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Les conséquences du confinement sur les athlètes, décryptées par Stéphane Diagana

En cette période de confinement, provoquée par la propagation du Covid-19, les sportifs de haut niveau ne sont évidemment pas épargnés. En athlétisme, les conséquences sur les corps des athlètes sont importantes mais surtout bien différentes en fonction de chaque spécialité. Des marcheurs, en passant par les sprinteurs, les différents lanceurs et jusqu'aux décathloniens, notre consultant et ancien champion du monde du 400m haies, Stéphane Diagana, ne laisse personne sur le côté et nous éclaire sur les impacts du confinement chez tous les athlètes.
Article rédigé par Quentin Ramelet
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 9min
  (PHILIPPE MILLEREAU / DPPI MEDIA)

► Le contexte

"Tout d’abord, il est essentiel de rappeler que si le confinement a certes un impact sur la condition physique du sportif (...), il a au moins autant que pour tout un chacun, un impact négatif sur la condition psychologique du sportif. En effet, même dans le cas des sports 'dits individuels', l’athlète évolue le plus souvent dans sa pratique au sein d’un groupe, qui constitue un puissant moteur de motivation. Dans ces conditions, seuls les sportifs les plus autodéterminés seront à même d’entretenir dans la durée, une pratique régulière et adaptée, à même de limiter les effets négatifs du confinement sur leur condition physique. Ceux-ci seront ainsi les plus à même, tant sur la plan physique que mental, de vite retrouver le chemin de la performance à la sortie du confinement. La qualité de l'accompagnement à distance et le soutien des entraîneurs, des partenaires d’entraînement et de l’ensemble du staff constitueront également des atouts majeurs dans ce sens.

Il faut aussi noter que le niveau de pratique d’activité physique des sportifs est très structurant de leur quotidien. Il conditionne aussi très fortement la régulation des humeurs. Une baisse très forte du niveau d’activité physique associé à une déstructuration forte du quotidien et à la distanciation sociale, pour l'athlète qui entretient parfois des liens très forts avec des membres de son entourage sportif du fait des émotions fortes vécues ensemble, est peut-être plus à même de causer des désordres psychologiques chez ce dernier."

► La marche

"Pour un marcheur, nous sommes à peu près dans le même contexte sur le plan physiologique que pour un fondeur ou un demi-fondeur. Une absence de pratique prolongée de la marche athlétique aura néanmoins potentiellement pour conséquence de faire perdre à un marcheur sa technique, avec là aussi des conséquences sur le rendement du geste, mais aussi sur la validité technique de sa marche. Dans une épreuve où celle-ci est jugée, et où un défaut technique peut engendrer pénalités et disqualification, l’enjeu est d’importance. Toutefois, pour un marcheur avec une longue carrière derrière lui, comme c’est le cas pour Yohann Diniz, il faudrait un très long temps de confinement pour que ceci se produise."

► Le demi-fond et le fond (Du 800m au marathon)

"Pour ce qui concerne les demi-fondeurs, qui sont des « stakhanovistes » de l’entraînement, il est en temps normal souvent très difficile pour eux de couper trois jours de suite sans se demander s’ils ne sont pas en train de perdre leurs acquis. Pour ces athlètes qui sont souvent à la limite du surentraînement, la première semaine de confinement est au global sans grande conséquence et peut-être même bénéfique. Si les règles de confinement et de distanciation sociale en France permettent, comme c’est le cas aujourd’hui, de sortir une heure par jour pour s’aérer en restant à 1km de chez soi et que l’environnement est favorable, cela devrait permettre pour le demi-fond (800m au 3000m) de conserver une qualité et un volume d’entraînement à même de limiter au mieux les effets négatifs du confinement.

Ce sera bien évidemment plus problématique pour le fond (5000m au marathon). Il n'y a pas de difficulté majeur pour les séances peu intenses, mais l’absence du groupe se fera sentir pour les séances plus dures, que ce soit sur les séances longues au seuil anaérobie, ou sur les plus courtes à VMA, et sur celles de fractionné et de vitesses réalisées habituellement sur piste. Le 'désentraînement' potentiel a pour les athlètes de ces disciplines aérobie un impact majeur sur les différentes composantes de la chaîne d’approvisionnement en oxygène de la cellule musculaire. Une étude réalisée chez des cyclistes très entraînés (Coyle et al. 1985/1986, ndlr) montrent en effet que la privation d’entraînement provoque au bout de douze semaines une baisse de 15% du VO2max, indicateur de performance essentiel des disciplines d’endurance, qui correspond à la consommation maximum d’oxygène par unité de temps et donc à la puissance maximum de production d’énergie par la filière aérobie.

