F1 : comment Renault est passé d'un moteur champion du monde au moteur le moins puissant de la grille ?

Fin septembre, après plusieurs saisons sans résultats, la direction de Renault a confirmé l'arrêt en 2026 de la production de moteurs de Formule 1, qui équipaient les monoplaces de son écurie Alpine.
Article rédigé par Hortense Leblanc
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
L'Alpine d'Esteban Ocon lors des essais libres du Grand Prix de Singapour, le 20 septembre 2024. (MORGAN HANCOCK / AFP)

D'anonymes 14e et 15e places au sprint à Austin (Texas) samedi 19 octobre, une avant-dernière place au classement des constructeurs… Pour Alpine, la saison 2024 de Formule 1 semble presque interminable. Pour espérer retrouver le devant de la scène, le groupe Renault, maison-mère, a annoncé l’abandon de son programme moteur, qui équipait ses monoplaces. Les Alpine rouleront, à partir de 2026, avec un moteur Mercedes. Un désaveu après les résultats décevants des dernières années, et la fin d’une success story.

Les heures de gloire de Renault semblent désormais bien loin. Pourtant deuxième motoriste le plus titré de l’histoire de la Formule 1 (10 titres constructeurs) avec notamment Williams (entre 1992 et 1997), Benetton (entre 1995 et 1997) ou Red Bull (2010-2013), la firme au losange ne parvient plus à faire briller son moteur ces dernières années

a a commencé à s’émousser à la fin du partenariat avec Red Bull", en 2018, estime Bruno Mauduit. Responsable de la mise au point et de l’exploitation en Grand Prix des moteurs Renault F1 entre 1981 et 1999, il a connu les plus grandes heures de la marque. Après avoir révolutionné la F1 à la fin des années 70 avec les moteurs turbo, Renault a raté la transition vers l’ère hybride. Conséquence : la fin de l’histoire entre le motoriste et l’écurie Red Bull, sur fond de règlements de compte par presse interposée qui n’ont pas redoré la réputation des moteurs produits à Viry-Chatillon (Essonne).

Plus de point de comparaison possible sans écurie cliente

Renault se retrouve alors sans écurie cliente et devient la seule à utiliser ses moteurs. "Ce n’est jamais rentable de produire un moteur, et ça ne l’est pas plus si on a des écuries clientes car le marché est réglementé par la FIA, avec un prix fixe largement inférieur au coût", explique Cyril Abiteboul, ancien directeur général de Renault F1 Team et consultant franceinfo: sport. Selon Luca de Meo, PDG du groupe Renault, interrogé par L’Equipe, la production d’un moteur de Formule 1 coûte "200 à 250 millions d’euros par an", alors que la location d’un moteur auprès d’un autre constructeur coûte "moins de 20 millions d’euros". Toutefois, le fait de ne plus avoir d’écurie cliente a privé Renault d’un "deuxième regard", selon Cyril Abiteboul. 

"Par exemple, aujourd’hui, Mercedes fait son moteur et son châssis. S’ils ne fournissaient pas leur moteur à McLaren, je suis certain qu’il y aurait des dynamiques très différentes au sein de Mercedes, parce que beaucoup de gens dans l’équipe châssis se poseraient la question du moteur. Mais étant donné que McLaren est capable de gagner avec le moteur Mercedes, ça montre que le moteur n’est pas un problème", poursuit Cyril Abiteboul.

Pour l’ancien directeur de l’écurie Renault, les mauvais résultats trouvent leurs raisons bien avant ces dernières saisons : "C’est un manque de continuité des investissements avec des 'stop & go', où l’on s’arrête, on perd des compétences et quand on redémarre c’est compliqué. Je prends l’exemple de 2007, quand les moteurs sont gelés. Tous les développements sont arrêtés, là où les autres constructeurs ont continué à faire de la veille technologique. Et quand le développement a été rouvert, Renault a dû partir en position arrêtée", regrette-t-il. Et si Renault a tout de même été champion du monde moteur avec Red Bull après cette période de 2007 ? "Ce n’est pas tant grâce à la partie moteur qu'à la partie châssis. On avait une petite faiblesse de puissance", concède Cyril Abiteboul. 

