Crabes géants, pop sirupeuse et ambitions présidentielles : l'incroyable histoire du boxeur Manny Pacquiao
Le meilleur boxeur des années 2000 a été battu samedi 2 mai par l'Américain Floyd Mayweather dans ce qui ressemble fort au combat du siècle, avec au moins 200 millions de dollars à la clé.
Comment être sûr d'acheter une superbe propriété de 900 m² située en plein cœur de Beverly Hills, quand trois candidats sont disposés à poser sur la table les 12,5 millions de dollars requis par le vendeur ? Le boxeur philippin Manny Pacquiao a joué son atout maître : il a ajouté à l'offre quatre tickets pour le "match du siècle", perdu contre Floyd "Money" Mayweather, samedi 2 mai. Et il a décroché la mise. "C'est sûr que ça a bien aidé, reconnaît son agent immobilier dans USA Today*. Les anciens propriétaires sont des fanas de boxe !" Rien ne prédisposait pourtant Pacquiao, 36 ans, à devenir un riche propriétaire sur la côte ouest des Etats-Unis. Surtout quand on connaît son histoire.
A 11 ans, il combat pour survivre
L'enfance de Manny Pacquiao commence à des années-lumière des villas californiennes. Il grandit dans la misère de Mindanao, une des îles les plus peuplées des Philippines, le fief des rebelles islamistes. A 5 ans, il assiste à la décapitation d'un rebelle par un soldat loyaliste. Sa famille fuit les combats en trouvant refuge dans une grande ville. Pour nourrir ses frères et sœurs, il abandonne rapidement l'école, et vend des beignets sur le bord de la route. "Ma mère louait un minuscule appartement, d'une seule pièce. On mangeait, on cuisinait et on dormait à même le sol", se souvient-il dans le Telegraph. A 11 ans, son oncle l'emmène dans un bar clandestin où se déroulent des combats de boxe. "Ce qu'il ne m'avait pas dit, c'est qu'il m'avait inscrit, raconte Pacquiao à ESPN. Cent pesos pour le vainqueur, la moitié pour son adversaire. "Le kilo de riz était à 4 pesos. C'était une somme énorme."
Sa décision est prise : il sera boxeur professionnel. Pour cela, il faut rejoindre la capitale, Manille. A 15 ans, il embarque clandestinement sur un bateau avec son meilleur ami. Non sans regrets. Le cœur gros, il manque de se jeter à l'eau pour retourner auprès de sa famille. Le défi est immense : il ne parle pas la langue utilisée dans la capitale, le tagalog, et n'a ni l'âge ni le poids suffisants pour entrer sur le ring. Qu'à cela ne tienne : il glisse des poids dans son short lors de la pesée. Pour son premier gala, il voit son meilleur ami mourir sur le ring, la faute à un arbitre laxiste et à l'absence criante de secouristes dans la salle. Quelques minutes plus tard, c'est à lui de monter dans l'arène. "Je me suis dit qu'il fallait que je poursuive notre rêve, tout seul", raconte Manny Pacquiao à ESPN.
"Quand il combat, la vie s'arrête aux Philippines"
L'ascension du petit boxeur philippin est irrésistible. Il écrase la discipline dans son pays, devient champion d'Asie puis du monde. Son manager, l'Américain Bob Arum, le juge "plus fort que Mohamed Ali". Au cours des années 2000, il décroche huit titres de champion du monde dans huit catégories différentes, du jamais-vu, et engrange la coquette somme de 330 millions de dollars. Dans son pays, il devient un demi-dieu. "Quand il combat, la vie s'arrête aux Philippines, confie Nick Giongco, un journaliste du Manila Bulletin, au Washington Post. Le nombre de crimes chute et un cessez-le-feu tacite s'organise entre l'armée et les rebelles."
Manny Pacquiao a rapidement cherché à capitaliser sur son immense popularité. En tâtonnant. Lors de sa première candidature aux législatives aux Philippines, en 2007, il est battu. Il déclare vouloir quitter la boxe pour se consacrer à sa circonscription. Ses électeurs le préfèrent sur un ring. Deux ans plus tard, il ne commet pas pareille erreur et est élu dans un fauteuil. Peu importe qu'il soit un des députés les moins assidus, sa cote est au beau fixe. En 2010, il combat malgré un pied blessé... par les chaussures de ville, complément indispensable de son costume de député, raconte le Huffington Post.
