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Cyclisme : Annemiek van Vleuten, le crépuscule de la première reine de l'ère moderne

A 40 ans, la Néerlandaise, première star du cyclisme féminin moderne, a disputé la dernière course professionnelle de sa carrière, dimanche, lors du Simac Ladies Tour.
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
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Annemiek van Vleuten sur le Tour de France femmes 2022, qu'elle a remporté haut la main. (AFP)

Aussi glorieux et incontestables soient-ils, tous les règnes ont une fin. C'est l'histoire qui le veut. Annemiek van Vleuten a beau toujours être capable de jouer les premiers rôles, la reine du cyclisme féminin a quitté le peloton professionnel à 40 ans, dimanche 10 septembre. Un mois après la passation de pouvoir avec sa compatriote Demi Vollering, qui lui a succédé au palmarès du Tour de France femmes, la Néerlandaise a donné ses derniers coups de pédale non loin des routes sur lesquelles elle a appris à pédaler.

"C'est une belle façon de dire au revoir, je peux quitter ce sport fière. Il est temps de dire au revoir à ce chapitre important de ma vie (...) Je suis émue à l'idée que tant de gens aient apprécié ma façon de courir et de savoir que je vais leur manquer", a soufflé la vainqueure du Tour de France 2022, à l'aube d'accrocher son dernier dossard. Même si ses adversaires vont peut-être enfin pouvoir avoir leur part du gâteau, elle laisse un vide immense dans le peloton qu'elle a longtemps tyrannisé, glanant 104 victoires sur son passage.

Des crampons aux bidons

Rien ne prédestinait pourtant la native de Vleuten (ça ne s'invente pas), dans la périphérie d'Utrecht, à embrasser une telle carrière. Celle qui foulait les terrains de football pendant ses études en épidémiologie n'a basculé vers le vélo qu'en 2006, à 24 ans, après des problèmes au genou. Trois ans plus tard, à peine, elle était déjà devenue l'une des premières coureuses professionnelles rémunérées, au sein de l'équipe DSB Bank-Nederland Bloeit, avant de remporter son premier Tour des Flandres en 2011.

Voilà pour l'éclosion. L'explosion s'est produite plus tard, après sa chute terrible aux JO de Rio en 2016, alors qu'elle filait vers la médaille olympique. Miraculée, Annemiek van Vleuten a repris sa course vers les sommets en même temps que le peloton féminin a connu une progression fulgurante.

"Vleuty" s'est constitué un palmarès long qui sera difficilement égalé. Quadruple championne du monde (deux fois de la course en ligne, en 2019 et 2022, deux fois du contre-la-montre en 2017 et 2018), vainqueure des trois Grands Tours, dont la première édition du Tour de France femmes en 2022, elle a également décroché deux médailles olympiques à Tokyo en 2021 (l'or sur le chrono, l'argent sur la course en ligne). On retiendra sa capacité à larguer la concurrence sur de longs raids en solitaire, à l'image de son échappée victorieuse de 105 kilomètres lors des Mondiaux 2019.

"Pour son palmarès, mais aussi pour sa personnalité, Annemiek est vite devenue la première grande star du peloton féminin", affirme sa compatriote Iris Slappendel, qui a roulé à ses côtés pendant cinq saisons. Devenue consultante pour Eurosport, cette dernière ajoute : "Elle va nous manquer, c’était une coureuse magnifique. Elle n’a jamais essayé d’être populaire, elle essayait d’être la meilleure, et elle était les deux à la fois. Ses hauts et ses bas l'ont rendue plus humaine. Annemiek n’a pas toujours tout gagné. C’est pour ça que les gens l’aiment.”

Une extraterrestre humaine

Toujours prompte à répondre aux caméras, avec le sourire et sans langue de bois, Annemiek van Vleuten était le visage idéal pour accompagner l'essor du cyclisme féminin des dernières années. Si "elle n'était pas toujours facile à vivre à l'entraînement", la championne n'en restait pas moins une femme appréciée de toutes et tous, décrit Iris Slappendel : "C’est devenu une bonne amie. C’est une femme intelligente. On peut parler de ses problèmes personnels. Elle parle des siens. Elle n’est pas dans le cliché de la coureuse qui ne parle que de vélo, elle s’intéresse à tout.”

Ce que confirme le sélectionneur de l'équipe de France féminine, Paul Brousse, qui a assisté à beaucoup des faits d'armes de Van Vleuten : "Le dernier soir du Tour de France 2023, on était dans le même hôtel et on a assisté à son discours de fin de Tour, qu'elle venait de perdre. C'était un moment plein d’émotions. Elle a remercié tout le monde, la larme à l’œil. Elle dégage des valeurs de travail, d’abnégation, de résilience... C’est une forçat de la route. Ce n’est pas le genre de leader égoïste qui arrête de pédaler quand ça ne va pas pour elle."