La pression sera sur l'usine d'Enstone

Outre le fait de ne pas avoir d’écurie cliente, Bruno Mauduit pointe, lui, un manque de réactions aux résultats “médiocres” des dernières saisons. "Les gens se sont un peu endormis à Viry. On se satisfait de résultats qui ne sont pas au niveau, mais quand on est un grand constructeur comme Renault, on ne doit pas se satisfaire de ne pas être sur le podium. Je trouve ça incroyable de se satisfaire de n’être que dans les points. Toutes les saisons sont devenues des années de transition : ça ne va pas, ce n’est pas grave, vous verrez l’année prochaine", s’agace-t-il. Lui a connu les sacres mondiaux des Nigel Mansell, Alain Prost, Michaël Schumacher ou Jacques Villeneuve...

L’ancien ingénieur fustige également la rivalité entre l’équipe chargée de produire le moteur, à Viry-Châtillon, et celle chargée de produire le châssis, à Enstone (Angleterre) : "Si on a envie que ça gagne, on se met autour de la table et on tire tous dans le même sens. A l’époque il était hors de question de remettre la faute sur la partie châssis ou bien que la partie châssis remette la faute sur le moteur, on s’entraidait", assure-t-il.

Avec la décision de mettre fin au programme moteur, la pression sera désormais sur les épaules des équipes anglaises d’Alpine. "Cette décision facilite la gestion du projet F1, résume Cyril Abiteboul. Il n’y a plus d’inconnue, on sait ce que vaut le moteur Mercedes, il est capable de gagner des courses. Maintenant charge à Enstone de faire aussi un châssis capable de gagner."

Une monoplace française 100% conçue en Angleterre

Hormis son nom et l’un de ses pilotes, Pierre Gasly, la question de l’ancrage français d’Alpine pour l’avenir se pose désormais. Esteban Ocon quittera l’écurie en fin de saison, remplacé par l’Australien Jack Doohan, le moteur sera produit par Mercedes en Angleterre, tout comme le châssis à Enstone. "Ce qui fait la nationalité d’une marque, c’est son patrimoine culturel, et à ce titre, Alpine est résolument française", tempère Cyril Abiteboul. "Je voulais faire une écurie à la française, le Ferrari à la française. J’ai mis deux pilotes français dans les baquets. Ils se sont rentrés l’un dans l’autre. Faites le tour avec moi d’une A524 [le nom donné à la monoplace actuelle], il n’y a pas un sponsor français. Pas un ! J’ai tapé à de nombreuses portes", regrettait, quant à lui, Luca de Meo, dans les colonnes de L’Equipe. 

Invité de Stade 2, Pierre Gasly a répondu aux questions de Cécile Grès et des autres journalistes. Le pilote de Formule 1 est revenu sur son enfance, sur sa saison actuelle ou encore sur son amitié avec Charles Leclerc.
Pierre Gasly : "C'est ma saison la plus compliquée depuis que je suis arrivé en Formule 1" Invité de Stade 2, Pierre Gasly a répondu aux questions de Cécile Grès et des autres journalistes. Le pilote de Formule 1 est revenu sur son enfance, sur sa saison actuelle ou encore sur son amitié avec Charles Leclerc.

Selon le PDG de Renault, l’arrêt du programme moteur répond également à une nécessité marketing. "Les fans - sauf les vrais passionnés, j’en conviens - et les sponsors viennent pour une écurie, pas pour un moteur. Le public de la F1 a changé [...] On soutient un pilote, une couleur, une marque. Pas un moteur", poursuit-il. Reste que pour Bruno Mauduit, "la vraie identité d’Alpine, Renault dans le fond, c’est Viry".

L’ancien ingénieur s’interroge : "Quels seront les arguments pour la suite ? Pour 2025 on se dit qu’on fait une croix dessus parce que c’est toujours le moteur Renault ? En 2026, on a une nouvelle réglementation avec un moteur tout neuf à intégrer, donc on fait aussi une croix dessus ? Malheureusement, je ne suis pas très optimiste pour l’avenir d’Alpine en Formule 1 à moyen terme".

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