GP d'Arabie Saoudite : "Je veux montrer aux prochaines générations qu'elles peuvent faire de grandes choses", confie Reema Juffali, première Saoudienne pilote de course
Reema Juffali, première Saoudienne pilote professionnelle, est l'ambassadrice du premier Grand Prix de Formule 1 en Arabie Saoudite, qui débute vendredi 3 décembre avec les essais libres.
Trois ans après l'autorisation de conduire accordée aux femmes en Arabie Saoudite, le royaume accueille, dès vendredi 3 novembre, le premier Grand Prix de Formule 1 de son histoire. La première Saoudienne devenue pilote professionnelle, Reema Juffali, sera ambassadrice de l'évènement et inaugurera le tout nouveau circuit de Jeddah. Âgée de 29 ans, elle a obtenu sa licence de pilote de course sur le tard, après avoir découvert les sports automobiles aux Etats-Unis, et participe désormais au championnat britannique de Formule 3 au sein de l'équipe Douglas Motorsport. Pour franceinfo:sport, elle se livre sur son parcours et sur l'évolution des droits des femmes en Arabie Saoudite.
Franceinfo : Votre ville d’origine, Jeddah, va accueillir un Grand Prix de Formule 1. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Reema Juffali : Honnêtement, c’est très excitant et difficile à croire. Cela fait seulement trois ans que les femmes sont autorisées à conduire et l’Arabie Saoudite va accueillir une course du plus grand championnat automobile du monde. Le fait que ce soit dans ma ville d’origine, je ne l’aurais jamais imaginé. J’ai vraiment hâte.
Saudi driver @reemajuffali named as Race Ambassador for the #F1 stc #SaudiArabianGP
— F1 stc Saudi Arabian GP (@SaudiArabianGP) November 29, 2021
The inspirational 29-year-old, born and raised in Jeddah, contested the British F3 Championship this year and will play a key role across the course of the race week and #SaudiArabianGP weekend pic.twitter.com/YGJ6EEIXK3
Comment vous est venue la passion des sports automobiles, car vous n’aviez pas de modèle de pilote saoudienne auquel vous identifier ?
Je n’étais pas très exposée au sport automobile durant mon enfance, mais j’ai commencé à regarder plus de sport à la télévision et surtout des courses automobiles quand j’étais à l’université aux Etats-Unis. Le sport automobile et la Formule 1 ont retenu mon attention parce que j’ai toujours été passionnée par les voitures, et que c’est une discipline très technique. Après ça, en m’y intéressant de près, en regardant aussi les 24 Heures du Mans, avec des pilotes qui ont le double de mon âge, je me suis dit que ce n’était pas impossible de me lancer.
Finalement, le fait d'être au volant d’une voiture de course sur un circuit pour la première fois m’a apporté beaucoup de réponses et l’envie de tenter ma chance en compétition. Si à cette époque, j’avais été en Arabie Saoudite, je n’aurais sans doute pas eu les mêmes opportunités, peut-être que j’aurais été plus exposée au rallye. Mais, j’ai eu la chance de faire mes études à l’étranger, aux Etats-Unis, donc je me suis intéressée aux courses sur circuit et j’y avais accès. J’étais d’autant plus curieuse que, venant d’Arabie Saoudite, je ne connaissais pas cela.
Avez-vous le sentiment que si vous étiez restée en Arabie Saoudite, vous n’auriez pas pu devenir pilote de course ?
Tout est une question de timing. J’ai commencé à m’intéresser au sport automobile en 2012 mais je n’ai pas eu ma licence de pilote avant 2017. Même quand j’avais les opportunités devant moi, c’était l’inconnu, j’étais effrayée. Si j’étais restée en Arabie Saoudite, j’aurais peut-être eu d’autres options dans les pays voisins, aux Emirats arabes unis, à Bahreïn, où il y a des circuits. Cela ne fait aucun doute que ça aurait été un challenge, mais je suis tellement passionnée que j’aurais trouvé un moyen.
Était-ce difficile de devenir pilote professionnelle en tant que femme saoudienne ?
C’est difficile pour toutes les femmes de devenir une pilote professionnelle (rires). Mais bien sûr, c’était un challenge, j’ai eu beaucoup à apprendre parce que je n’avais pas beaucoup d’expérience. J’ai eu beaucoup de courses et de moments difficiles.
