Mondiaux de cyclisme : pourquoi la France ne brille-t-elle presque jamais en contre-la-montre individuel ?
Arrogant, fainéant et mangeur de grenouilles en marinière au volant de sa 2CV, voilà comment les clichés décrivent le Français aux yeux des étrangers. Dans le monde du cyclisme, un autre poncif colle à la peau des Tricolores : ils ne sont pas doués en contre-la-montre. Contrairement aux autres, ce cliché-là ne sort pas de nulle part, et se vérifie en chiffres. Depuis l’intronisation du contre-la-montre aux Mondiaux en 1994, seul Laurent Jalabert a été sacré champion du monde de la discipline chez les hommes en 1995, sans oublier la médaille de bronze de Jérôme Coppel en 2015.
À ce rythme, la prochaine breloque tricolore en chrono est donc attendue pour 2035 chez les hommes. Chez les femmes, le bilan est plus honorable grâce à la seule Jeannie Longo, sacrée cinq fois, à une autre époque, et Juliette Labous n'a terminé qu'à neuf secondes de la médaille jeudi. La médaille d'argent du relais mixte, obtenue mardi, n'est qu'un résultat décroché dans un nouvel exercice boudé par la majorité des favoris. Alors, pourquoi la France est-elle autant en retard en contre-la-montre ?
Une prise de conscience récente
“Je crois que c’est un manque de culture : on a du mal en chrono, il faut le reconnaître”, concède Thomas Voeckler, le sélectionneur des Bleus, “En France, on voit très peu de contre-la-montre organisés les week-ends, où que ce soit. C’est dommage parce que ça fait partie du vélo. Et on a vu sur le dernier Tour de France que ça fait basculer les grandes courses…”. Sélectionneur des Bleues, Paul Brousse approuve : “On manque de chronos oui, on voit beaucoup de courses en ligne, sur circuit, mais pas de chrono. Alors qu’ici, les Anglo-saxons en font tous les week-ends, par exemple”.
“Il faut réinstaurer ce goût de l’effort solitaire, ce qui ne se fera pas en 2-3 ans.”
Thomas Voecklerà franceinfo: sport
Mais Voeckler prévient : “On n’a pas de baguette magique. Déjà, il faut faire comprendre aux jeunes que le chrono, ce n’est pas qu’une histoire de matériel dernier cri et hors de prix. Ce sont les jambes, et la tête”. La première solution, selon les deux coachs, est de réintroniser le contre-la-montre au programme des catégories de jeunes, pour donner l’habitude aux jeunes pousses. L'idée est d'éviter que les futures stars tricolores voient leurs ambitions sur les Grands Tours être perpétuellement brisées, comme ce fut le cas pour Romain Bardet ou Thibaut Pinot ces dernières années.
Ce problème, la Fédération française de cyclisme en est consciente. Manager des équipes de France de cyclisme sur route, et référent contre-la-montre, Julien Thollet a été missionné pour y remédier. Depuis 4 ans, lui et ses équipes “essayent d’activer différents leviers qui permettraient d’inverser cette tendance”. Un travail qui a commencé, comme souvent dans le sport moderne, par de l’analyse de données.
Des stars tricolores pas exemplaires
Premier constat : la France dispose de quelques individualités : “On va chercher des médailles de temps en temps, et notamment chez les jeunes. Mais c’est irrégulier. Il faut l’installer dans le temps. C’est vrai que quand on observe d’autres nations, on voit qu’elles sont plus régulières, notamment les pays Anglo-saxons, les Américains, les Australiens, et les pays nordiques”, reconnaît Thollet.
Le constat posé, la FFC a alors lancé un programme de fond, assure Julien Thollet : “Ça commence par la formation et la sensibilisation des éducateurs, qui sont au plus près des jeunes coureurs. Ils doivent pouvoir leur donner la culture du contre-la-montre, ce goût particulier de l'effort solitaire, et surtout leur proposer des séances concrètes, spécifiques. Et ce dès le plus jeune âge. À l’étranger, c’est ancré très régulièrement chez les jeunes”. Pour cela, la Fédération a un rôle à jouer en étoffant le calendrier en contre-la-montre, et en encourageant les clubs à s’y mettre.
“On pousse pour qu’en parallèle d’une course en ligne, les organisateurs aient systématiquement un chrono, notamment chez les juniors.”
Julien Thollet, FFCà franceinfo: sport
Julien Thollet encourage également les stars tricolores du moment à ne plus montrer leur dégoût envers cette discipline : “Il faut casser ce discours péjoratif. Sur les courses à étapes, un contre-la-montre est toujours déterminant, c’est la vérité, et c’est ça qu’il faut dire aux jeunes”. Car, aujourd’hui, pour gagner un Tour de France, il faut être aussi bon grimpeur que rouleur de chrono.
Pour remédier à la situation sans attendre l’éclosion des futurs talents, la FFC investit également dans la recherche, développe Julien Thollet : “On vise la perfection sur l'aérodynamisme, l’allure des coureurs, le matériel... On a une cellule performance et on collabore avec les équipes professionnelles pour faire en sorte que le niveau global s’élève. On doit être à la pointe de tout ce qui peut se faire.”
Polytechnique et l'INSA en renforts
En dehors des stages ponctuels pour entraîner les coureurs, et pour accélérer ce “travail de fond, relativement long, qui ne se fera pas d’un claquement de doigts”, la FFC a noué des partenariats avec des grandes écoles d’ingénieurs françaises, dont Polytechnique et l’INSA Lyon. L’idée est de ne plus rien laisser au hasard dans cette discipline qui est “devenue une affaire de spécialistes avec une hiérarchie est très établie”, dixit Julien Thollet.
Côté Bleus, Rémi Cavagna fait figure de référence, mais doit souvent s'incliner devant plus fort que lui sur les courses les plus prisées (2 victoires sur l'exercice en World Tour seulement, 0 sur un Grand Tour). “Il a déjà été médaillé aux championnats d’Europe, mais il est un peu seul à ce niveau en France, on a besoin d’une émulation”, regrette Thomas Voeckler.
Une médaille française en individuel ne serait le dernier coup de pouce dont la FFC a besoin, après les efforts consentis ces dernières années. “On travaille aussi l’attractivité du chrono. Ce n’est pas le format le plus spectaculaire à la TV, mais on peut le rendre plus attrayant”, estime Julien Thollet, “c’est sûr qu’un champion du monde servirait de locomotive.”
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