Pour leur image et leur avenir, comment les sports mécaniques français tentent de montrer l’exemple en matière environnementale

D'après un bilan écologique publié par les fédérations françaises de sport automobile et de moto, les véhicules de course sont loin d'être la première source de pollution des sports mécaniques.
Article rédigé par Hortense Leblanc, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
La Porsche 963 lors des 24 Heures du Mans, les 10 et 11 juin 2023. (FLORENT GOODEN / AFP)

"C'est un sujet sensible, car certains considèrent que les sports mécaniques n'ont plus lieu d'être", concède Sébastien Poirier, président de la Fédération française de motocyclisme (FFM). Alors que la saison de Formule 1 reprend samedi 2 mars à Bahreïn et que celle de MotoGP débutera la semaine suivante au Qatar, les sports mécaniques sont toujours pointés du doigt pour leur impact environnemental. A l'échelle de la France, les fédérations sont engagées dans le but de diminuer leur empreinte carbone et, surtout, celle des spectateurs, dont les déplacements sont la principale source de pollution.

"Dans l'imaginaire collectif, la course automobile et le développement durable, ce n'est pas compatible", regrette Jérôme Lachaze, responsable RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) de l'Automobile Club de l'Ouest (ACO), organisateur des 24 Heures du Mans. Pourtant, d'après le bilan environnemental commandé par les fédérations françaises de sport auto et moto, présenté en décembre 2023, les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées au roulage des pilotes ne représentent que 7% des émissions totales d'une compétition. Un faible pourcentage comparé à celui du déplacement des spectateurs et des concurrents (82%), mais sur lequel les fédérations travaillent, en imposant par exemple des carburants bas carbone. "Les sports mécaniques sont une chance. Ils ont fait avancer la cause de la sécurité et aujourd'hui, on travaille sur des innovations pour décarboner notre mobilité", assurait Sébastien Poirier lors de la présentation du bilan.

Les déplacements des spectateurs et des compétiteurs représentent en moyenne 82% des émissions de gaz à effet de serre d'une compétition de sports mécaniques. (franceinfo:sport)

Quelques initiatives sont ainsi prises à l'échelle nationale. La Formule 4 française est devenue le premier championnat de monoplaces du monde à utiliser un biocarburant 100% renouvelable, le motoball va basculer sa catégorie junior en électrique et l'ACO participe au développement des voitures à hydrogène, avec l'ambition de leur dédier une catégorie lors des 24 Heures du Mans en 2027. "Les sports mécaniques ont été tellement montrés du doigt qu'ils anticipent désormais et ont des attitudes très proactives, observe Didier Lehénaff, fondateur de l'association Un sport vert pour ma planète. J'avais un avis très tranché dans le passé sur ces sports : pour moi, il fallait arrêter ces délires. Mais en travaillant sur le sujet, je me suis rendu compte que le fait de se focaliser sur les pneumatiques et l'essence, c'est éluder le fond du problème, qui reste le déplacement des spectateurs, comme dans beaucoup d'autres sports."

Des lignes de transport en commun qui ne voient pas le jour

Si les fédérations auto et moto se félicitent que 64% de leurs événements soient organisés dans des communes de 5 000 habitants ou moins, ce qui a un impact positif sur leur dynamisme économique, cette donnée présente l'inconvénient d'un acheminement des spectateurs plus compliqué, le réseau de transports en commun étant moins développé dans ces zones rurales ou périurbaines.

Le circuit Paul-Ricard du Castellet (Var), qui a accueilli de 2018 à 2022 le Grand Prix de France de Formule 1 et pas mal d'embouteillages, en est l'exemple. Situé au cœur du parc naturel régional de la Sainte-Baume, il est très mal desservi par les transports en commun.

"On exerce un lobbying depuis des années auprès des collectivités pour pousser la création de lignes de transports collectifs, parce qu’on est éloignés des centres urbains, mais elles ne voient pas le jour."

Nathalie Reitzer, directrice RSE du circuit Paul-Ricard

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En attendant leur éventuelle création, le circuit tente donc, à sa façon, de réduire ses consommations, en recyclant ses biodéchets en compost utilisé pour développer la biodiversité du lieu, ou en installant des panneaux photovoltaïques et des ruches. Sur la question des transports, le circuit essaye aussi d'accompagner ses clients, les locataires de la piste et les promoteurs de grands événements, avec une charte d'événement écoresponsable.

Le circuit Paul-Ricard, situé dans le parc naturel régional de la Sainte-Baume (Var), photographié lors lors du Grand Prix de France de Formule 1, le 23 juin 2018. (MAXPPP)

"Il y a une réduction du prix de la location de la piste s'ils s'engagent à suivre cette charte. On leur demande, par exemple, d'utiliser le même panneautage d'événement en événement sans en produire de nouveau et de faire le plein de tous leurs véhicules au biodiesel, que nous leur vendons, avant de repartir, pour ne pas le faire avec du diesel fossile sur la route", poursuit Nahtalie Reitzer. Le circuit Paul-Ricard a ainsi obtenu l'accréditation environnementale 3 étoiles, le meilleur niveau possible, de la part de la Fédération internationale de l'automobile (FIA), tout comme le circuit de Yas Marina (Abou Dhabi) par exemple, ainsi que le championnat de Formule 1. Ces trois étoiles ne sont pourtant pas un critère primordial pour la F1, qui ne fait plus étape au Castellet, alors que certains des circuits qu'elle visite ne disposent pas de cette distinction.

