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"Je regardais la vidéo de ma course 20 fois par jour" : le retour difficile des athlètes après les Mondiaux

Les Mondiaux d'athlétisme de Londres ont pris fin dimanche 13 août. Franceinfo a demandé aux athlètes français de raconter leur "après".

Article rédigé par Camille Adaoust
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 10min
Mamadou Kassé Hann n'est pas parvenu à se qualifier pour la finale du 400 m haies, lors des Mondiaux d'athlétisme de Londres, le 7 août 2017. (JEWEL SAMAD / AFP)

Après dix jours intenses, exaltants et éreintants, ils ont quitté le stade olympique de Londres (Royaume-Uni). Lundi 14 août, les athlètes français ont traversé la Manche pour rentrer des Mondiaux d'athlétisme. Retour au quotidien, donc, pour les participants tricolores.

Si certains, médaille au cou, avaient le sourire aux lèvres, d'autres sont revenus "avec un goût amer". "On garde en tête notre échec, et la revanche n'est prévue que pour dans deux ans", explique Teddy Atine-Venel, qui n'a pas passé le cap des séries au 400 m. Entre déception, fatigue et reprise, franceinfo vous raconte le retour difficile des athlètes après les championnats.

"Une énorme déception"

"Je n'ai vraiment pas réalisé les championnats que j'espérais." S'il ne visait pas forcément la médaille, Teddy Atine-Venel souhaitait au moins battre son record personnel. "J'ai été éliminé dès les séries. J'ai l'impression de ne pas avoir couru du tout", raconte-t-il à franceinfo. Pour lui, c'est un "coup de massue". Mêmes conclusions pour sa participation au 4 x 400 m. "On pouvait espérer mieux. Ça fait mal au cœur parce qu'on s'est qualifiés, mais ça a été la désillusion derrière." Les Bleus ont terminé à la huitième – et dernière – place. 

Teddy Atine-Venel est éliminé lors des séries du 400 m, aux championnats du monde d'athlétisme de Londres, le 5 août 2017. (JEWEL SAMAD / AFP)

Mamadou Kassé Hann, spécialiste du 400 m haies, visait, lui, la finale mais s'est arrêté juste avant. Il a du mal à s'en remettre. "J'étais préparé, au top, en forme ! Mais parfois ça arrive, regrette-t-il. Pour le moment, c'est difficile de penser à autre chose." Il était arrivé en Angleterre avec la dixième performance de l'année, était en tête de sa demi-finale avant la dernière haie, sur laquelle il a piétiné, pour finalement terminer sixième, en 50 sec 35.

Après la course, pendant trois jours, je ne dormais pas, je n'avais pas envie de manger. J'y pensais toujours et je regardais la vidéo vingt fois par jour.

Mamadou Kassé Hann

à franceinfo

"Il y a un engagement très fort chez les athlètes de haut niveau, alors quand ils n'atteignent pas leurs objectifs, ils s'en veulent beaucoup", explique Meriem Salmi, psychologue à l'Institut national du sport, de l'expertise et de la performance, qui conseille des athlètes de haut niveau. "Ils regrettent de ne pas avoir fait ce qu'ils auraient dû. Ils peuvent aussi être déçus d'avoir déçu, que ce soit leurs proches, leur encadrement technique ou le public", décrypte-t-elle.

Il y a aussi parfois une honte. J'ai vu des athlètes se cacher pour pleurer. Il y a beaucoup de tristesse dans cette période-là.

Meriem Salmi

à franceinfo

Pour Maeva Danois, ces paroles font sens. "Après avoir franchi la ligne d'arrivée, dans la minute qui a suivi, j'ai ressenti une énorme déception par rapport au chrono", décrit cette participante au 3 000 m steeple. Elle a fini huitième. Avec la déception vient également un sentiment de démoralisation. "Ils ont l'impression qu'il faut tout recommencer, qu'il faut repartir de zéro", analyse Meriem Salmi. "C'est difficile de se dire qu'il faut tout reprendre, repasser par toutes les phases d'entraînement", juge en effet Maeva Danois. La jeune athlète de 23 ans reste toutefois positive. "Mon entraîneur m'a immédiatement fait remarquer le bon dans tout ça. Ma place européenne, par exemple. Ça m'a aidé", tempère-t-elle.

La Française Maeva Danois participe au 3 000 m steeple lors des Mondiaux d'athlétisme de Londres, le 9 août 2017. (JULIEN CROSNIER / DPPI MEDIA / AFP)

C'est en effet le principal conseil que donne Meriem Salmi : "Il faut absolument se concentrer sur des éléments constructifs. Évidemment, gagner restera toujours fondamental pour un sportif de haut niveau, mais être capable de se qualifier pour des Mondiaux, par exemple, c'est déjà énorme", relativise-t-elle. Pour la psychologue, il faut aussi "capitaliser" sur cette expérience, "comprendre pourquoi on est passé à côté de l'épreuve en débriefant". Il est enfin primordial de rappeler à l'athlète "sa valeur". "Ils ne sont pas que des médailles, ils se définissent aussi par leurs qualités", défend-elle, listant "pugnacité", "courage" et capacité à "se dépasser". "Tout ça fait d'eux des champions." 