Ne sous-estimez pas son influence. Le sénateur démocrate Harry Reid, mal embarqué dans une élection partielle en 2010, fait appel à Manny Pacquiao, pourtant à quelques jours d'un combat crucial. Aussitôt, le boxeur enlève ses gants pour participer à un meeting du candidat sortant. Ce dernier est réélu avec 40 000 voix d'avance. Les 70 000 immigrés philippins que compte le Nevada ont voté à 80% en sa faveur, raconte le Washington Post. L'effet Pacquiao ? Le Philippin peut espérer une large victoire à la prochaine présidentielle dans son pays. Il lui reste juste trois ans à attendre pour atteindre l'âge légal (40 ans) pour présenter sa candidature.
"C'est comme Mandela en Afrique du Sud"
En plus d'être un des plus grands boxeurs du monde et d'enchaîner les mandats de député, il trouve encore le temps de jouer les super-héros au cinéma. Dans Wapakman, il incarne un nettoyeur de fosse septique qui se découvre des super pouvoirs et combat à main nue des crabes géants (la scène en entier à la 40e minute de cette vidéo).
Il parvient à glisser dans son emploi du temps surchargé le rôle de porte-drapeau des Philippines aux Jeux olympiques de Pékin, en 2008. Une première pour un sportif... qui ne participait pas à la compétition. Il a aussi incarné le grand chef Lapu-Lapu pour une reconstitution de la victoire des Philippins contre Magellan en 1521. Une adaptation au cinéma est sur les rails en adjoignant Miss Monde 2014 aux côtés du boxeur.
Sa plus grande réussite artistique se trouve dans la chanson. Dans un pays où on ne plaisante pas avec le karaoké, il enchaîne les tubes. Le dernier en date s'intitule Je me battrai pour les Philippins (Lalaban Ako Para Sa Filipino). Contre toute attente, le roi de l'uppercut adore la chanson guimauve à l'eau de rose.
Vous avez écouté la chanson ? Vous avez forcément remarqué qu'il chante comme une casserole (malgré les traficotages en post-production). Critiquer l'icône nationale est interdit au pays. Certains ont payé pour apprendre. Ambassadeur du club de basket des Kia Carnivals, il joue quelques minutes lors du premier match de la saison 2015. Un de ses adversaires, Daniel Orton, passé par la NBA, a osé s'interroger publiquement sur le pedigree de cet avorton qui n'a marqué qu'un pauvre lancer franc. Orton a été viré sur-le-champ, renvoyé dans les profondeurs du basket américain, et est blacklisté à jamais aux Philippines. Le patron de son ex-équipe, Rene Pardo, s'est platement excusé. "Tout le monde est fou de rage contre lui. C'est comme s'il venait aux Etats-Unis et insultait Martin Luther King", dit-il sur ABS-CBN. Comparer Manny Pacquiao à une illustre figure de la politique américaine ? Certains vont encore plus loin, comme l'ancien champion poids lourds Lennox Lewis, dans Time : "La fascination qu'il exerce aux Philippines est comparable à celle que génère Nelson Mandela en Afrique du Sud."
Tout-puissant... mais fauché, avec le fisc aux trousses
Même au sein de son staff pléthorique (une trentaine d'assistants, coaches, cuisiniers, masseurs, et certains dont le rôle précis n'est pas bien défini), la critique est taboue. "Ils sont terrifiés, explique son entraîneur de toujours, Freddie Roach, au magazine GQ. Personne ne veut être celui qui pose la question qui met Manny de mauvaise humeur. Si vous avez le malheur d'être celui qui dit 'Manny, tu es censé te rendre à Manille aujourd'hui' et qu'il n'en a pas envie, vous n'allez plus préparer son riz pendant très longtemps." En 2009, le boxeur devait donner le coup d'envoi d'un match des Dodgers de New York. Le club s'était mis d'accord avec son équipe. Sauf que Pacquiao n'est jamais venu. Et pour cause. Personne n'a jamais osé lui dire.
Qu'est-ce qui fait encore boxer Manny Pacquiao ? L'argent, diront les mauvaises langues. Il aurait largement dilapidé ses 300 millions de dollars de gains. D'après sa déclaration de patrimoine à l'assemblée philippine, il en posséderait encore 10%. C'est bien moins que ce que lui réclame le redoutable fisc américain (IRS) : 75 millions de dollars pour avoir dissimulé des revenus acquis aux Etats-Unis.
Issu d'un milieu extrêmement pauvre, il est très généreux avec les plus démunis. Le journaliste Graham Poole raconte dans son livre PacMan, Behind the scenes with Manny Pacquiao que le boxeur paye personnellement tous les cercueils des rebelles de son île natale dont les proches n'ont pas les moyens de s'offrir une sépulture décente, ainsi que des lits d'hôpital et des fournitures scolaires. Constat sans appel de son conseiller financier Michael Koncz dans le New York Times : "Sa générosité le perdra."
* tous les liens sont en anglais
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