Comment un marathon pourrait être couru en moins de 2 heures dès cette année
Une course au record, à laquelle participent des coureurs, des équipementiers sportifs et des scientifiques, est lancée pour passer sous cette mythique barrière temporelle. Mais pour y parvenir, encore faut-il agir sur une dizaine de paramètres.
En 1986, le magazine Runners World a demandé à plusieurs marathoniens de premier plan quel serait le record du monde de l'épreuve en 2050. Un seul a répondu 2 heures, Alberto Salazar, aujourd'hui coach controversé du fondeur britannique Mo Farah. 2050 ? La barrière mythique pourrait bien tomber samedi 5 mai, à Monza (Italie), alors que le record actuel (qui date de 2014, à Berlin), détenu par le Kényan Dennis Kipruto Kimetto, est de 2 h 2 min 57 s. Scientifiques et marques se sont lancés dans la course aux 2 heures depuis quelques années, avec des ambitions élevées et des délais réduits. Sur le papier, le physiologiste Michael Joyner a calculé, en 1991*, que l'homme pouvait, dans un grand jour, boucler l'épreuve en 1 h 57 min 58 s. La recherche scientifique a depuis établi qu'il lui faudrait un paquet de paramètres de son côté. Voici les principaux.
Un parcours aux petits oignons
Le record du monde du marathon a été battu 44 fois, mais sur six parcours seulement : Berlin, Dubaï, Rotterdam, Francfort, Chicago et Londres. Le célèbre marathon de New York est considéré comme trop difficile, avec une côte redoutable au début. N'allez pas croire qu'on peut organiser un marathon sur mesure avec 42,195 km de descente pour battre le record : pour être homologué, le temps du coureur doit être effectué sur une course sinueuse, sur une boucle où le site du départ et celui de l'arrivée sont distants, à vol d'oiseau, de moins de 21 km, et avec un parcours dont le dénivelé est limité à une moyenne d'un mètre par kilomètre. C'est ainsi que les temps établis au marathon de Boston ne sont pas comptabilisés pour le record du monde, le circuit ne respectant pas les règles sur le dénivelé.
Pour certains des acteurs lancés dans la course au record, ce ne sont que considérations secondaires : Nike, qui a promis que le record serait battu en 2017, organise son propre marathon à Monza (Italie), en dehors du circuit classique, pour prouver qu'on peut courir 42,195 km en moins de deux heures. Renato Canova, un entraîneur italien qui s'occupe de plusieurs spécialistes de la distance, compare le projet de Nike, baptisé Breaking2, à du cirque : "Si vous prenez Eliud Kipchoge ou Kenenisa Bekele [les meilleurs spécialistes de la discipline], qu’ils deviennent un peu plus forts qu’ils ne le sont actuellement, que vous les prenez sur un marathon couru 50 mètres en dessous du niveau de la mer, que vous avez une voiture ou une moto comme pacemaker, que vous les autorisez aussi à prendre leurs ravitaillements comme ils le souhaitent, et non pas tous les 5 km, je pense que ce sera possible d’atteindre ce temps", peste-t-il dans une interview au site LetsRun.
Une température frisquette
Contrairement à une idée reçue, il faut qu'il fasse sacrément frisquet pour qu'un coureur au top de sa forme explose les records dans un marathon. Selon une étude de l'Insep, la température optimale doit tourner autour de 4 °C pour qu'un coureur aguerri donne le meilleur de lui-même. Ce qui contredit frontalement l'usage, qui veut que les records tombent lors des courses organisées en avril ou en octobre dans l'hémisphère Nord, où le mercure tourne plutôt autour de 10 °C.
Des chaussures magiques ?
Le passage des pistes d'athlétisme de la cendre au tartan actuel a permis un gain de 1,5% des performances, rappelle le site Sport Scientist. Où se situent les progrès technologiques pour aider les coureurs à passer sous la barre des 2 heures ? Peut-être sous leurs pieds. Adidas affirme que son nouveau modèle, la Adizero Sub2, qui doit sortir prochainement, permet de consommer 2% d'oxygène en moins pour effectuer la même distance. "Pour un athlète capable de courir le marathon en 2 h 3 min, c'est un gain de deux minutes et demie", remarque Alex Hutchinson, journaliste au magazine Runners World.