Des green tickets au Mans

Le circuit des 24 Heures du Mans a, lui, plus de chance en termes de desserte par les transports, avec un arrêt de tramway à proximité. L'Automobile Club de l'Ouest met en place des green tickets pour récompenser les spectateurs qui font l'effort de venir avec un moyen de transport bas carbone. "Cela concerne les véhicules hybrides ou électriques, le covoiturage à partir de trois personnes dans la voiture, le train, ainsi que le tram ou le vélo pour ceux qui viennent du Mans ou des villes voisines, énumère Jérôme Lachaze. Ces détenteurs de green tickets doivent apporter une preuve de leur déplacement avec ces modes de transports pour obtenir les 10% de réduction sur leur place". En 2023, 6 700 spectateurs avaient profité de ce dispositif, contre 2 100 en 2022. Ils seront au moins 10 500 en 2024, soit environ 8% du public total.

"On apprend aussi de nos erreurs avec ce système, car l'année dernière, on avait, par exemple, eu des personnes qui étaient, certes, venues en train au Mans, mais qui avaient pris l'avion depuis les Etats-Unis pour arriver en France. Désormais, les green tickets sont réservés à la France métropolitaine et aux pays européens. Pour ceux qui viennent en tram, il faut un justificatif de domicile pour montrer qu'ils habitent près du Mans et que le tram a bien été leur moyen de locomotion principal", ajoute Jérôme Lachaze. Selon le responsable RSE, ces mesures en faveur du développement durable sont "essentielles pour l'acceptabilité des événements" de sport auto, même si tous les publics n'ont pas la même sensibilité. "Les motards sont en général passionnés et viennent à moto. Les camions c'est pareil : il y a une vraie fierté de venir avec son camion, parfois décoré. On ne pourra pas convertir tout le monde et les passionnés font aussi le sel du sport", concède-t-il.

"Les événements sportifs n’auront de sens que s’ils montrent qu’ils ont un impact positif, avec de l’innovation sur les voitures, les pneus... Il y a la pression populaire et celle des partenaires financiers ou institutionnels, qui ne voudront plus associer leur nom à l’événement si on ne démontre pas qu’il est aligné avec leur stratégie de développement durable."

Jérôme Lachaze, responsable RSE de l'Automobile Club de l'Ouest

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En raison de difficultés financières, le championnat de Formule 4 allemand a disparu la saison dernière et l'intérêt pour les monoplaces diminue en Allemagne. Le fait qu'aucun pilote allemand ne performe en Formule 1 ces dernières années n'y est pas pour rien, mais, selon le pilote Haas Nico Hülkenberg, "la perception de l'industrie automobile – et ce que les politiques disent aux gens – c'est qu'elle est responsable du changement climatique et n'est pas écologique. Je pense que cela déteint sur le sport auto et la Formule 1".

"Ce sont les jeunes qui ont le réflexe écologique"

Pour préserver l'avenir de leurs disciplines, les fédérations auto et moto françaises disent pouvoir compter sur leurs 150 000 licenciés. D'après leur bilan environnemental, sur 10 000 personnes interrogées, 73% affirment que les enjeux environnementaux sont "importants". "Ce n'est pas vieux, mais je trouve que depuis 3-4 ans, les gens font plus attention", confirme Olivier Gatineau, président de l'association de motocross Daytona Motors, basée à Bondues, dans la métropole lilloise. Son association plante des arbres pour compenser ses émissions carbone et ses pilotes s'organisent en covoiturage dès qu'ils le peuvent pour se rendre sur la côte, deux à trois fois par semaine. "Avant, vous alliez sur un terrain de cross, vous trouviez des bidons laissés là par des mecs qui avaient fait leur vidange. Je suis en train de mettre en place des containers sur les terrains pour récupérer les pneus usagés, les huiles, qui n'ont rien à faire dans des poubelles normales. Mais c'est assez coûteux et compliqué", ajoute-t-il.

Les plus jeunes générations encouragent les pratiquants plus âgés dans ces initiatives écologiques. "Aujourd'hui ce sont les jeunes qui ont plus le réflexe écologique. Quand ils arrivent, ils mettent leur tapis sous la moto pour protéger le sol des éventuelles gouttes d'essence, alors que pour les plus anciens, c'est moins naturel. Mais si on veut que notre sport perdure, il faut que ça change", assure Olivier Gatineau, en rappelant que l'Enduropale du Touquet (Pas-de-Calais) ne peut plus se courir dans les dunes et n'est désormais organisé que sur la plage.

Et si les présidents de la FFSA et de la FFM rappelaient en décembre que leurs sports ne représentaient "que" 0,3% des émissions de gaz à effet de serre liées aux transports à l'échelle nationale, les comparatifs internationaux manquent. En 2019, la Formule 1 avait, par exemple, mesuré son empreinte carbone en prenant en compte les émissions de GES de ses 10 équipes, 20 voitures et 23 manches… mais pas celles de ses spectateurs.

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