La moitié de la baisse constatée se produit dans les deux premières semaines (7%). (...) Il est donc impératif de trouver des solutions pour maintenir une activité à dominante aérobie sans négliger le renforcement musculaire spécifique. Un bon vélo d’appartement et un tapis permettent de varier les efforts et de limiter ses sorties."

► Les sprints (100m à 400m)

"La situation sur les distances les plus courtes (100m/200m/100m haies/110m haies) sera particulièrement compliquée par le fait de ne pas pouvoir accéder à une piste. Le travail sur piste avec pointes est en effet le seul à solliciter l’organisme sur le plan musculo-tendineux avec une intensité maximale. Pour les hurdlers, du 100m haies au 400m haies, le confinement peut entraîner une perte dans la finesse de prise d’information visuelle ou kinesthésique essentielle à la coordination du geste de franchissement. En revanche, la force essentielle à ces disciplines, c'est que la vitesse ne diminue que très peu dans les premières semaines.

Enfin, pour le sprinteur et le hurdleur, l’absence d’exercices à haute intensité, sollicitant avec exigence les groupes musculaires de la cuisse, des ischio-jambiers et des quadriceps, dans leur couplage agoniste/antagoniste, entraînerait non seulement une perte sur le plan du niveau de performance à la reprise, mais aussi un risque accru de blessure au moment de celle-ci si le temps est compté pour revenir au plus haut niveau. Le travail en côte, traditionnellement intégré dans l’entraînement, du sprint au demi-fond, à pente modérée (3 à 5%), peut permettre de bien travailler la spécificité physiologique des courses de 400m et de 400m haies."

► Les sauts (longueur, hauteur et perche)

"Pour un sauteur ou un lanceur, les enjeux seront comparables. La prise d’information externe venant s’ajouter pour les sauteurs comme pour les hurdlers à la prise d’information, du fait des contraintes de barre à franchir ou de planches d’appel à respecter et optimiser. L’absence d’accès au stade, sauf pour quelques privilégiés ayant des sautoirs dans leur jardin comme Renaud Lavillenie ou Mondo Duplantis, constitue un obstacle majeur au travail spécifique en condition réelle, plus important que pour les demi-fondeurs ou fondeurs."

 

► Les lancers (Javelot, poids & marteau)

"L’entraînement en force est primordial pour les lancers mais aussi la vitesse d’exécution. Il est impossible en appartement de travailler en squat avec des charges dépassant largement les 200kg. Mais c’est envisageable dans le garage ou la cave aménagés en salle de musculation d’une maison avec un petit bout de terrain autour de celle-ci. Et enfin, de tous les athlètes, le lanceur de poids serait sans doute le moins pénalisé par un long confinement."

► Le décathlon et l’heptathlon

"À l’inverse, les décathloniens et les heptathloniennes, compte tenu de la large palettes d’aptitudes qu’il leur est nécessaire de maintenir, sont sans doute les plus handicapés par cette situation."

► Et maintenant, quelles solutions ?

"En imaginant qu’ils n’aient aucune obligation de courir en 2020, que les compétitions reprennent en juin et que les contraintes puissent permettre un entraînement quasi-normal dès le début mai, les athlètes auraient aujourd’hui deux alternatives. Ils pourraient opter pour une saison sans compétition sur la période juin-octobre 2020 et pratiquer un travail d’entretien en confinement. Ils seraient ainsi libérés de l’angoisse de ne pas être prêts pour les compétitions. Une reprise classique en octobre 2020 permettrait alors de préparer dans de bonnes conditions les Jeux Olympiques de Tokyo qui auront lieu du 23 juillet au 8 août 2021. Dans le cas contraire, il leur faudra être vigilant et se contenter d’une saison courte, septembre-octobre, car le confinement devrait causer une importante baisse de condition physique et de niveau. Toute reprise hâtive pourrait conduire à des blessures risquant de contrarier le début de préparation pour les JO."

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