Apprendre quelque chose sur le tard, en étant plus âgée que les autres, et vouloir concourir à un niveau professionnel demande beaucoup de temps et de sacrifices.
Reema Juffalià franceinfo:sport
J’ai aussi dû m’adapter à ce monde de la course automobile, mais doucement et sûrement, j’ai réussi à devenir une pilote de course même si j’ai mis du temps à le réaliser.
Avez-vous rencontré des pressions négatives de la part de personnes qui ne souhaitaient pas vous voir piloter ?
Au début, avant même de commencer, je pensais que si je me mettais à la course automobile, il y aurait des commentaires négatifs. Tout le monde a des opinions différentes. J’ai commencé à apprendre la course auto en m’y consacrant seulement le week-end, et finalement, j’ai reçu beaucoup de soutien de la part de ma famille et de mes compatriotes. Ça m’a donné beaucoup d’inspiration et surtout l’envie de bien faire.
Et étonnamment, grâce au fait que mon pays était en train d’évoluer à cette période, il y a eu très peu de commentaires négatifs. C’était une proportion vraiment négligeable, surtout de la part d’hommes des plus vieilles générations, qui étaient habitués à certaines traditions. Mais rapidement, ils ont compris que ce pays était en train de prendre un autre chemin.
Vos concurrents en Formule 3 ont, pour la plupart, commencé la course très jeunes, par le karting. Ressentez-vous cette différence d’expérience en piste ?
Bien sûr. Je cours face à des pilotes qui ont parfois dix ans de moins que moi, voire plus. Ils sont meilleurs et plus rapides, mais je le savais en m’engageant. Mes objectifs sont différents. J’ai commencé plus tard et je sais que je ne me bats pas pour les meilleures positions. Si je suis dixième, c’est déjà une victoire pour moi. Cinquième, c’est encore mieux. J’apprends toujours et je vise des succès différents. Si j’avais commencé plus tôt, j’aurais peut-être pu rêver de Formule 1, mais cela va finir par arriver en Arabie Saoudite. Le royaume aimerait avoir un pilote en Formule 1 et il y aura des opportunités pour des pilotes saoudiens et saoudiennes.
Aujourd’hui, des activistes qui se sont battus pour que les femmes puissent conduire sont toujours emprisonnés en Arabie Saoudite. Que pensez-vous de cela ?
Je préfère ne pas commenter ça. Mais je pense que c’est une question de temps, le pays est encore en train de grandir et va dans la bonne direction.
Vous pensez que l’Arabie Saoudite change réellement ? Ou bien le pays ne cherche-t-il qu’à améliorer son image ?
Le fait que vous m’interviewiez aujourd’hui, en tant que pilote de course, montre que le pays évolue. Chaque pays doit trouver son moyen de grandir. En accueillant de grands évènements, le pays attire l’attention à l’international, mais permet aussi aux Saoudiens d’avoir de nouvelles opportunités. Rien que pour les cinémas par exemple, des salles commencent à ouvrir depuis quelques années. Ça rentre dans le projet d’ouverture de l’Arabie Saoudite et j’espère qu’avec le soutien international, le pays va continuer à se développer.
À partir du moment où les femmes ont obtenu le droit de conduire, dans un premier temps, les enfants et les hommes se retournaient vers moi car c’était inhabituel. Quand je sortais, j’étais la seule au volant, puis la semaine suivante, je croisais une autre femme, puis le mois suivant d’autres femmes encore, de plus en plus. Maintenant, je vois des personnes s’entraider, des hommes proposer à des femmes de les aider pour des créneaux difficiles. C’est incroyable de voir à quel point ça change et je ne pense pas que les personnes à l’étranger s’en rendent compte.
Vous qui n’avez pas eu de pilote saoudienne à laquelle vous identifier, espérez-vous devenir un modèle pour de futures pilotes ?
J’espère inspirer et apporter de l’optimisme pour que les jeunes Saoudiennes puissent faire face aux challenges et dépasser les obstacles. Je ressens une responsabilité et j’espère que je pourrai montrer aux prochaines générations qu’elles peuvent faire de grandes choses. Je veux aussi les encourager à conduire et quand nous aurons plus de circuits, j’adorerais être sur place pour les conseiller et leur transmettre mes connaissances.
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