Championnats européens 2022 : Kevin Mayer, un abandon pour éviter les traumatismes physiques et nerveux causés par le décathlon
L'abandon préventif du Français dès la première épreuve, lundi, aux Championnats européens d'athlétisme, rappelle combien l'intensité de la discipline pèse sur le corps des athlètes.
Pas d'exploit pour Kevin Mayer. Trois semaines après son second titre de champion du monde à Eugene (Etats-Unis), le Français a préféré abandonner dès la première épreuve du décathlon des Championnats européens de Munich, lundi 15 août, pour "arrêter avant de se blesser".
Le double vice-champion olympique s'était rendu à Munich en quête d'un doublé rare, qui aurait été réalisé en moins d'un mois. Un "objectif incroyable" selon ses propres mots, mais difficilement atteignable. "J'ai peut-être eu les yeux plus gros que le ventre", a souligné le décathlonien.
Un effort physique éprouvant
Disputer un décathlon laisse des traces. Certes, "le temps d'effort physique pur ne dépasse pas, en cumulé, sept minutes sur les deux jours de la compétition", explique Gaëtan Blouin, responsable des épreuves combinées à la Fédération française d'athlétisme (FFA). Cependant, "on tord le corps dans tous les sens pour lancer, courir, sauter. Les traumatismes de dix disciplines s'ajoutent les uns aux autres pour le corps, qui met une à deux semaines à récupérer", souligne-t-il.
"A chaque épreuve, il y a des microlésions, les muscles doivent se régénérer."
Gaëtan Blouin, responsable des épreuves combinées à la FFAà franceinfo: sport
Or les épreuves s'enchaînent pendant deux jours "pleins", laissant peu de temps à la récupération. "Baptiste [Thiery, 21 ans, l'autre Français engagé sur le décathlon] a réussi à faire une heure de sieste avant de recommencer à s'échauffer, lundi. Hier soir, il s'est couché à minuit, au mieux, et le petit-déjeuner était à 5h30, donc le corps n'a pas pu totalement récupérer, raconte Gaëtan Blouin. Ce mardi, il y aura une grosse fatigue accumulée, et c'est aussi cela qui fait qu'en épreuves combinées, on est plus susceptible de se blesser."
Seuls sept athlètes présents aux Mondiaux ont fait le déplacement à Munich, 22 jours plus tard."Trois n'ont pas pris le départ car ils n'étaient pas totalement remis du rendez-vous d'Eugene, sans compter Kevin. Les kinés des équipes sont très sollicités. Il ne serait pas étonnant d'en voir d'autres s'arrêter en plein concours", estime le membre de la FFA.
"Kevin monte très haut dans les tours"
Outre la fatigue physique, "le décathlon est traumatisant d'un point de vue nerveux", explique le responsable des épreuves combinées. "Il faut généralement trois à quatre semaines pour que l'euphorie redescende."
"Certains se remettent vite de leurs émotions", précisie Stéphane Diagana, champion du monde du 400 mètres haies et consultant pour France Télévisions. Kevin Mayer n'en fait pas partie. "Pendant la compétition, Kevin monte très haut dans les tours, en termes d'influx nerveux, d'adrénaline, c'est ce qui lui permet de faire des choses exceptionnelles. Mais derrière, il a des chutes nerveuses impressionnantes. Tout cela fait que sa récupération commence bien après celle des autres, et qu'il lui est beaucoup plus compliqué d'enchaîner", confirme Gaëtan Blouin.
Voilà pourquoi Kevin Mayer se limite habituellement à un décathlon par saison. "C'est comme ça qu'il envisage son sport, c'est un événement qu'il sacralise", résume Stéphane Diagana. Le dernier enchaînement de deux compétitions de la part du Français remonte à 2018. Cette année-là, il n'a pas terminé le décathlon des championnats d'Europe de Berlin, début août, à la suite de trois échecs au saut en longueur, avant de pulvériser le record du monde au Décastar de Talence (Gironde), mi-septembre.
S'il ne dispute qu'un seul décathlon dans une saison, il s'entraîne continuellement pour son événement annuel. "Il pense constamment à son échéance, détaille Gaëtan Blouin. C'est la grande différence avec les footballeurs par exemple : ils ont des matchs toutes les semaines, alors que nous, on n'a pas de résultats réguliers. On travaille d'arrache-pied pour un ou deux événements dans l'année. Les sports collectifs nous qualifient de masochistes, parce qu'il n'y a pas de trêve psychologique."
Ce nombre réduit de participations à des événements explique la peur immense de la blessure. "Notre échéance est tellement lointaine, il peut se passer tellement de choses entre-temps, tout est très incertain, souligne Gaëtan Blouin. Mais une fois que le résultat est passé, la pression et la tension retombent, et les vacances sont les bienvenues."
"Je ne veux surtout pas partir en repos sur une blessure et avoir une dette pour la saison prochaine", avait prévenu Kevin Mayer avant la compétition. Il avait connu une telle mésaventure en se blessant aux Mondiaux de Doha, en 2019. Cette fois, le Français peut s'octroyer une longue coupure ("au moins trois ou quatre mois", confiait-il la semaine dernière) l'esprit tranquille. Et ainsi préparer au mieux les Mondiaux de Budapest, son objectif de 2023.
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