Annemiek van Vleuten lors de la première grande victoire de sa carrière, sur le Tour des Flandres, le 4 avril 2011. (YORICK JANSENS / AFP)

Un portrait que brosse aussi la Française Aude Biannic, sa coéquipière chez Movistar lors des trois dernières saisons, auprès d'Eurosport : "Elle a toujours cette petite attention pour chacun d'entre nous, les coureuses comme le staff. Elle voit que c'est super important d'être bien entourée dans le cyclisme actuel". Ce qui permet aussi à la leader de se mettre tout le monde dans la poche : "Quand Van Vleuten demande à ce que je sois dans l'équipe pour l'accompagner sur les Grands Tours, c'est une sacrée marque de confiance. Quand une grande championne comme elle nous suit les yeux fermés sur des courses comme ça, ça prouve aussi qu'on tient une place importante auprès d'elle".

Modèle et pionnière

Le monde du cyclisme loue son acharnement et son professionnalisme. Certaines coureuses, à l'instar d'Aude Biannic, la décrivent comme la pionnière de la révolution qui a professionnalisé le peloton féminin. "Elle met tous les moyens de son côté pour être prête le jour J. Peu de personnes font les sacrifices qu'elle fait. Alors, à 40 ans, il faut avoir une sacrée force de caractère. C'est une fille qui vit 100% vélo. Elle mange et dort vélo. On est toutes professionnelles désormais. Mais si on se donne à 100%, elle, c'est du 150%", s'extasie la Française.

"Elle a fait bouger les lignes par l’intensité et la longueur de ses séances. C'est une stakhanoviste de l’entraînement qui a prouvé que les femmes avaient les capacités de faire du cyclisme au même niveau que les hommes."

Paul Brousse, sélectionneur des Bleues

à franceinfo: sport

Avec 30 000 kilomètres parcourus par an en moyenne, la Néerlandaise faisait en réalité mieux que plusieurs homologues professionnels, quitte à épuiser ses coéquipières et elle-même, glisse Iris Slappendel. "Elle a connu des périodes difficiles et des blessures. Je la voyais souffrir beaucoup à l’entraînement. Elle est très forte mentalement. Parfois son corps ne suivait pas, mais elle a toujours gardé l’espoir", à l'image de son sacre sur le Tour l'an dernier, décroché après avoir été freinée par des problèmes gastriques pendant plusieurs jours.

Deux mois plus tard, elle revient de nulle part pour surprendre ses adversaires et décrocher son deuxième titre mondial, avec un coude fracturé. "Si j’avais été à sa place, j’aurais arrêté ma carrière depuis longtemps, mais elle espérait toujours des jours meilleurs”, confie Iris Slappendel. 

Annemiek van Vleuten tire sa révérence au sommet de son art ou presque. En 2023, elle n'est pas passée loin de dominer les trois Grands Tours. Mais après ses succès sur la Vuelta et le Giro, la nouvelle reine Demi Vollering ne lui a laissé aucune chance sur les pentes du Tourmalet, pour la détrôner sur la Grande Boucle. Une passation de pouvoir que "Vleuty" savait inéluctable, puisqu'elle avait annoncé dès l'hiver dernier qu'elle arrêterait sa carrière à l'issue de cette saison.

"Mon corps me dit que je dois arrêter. J’arrête alors que je suis encore au top niveau et les gens me demandent souvent pourquoi. Ils me parlent des JO de Paris (...), mais je n'ai aucune chance de gagner la médaille d’or", expliquait cette dernière à franceinfo: sport. On a beau se bonifier avec le temps (ses plus grands succès ont été décrochés à partir de ses 34 ans), toutes les bonnes choses ont une fin. Sa trajectoire atypique lui permet de laisser une trace encore plus grande dans l'histoire de son sport.

"Je n'aurai plus à me soucier de perdre ma forme physique, ça c'est agréable, s'est déjà réjouie l'intéressée dans une interview sur la chaîne Youtube de son équipe. J'étais mariée au cyclisme et je vais maintenant retrouver un peu de liberté pour aller et faire ce que je veux. Je pourrai aussi avoir une vie sociale un peu plus intense". Rien ne dit cependant qu'elle s'éloigne définitivement du vélo. Inscrite à une formation du CIO, Annemiek van Vleuten a déjà commencé à préparer sa reconversion. L'avenir en dira plus.

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