"Toutes les petites douleurs se réveillent"

Si certains athlètes reviennent déçus des Mondiaux, tous en ressortent exténués. "Ça va au-delà de la fatigue, note Meriem Salmi. Ils sont complètement épuisés." Teddy Atine-Venel confirme : "Je suis allé faire des courses. En sortant de la voiture, il m'a fallu quelques minutes pour marcher normalement. Mes tendons d'Achille me font mal. Mon dos aussi, énumère l'athlète. Les petites choses anodines du quotidien sont plus douloureuses après les Mondiaux. Au réveil, je dois attendre trente minutes ou une heure avant de me sentir bien."

"Dès que mon corps a compris que la compétition était terminée, je suis tombée malade. J'ai l'impression qu'il a déchargé toute la pression d'un coup", décrit quant à elle Maeva Danois, qui évoque un "essoufflement complet". Car après les championnats, "toutes les petites douleurs se réveillent", raconte Mamoudou-Elimane Hanne, coureur de 400 m.

Pendant la compétition, on les oubliait, on les étouffait. Et puis là, elles refont surface. Des petites tendinites à droite, à gauche…

Mamoudou-Elimane Hanne

à franceinfo

Mais pour certains, pas le temps de recharger les batteries. "Beaucoup enchaînent sur des meetings ou d'autres compétitions", décrit Meriem Salmi. C'est le cas d'Alexandra Tavernier. "Je suis en stage préparatoire pour les Universiades, explique la Française, spécialisée en lancer de marteau. Je n'ai pas pris de pause, sinon ça aurait été plus dur de reprendre."

D'autres retournent au travail. Teddy Atine-Venel fait partie du dispositif athlète de la SNCF, où il est agent commercial en gare. Mamoudou-Elimane Hanne a quant à lui créé son entreprise, spécialisée dans la fabrication de produits de bien-être. "C'est extrêmement difficile de concilier les deux", commente ce dernier, qui dit parfois "accumuler la fatigue". "On s'entraîne 2h30 à 3 heures par jour, il y a aussi les soins, deux fois par semaine. Avec ça, difficile de faire, en plus, 35 heures", ajoute Teddy Atine-Venel.

Le "blues" de l'athlète

Malgré cette fatigue, donc, il faut retourner à la "vie réelle". Or, la rupture est souvent brutale. "Les athlètes ont des journées énormément chargées pendant la préparation aux Mondiaux et pendant la compétition, puis d'un coup cette agitation s'arrête. Tout retombe et ils sont bien moins sollicités", décrit Meriem Salmi. Après des mois de préparation, "il n'y a plus d'objectif". La psychologue appelle ce phénomène le "blues" de l'athlète : "Il arrive fréquemment après trois échéances : les JO, les Mondiaux et les championnats d'Europe." Cette "panique" se fait ressentir pendant quelques-unes de ses consultations : "Certains me demandent : 'Mais qu'est-ce que je vais faire maintenant ?'"

Un "vide" que connaissent bien les athlètes interrogés par franceinfo. Pour l'un, c'est l'ambiance qui manque. "En grand championnat, c'est extraordinaire. Tout le public nous regarde. Ça fait plaisir de se sentir respecté et supporté", dépeint Teddy Atine-Venel. Il se souvient : "Ma toute première entrée dans le stade des Mondiaux, j'ai eu un énorme coup de boost. Le public criait pour les séries. Ça fait comme une vague d'ondes dans le corps et on a qu'une envie : courir."

Teddy Atine-Venel
Teddy Atine-Venel Teddy Atine-Venel

Après cette ambiance électrisante, le silence est assourdissant. "A l'entraînement, il y a beaucoup, beaucoup moins de monde", euphémise le sprinter. Pour mieux se remettre, Maeva Danois a choisi de faire une coupure nette. "Je suis en vacances", raconte-t-elle depuis la plage. Et c'est là une excellente réaction, approuve Meriem Salmi. "En consultation, je leur conseille de relâcher. C'est très important de couper", fait-elle valoir. Mais tous ne sont pas réceptifs. Parmi ses patients, certains ont beaucoup de mal à se sortir l'athlétisme de la tête. "Pour eux, c'est une passion, une histoire d'amour avec ce sport." Mais qu'à cela ne tienne, Maeva Danois le dit fièrement : "J'ai laissé les baskets à la maison." Avant d'ajouter : "Ça fait tout drôle."

Entretien en perspective

Malheureusement, tous ne peuvent pas se permettre de partir en vacances. A peine les pointes reposées, Mamadou Kassé-Hann a dû enfiler son costume. Pendant les Mondiaux, l'athlète expliquait être à la recherche d'un travail. "Je ne gagne pas grand-chose", précisait-il, en direct sur France 3. Après son intervention, il a reçu des propositions et rencontré le maire de Montpellier, où il réside. "Il a dit qu'il allait m'aider", résume l'athlète. Il devait également rencontrer les responsables d'un magasin Décathlon, fin août, quelques mois après leur avoir envoyé son CV. 

Il n'est pas seul à devoir se soucier de l'aspect financier après ces Mondiaux. "Tous les athlètes n'ont pas de gros sponsors derrière eux", tient à souligner Teddy Atine-Venel. Et la préparation à la prochaine étape est onéreuse, comme le détaille Mamoudou-Elimane Hanne : "Il y a les stages, les soins de kiné, etc. Pour préparer les grandes échéances dans de bonnes conditions, il faut compter de 20 000 à 25 000 euros par an, je pense. C'est une somme conséquente."

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