligé pour les athlètes. Les Mondiaux sont très tardifs et vont amputer la préparation estivale. Ceux qui vont à Belgrade l’ont choisi. Ils s’y rendent pour performer. On y va dans un esprit conquérant et ambitieux.

Kévin Mayer a déclaré forfait. Pascal Martinot-Lagarde s’y rend malgré une alerte musculaire. Que peut-on espérer en termes de médailles ?

Je n’aime pas parler d’objectif de médailles. On peut m’en fixer, mais moi, j’ai une obligation de moyens, pas de résultats. Par contre, je dois tout mettre en place pour aider les athlètes, pour qu’ils réussissent à faire du mieux possible. Mon travail est qu’ils arrivent sur le champ de bataille avec les meilleures armes. Et ensuite, à la fin du championnat, on comptera les médailles et les finalistes. Les compter avant la compétition, c’est le meilleur moyen de les recompter après. J’ai assez à faire en ce moment.

Une seule breloque à Tokyo. Deux aux Mondiaux de Doha, en 2019. Ces dernières années, le bilan comptable de l’athlétisme français est inquiétant. Comment l’expliquer ?

L’athlétisme français est en lent déclin depuis 2010-2011, même si on a connu une embellie en 2016 à Rio et en 2014 aux championnats d’Europe. C’est la fin d’une génération. Mais de cet état des lieux pessimiste, on va pouvoir évoluer vers un constat optimiste car on voit arriver pour Paris 2024 une génération qui a été plutôt performante chez les moins de 23 ans. Puis, pour 2028 viendra la génération des moins de 20 ans d’aujourd’hui, qui est aussi très bonne. De ces constats, on tire deux axes. Comment fait-on pour optimiser les chances de médailles pour Paris 2024 ? Et comment accompagner et transformer les très bons potentiels pour 2028 et 2032 ? 

C’est dès aujourd’hui que nous posons les jalons de ce que nous allons récolter à Los Angeles et Brisbane.

Romain Barras

à franceinfo:sport

Comment rendre l’équipe de France compétitive en deux ans et demi ?

Cela passe par plusieurs choses. D’abord, par une restructuration de la haute performance : on a réduit le nombre de personnes pour fluidifier la descente et la remontée d’informations, avec un seul référent national par spécialité. On a aussi décidé d’intégrer le manager avenir, pour que notre message soit immédiatement déclinable chez les jeunes.

Puis, nous avons identifié les potentiels à accompagner, avec lesquels on doit créer du lien, apporter des solutions et challenger. Il existe différents cercles de suivi. Nous en avons un commun avec l’Agence nationale du sport, qui comporte huit athlètes potentiellement médaillables à Paris. Ils bénéficient de l’accompagnement le plus important.

Nous cherchons aussi à tirer profit de l’avantage de recevoir les Jeux à la maison. Cela passe par la découverte des enceintes en avant-première, avoir des facilités dans le choix des lieux d’entraînement, tirer profit de la relation avec les médias, préparer les athlètes à la pression médiatique, psychologique, familiale, sociale de ces JO. Car on sait que la pression peut galvaniser comme couper les jambes. Enfin, le dernier point est de raviver l’esprit équipe de France.

Comment recréer cette cohésion ?

Souvent, les athlètes se découvrent en partant en stage par discipline. Aujourd’hui, il nous faut créer une équipe de France globale, pas seulement par spécialité. Il faut donc mettre en place des regroupements des meilleurs athlètes toutes disciplines confondues, loin de l’échéance majeure de la saison, afin d’avoir un contexte plus détendu et où des liens pourront se créer. La deuxième chose est de remettre des valeurs d’équité, de clarté et un cadre dans l’ensemble des décisions prises et des modes de fonctionnement.

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La France a longtemps brillé par ses relais. Comment renouer avec cette tradition ?

Les relais, c’est effectivement une tradition, notamment sur le 4x100 m, avec une technique à la française qui nous a valu un record du monde et un titre européen à Split, dans les années 90. Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte mondial, où il n’y a plus une seule équipe novice dans le passage du témoin. Mais ce n’est pas pour autant que nous baissons les bras.

Nous allons continuer à les accompagner et à développer les data analyses. Car ce ne sont pas forcément les quatre individualités les plus rapides qui font le meilleur relais. Or, si on objective les temps de passage, on va pouvoir clarifier les décisions. Ces dernières seront plus facilement acceptées, de sorte que le groupe puisse bien vivre. On travaille aussi sur l’engagement dans un collectif : il faut faire comprendre que la progression individuelle va servir le relais et vice versa.

S’agissant de nos jeunes pépites, comment accompagner leur éclosion ?

Il existe différents niveaux de suivi. Nous avons identifié six athlètes avec un potentiel presque jamais vu dans toute l’histoire de l’athlétisme. Ce sont des jeunes qui ont battu des records de France ou du monde et qui ont des titres mondiaux dans leurs catégories. Il s’agit du hurdleur Sasha Zhoya, du sprinteur Jeff Erius, du sauteur en longueur Erwan Konaté, des lanceurs de marteau Jean-Baptiste Bruxelle et Rose Loga, et du perchiste Anthony Ammirati. Notre but est de les préserver. Il faut que l’accompagnement soit proximal, mais sans trop les choyer. Il faut leur faire comprendre que pour l’instant, ils n’ont rien réalisé. Le plus gros du travail est devant eux. Ils en sont au début de l’aventure.

Ensuite, dans le cadre du projet Ambition 2024, impulsé par Marie-José Pérec, nous avons identifié 56 jeunes de moins de 25 ans, qui ont une trajectoire de performance qui doit les amener à être finaliste en 2024. Vous vous doutez bien que nous n’aurons pas 56 finalistes à Paris. C’est dire la rudesse et la complexité du chemin qui nous amène à la transformation de ces potentiels.

Avec ces jeunes, le manager avenir organise des regroupements où sont abordés des thèmes qui sont des satellites de la performance : la prise de parole en public, la gestion des médias, la préparation mentale... Ce sont des choses qui existaient à la marge auparavant mais qui sont plus poussées et encadrées.

Peut-on s’attendre à en voir certains concourir en senior cet été ?

À Eugene (Etats-Unis, Oregon), nous allons envoyer des athlètes aguerris, capable de briller au plus haut niveau international. Ils devront avoir le potentiel d’être demi-finalistes. Pour performer au niveau mondial, il faut être capable de passer un tour. Il ne s’agit pas d’y aller et de se prendre une claque en série. Car quand on se rend aux Mondiaux pour gagner et qu’on passe un tour, on prend de l’expérience. Mais quand on se prend une claque, c’est un peu aléatoire : certains vont avoir une réaction d’orgueil et réagir la saison d’après, d’autres seront découragés.

Nous avons la chance cette année d’avoir des Mondiaux suivis d'un championnat d'Europe. Ce qui nous permet d’amener aux Europe une équipe élargie avec des athlètes qui vont pouvoir découvrir un premier niveau de concurrence internationale, où il sera toujours question de gagner mais dans un contexte favorable. Les Europe de Munich (Allemagne) représentent la première marche vers Paris 2024. Le but, c’est de monter en puissance : Munich 2022, les Mondiaux de Budapest 2023, Paris 2024.

Les jeunes vont s’aguerrir et côtoyer des athlètes qui vont chercher à rentrer en finale voire à gagner. Il va y avoir un beau melting pot. C'est là aussi que va commencer à se créer l’esprit équipe de France.

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