Adidas claims 2% boost from its new Adizero Sub2 racing flat. For a 2:03 marathoner, that's 2.5 minutes. https://t.co/bWmBlE0es5
— Alex Hutchinson (@sweatscience) 24 février 2017.
Un entraînement spécifique qui fait la différence
Faire descendre le record du marathon sous les 2 heures suppose un gain de près de 3% en performance. Comme si Usain Bolt se mettait à courir en 9 secondes 35 (au lieu de 9 secondes 58) aux 100 mètres, ce qui semble difficilement concevable. La marathonienne britannique Paula Radcliffe y est parvenue, en 2003, en portant le record chez les femmes à 2 h 15, temps qui tient toujours aujourd'hui. Elle met cet exploit sur le compte des gains marginaux, des progrès mineurs dans plusieurs compartiments de la préparation qui, combinés, permettent de grands progrès. La même Radcliffe avait spectaculairement progressé en saut en longueur, sa discipline originelle, grâce à une musculation visant à renforcer les tendons, qui agissent comme des ressorts dans cet exercice, rappelle Runners World.
Et oui, "gains marginaux", c'est l'explication que donne l'équipe cycliste Sky, où évolue Christopher Froome, pour justifier leur domination insolente sur le Tour de France.
Un morphotype idéal
Jusque dans les années 1990, le prototype du marathonien était plutôt grand. Depuis, la taille des vainqueurs de grands marathons s'est sacrément réduite, pour tourner aujourd'hui autour de 1,70 m. L'âge moyen des vainqueurs a aussi régressé : il est passé de 30 à 27 ans en moyenne en quelques décennies.
Il existe aujourd'hui différents profils de marathoniens, qu'on pourrait résumer par les trois profils de coureurs sélectionnés par Nike pour son projet Breaking2 : Eliud Kipchoge (1,67 m, 57 kilos), Kényan médaillé d'or aux JO de Rio, et considéré comme le meilleur marathonien du moment ; Zersenay Tadese (1,60 m, 54 kilos), un Erythréen de 34 ans, recordman du semi-marathon, qui est le coureur le moins énergivore du circuit d'après les tests de Nike ; Lelisa Dedisa (1,70 m, 57 kilos), un Ethiopien double vainqueur du marathon de Boston, spécialiste des circuits plats.
Des boissons du troisième type
Oubliez l'eau. La boisson du marathonien qui descendra sous les 2 heures s'élabore en laboratoire. Jos Hermens, un des cerveaux d'un autre projet scientifique sur le sujet, Sub2, explique dans une interview au site américain Deadspin les secrets de la boisson "high-carb", riche en glucides, élaborée par son équipe, qui aurait fait gagner 30 secondes au coureur éthiopien Kenenisa Bekele avant le marathon de Berlin en 2016 (qu'il a gagné en 2 h 3 min 3 s). Testée sur des cobayes à l'entraînement, cette boisson élaborée par une société suédoise permet de refaire le plein sans mettre le ventre de l'athlète sens dessus dessous. Pour pouvoir dépasser les apports en glucose que l'organisme est capable de digérer, le produit est enfermé dans des capsules à dissolution lente pour ne pas surcharger l'estomac dès le départ, et prolonger la diffusion du glucose. Beurk ?
Yannis Pitsiladis, la tête pensante du projet Sub2, spécialiste du sport à l'université de Brighton, au Royaume-Uni, a même tenté de donner une pinte de crème fraîche épaisse aux coureurs avant un marathon, pour leur apporter un maximum de graisse et retarder le moment où l'organisme puise dans ses réserves. Re-beurk ?
Des capteurs partout. Vraiment partout
Les scientifiques rêvent de vêtements connectés qui pourraient prévenir d'un changement dans le rythme cardiaque des champions à la minute près. Yannis Pitsiladis souhaiterait faire avaler des capteurs à ses champions pour ausculter leur estomac en live. On parle d'un scientifique qui s'est aussi servi des satellites pour calculer l'hydratation de ses poulains en fonction de la météo lors du marathon de Dubaï, rappelle le New York Times, qui lui avait consacré un long portrait.
Une gestion de course contre-intuitive ?
Pour courir un marathon en 2 heures, il faut réussir à tenir la cadence de 2 min 50 s au kilomètre. L'actuel recordman du monde, Dennis Kimetto, y est parvenu lors du marathon de Berlin en 2014... pendant cinq bornes, du 30e au 35e kilomètre, le moment le plus dur de la course, souvent qualifié de "mur".
La technique de course adoptée par les Kényans et les Ethiopiens consiste à lentement monter en cadence. La meilleure première moitié de course chronométrée sur un marathon date de 2016, quand Kenenisa Bekele et Wilson Kipsang ont parcouru 21 km en 1 h 1 min. Il aurait pratiquement fallu qu'ils battent le record du monde du semi-marathon pour finir la course sous les 2 heures, note le Guardian. Or, constate l'entraîneur américain Glenn Latimer sur la BBC, la foulée des coureurs se dégrade fortement en fin de course : "C'est inévitable, le corps commence à lâcher. C'est déjà très dur de ne pas ralentir."
Et si le secret était de partir très fort, et de chercher à tenir ensuite ? Un chercheur de l'université de Northumbria (Royaume-Uni) a permis à une dizaine de cyclistes d'améliorer leur record de 2% en truquant leurs compteurs de vitesse, souligne Science Daily. Chez Nike, on apprend aux athlètes à s'entraîner moins vite pour moins les fatiguer, et mieux calculer leurs plages de repos, raconte le magazine Wired, l'un des deux médias choisis par la marque à la virgule pour communiquer sur le projet Breaking2.
Un lieu d'entraînement sous le niveau de la mer ?
Live high, train low. L'entraînement idéal résumé en quatre mots : vivre en altitude, pour que le corps fabrique davantage de globules rouges, et ait ainsi la capacité de transporter plus d'oxygène aux muscles. Et s'entraîner au niveau de la mer, pour pouvoir pousser son corps dans ses retranchements sans souffrir de l'oxygène raréfié en altitude.
Les scientifiques cherchent désormais à trouver le petit plus qui fait la différence. Deux pistes sont explorées : le train high, live higher des Ethiopiens et des Kényans, qui s'entraînent en altitude, mais vivent encore plus haut. Ou l'option radicalement inverse de s'entraîner sous le niveau de la mer, près de la mer Morte, en Israël par exemple, où il y a 5% d'oxygène de plus à respirer en raison de la forte pression barométrique.
Les coureurs ne seront jamais égaux face aux globules rouges. Le Journal of Applied Physiology a estimé, en 2011, qu'avoir passé les neuf mois de gestation dans le ventre de sa mère en altitude représentait un avantage considérable pour un futur marathonien. Avis à nos lecteurs montagnards...
Une stimulation psychologique au poil
La science, c'est bien, l'appât du gain, c'est mieux. C'est ce qu'on pourrait retenir de deux expérimentations des organisateurs des marathons d'Amsterdam et de Dubaï. Les premiers ont indexé le prize money (les gains) sur le temps des coureurs en 1999. Aussitôt, six coureurs ont explosé le record de la course de plus d'une minute et demie. Le second, l'émir de Dubaï, a mis en jeu 200 000 dollars pour le vainqueur et 100 000 en cas de record du monde. Son marathon, disputé dans des conditions climatiques pas franchement optimales (avec notamment beaucoup de vent), est devenu l'un des plus rapides du circuit en quelques années à peine.
*Tous les liens de médias sont en anglais.
Lancez la conversation
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.