: Reportage Paris-Roubaix : "Ça aurait pu être pire, on a échappé à la boue"... On a testé pour vous les mythiques pavés de l'Enfer du Nord
Le souffle coupé, les traits tirés, un homme lâche à son épouse : "C'était un enfer, mais c'était trop court. J'ai déjà envie d'y retourner." La scène se passe sur le vélodrome de Roubaix, quelques mètres après la ligne, samedi 6 avril. Au moment d'écrire ces lignes, plusieurs heures plus tard, on n'a pas trouvé meilleure formule pour résumer la folle expérience qu'offre le Paris-Roubaix Challenge. Depuis treize ans, en amont des cyclistes professionnels, plusieurs milliers d'amateurs viennent défier l'Enfer du Nord, pour le plaisir. Après avoir pris leur roue, franceinfo:sport comprend mieux pourquoi.
Qu'on ait opté pour 70 km (dont 8 secteurs pavés), 145 km (19 secteurs pavés) ou 170 km (29 secteurs pavés), la course démarre dès la veille du départ. Alors que les chariots élévateurs roulent encore à la place des cyclistes sur le vélodrome, et que les petites mains soignent les derniers détails, le parc des sports de Roubaix voit affluer une foule d'anonymes venus retirer leur dossard. Entre deux achats de produits dérivés et la réception du fameux trophée local (un pavé, évidemment), certains partagent les enseignements de leur reconnaissance. La boue et le vent vont hanter la nuit de plus d'un participant.
Le monde entier au départ
Pour la distance "découverte" (70 km), le départ est donné depuis le vélodrome de Roubaix. La course s'effectuant sur route ouverte, les milliers de candidats partent par vagues, entre 9h et 11h, pour des raisons de sécurité. Si quelques groupes d'amis immortalisent le moment avec un sourire, l'atmosphère est assez tendue : chaque participant sait qu'il part sur une course pas comme les autres, où un incident est vite arrivé. Quant aux novices, ils se demandent tout simplement s'ils ont les jambes pour aller au bout. Certains parents viennent ainsi rassurer leur grand enfant, à moins que ça ne soit l'inverse.
Micro en main, un speaker tente de détendre l'ambiance. "Un groupe d'amis cherche le petit Jo, qui s'est apparemment dégonflé en prétextant une panne mécanique", lance-t-il. Un ami de Jo répond : "C'est son mental qui est cassé." Pourtant, les enceintes crachent de grands classiques du rock - du Sultans of Swing à Hells Bells, en passant par Seven Nation Army - parfaits pour se rebooster à l'approche du départ.
"Vous savez ce qu'on dit à ceux qui partent sur Paris-Roubaix sans gants ?", lance le speaker. "Adieu", enchaîne-t-il. Ambiance. En tendant l'oreille, on apprend que le peloton du jour vient du monde entier : Australie, Angleterre, Belgique, Pays-Bas, Chine, Etats-Unis... Les Français sont presque en minorité, alors que d'anciens champions ont également relevé le défi, à l'image de l'ex lieutenant de Lance Armstrong, George Hincapie, ou de Johan Museeuw, triple vainqueur de Paris-Roubaix chez les pros. Après quarante-cinq minutes d'attente, c'est parti : à l'assaut de l'Enfer du Nord !
Dès que le vent soufflera... dans le dos
Les premiers kilomètres s'avèrent être les plus pénibles de la journée, puisqu'il faut se faufiler entre les voitures pour quitter la métropole lilloise, en direction du sud. C'est parti pour 35 km sans pavés, direction Templeuve, où le peloton d'anonymes fera demi-tour pour emprunter la fin de parcours de Paris-Roubaix, et huit secteurs pavés. A priori, pas de quoi s'inquiéter sur cette première partie de course. Mais, dans les faits, le vent venu du sud frappe de face, et use - déjà - les organismes.
"Il faut se dire qu'on l'aura dans le dos sur le retour, donc sur les pavés", relativise Julien, compagnon d'infortune rencontré sur la route. Selon les rythmes de chacun, des groupes se forment ainsi, afin de mieux se protéger des rafales. Dans ces conditions, chaque maison offre un répit précieux, tandis que la moindre traversée de village est vécue comme une délivrance, à l'abri du vent. Pour le reste, la première heure et demie de course se passe sans embûche, jusqu'au point de ravitaillement de Templeuve, où les pelotons du 145 et du 170 km rejoignent celui du 70.
Nord de la France oblige, on croque dans une gaufre avant de se remettre en selle. Le soleil vient de percer la grisaille, mais si on tombe la veste, c'est à cause de la proximité du premier secteur pavé, quelques hectomètres plus loin. Le compteur affiche 38 km, mais c'est maintenant que la course commence, sur le secteur 8, de Templeuve, composé d'un tronçon de 200 mètres puis d'un second de 500 mètres, et classé deux étoiles (sur cinq). Le moment de vérité est là, à quelques coups de pédale. Ces pavés sont-ils vraiment si durs ?
"Attends, mais si ça c'est du deux étoiles, ça va être quoi dans le Carrefour de l'Arbre ?", s'alarme Julien, à la sortie de ce premier secteur du jour. Difficile de le contredire, tant ces quelques hectomètres ont secoué. Sur un vélo transformé en marteau-piqueur roulant, le corps tremble de tous ses membres. L'irrégularité des pavés entraîne des chocs plus ou moins violents, que l'on encaisse comme on peut, en cherchant une position idéale. Après quelques essais, c'est celle avec les mains sur les cocottes de freins qui s'avère être la plus efficace pour diminuer la souffrance, et les tremblements.
Le plaisir de souffrir
Sur les secteurs suivants, on conforte ces quelques acquis primaires, tout en rivalisant d'ingéniosité pour éviter un maximum ces pavés que l'on est pourtant venu chercher. Mais les bas-côtés sont rares - pour ne pas dire inexistants -, tandis que les fines bandes de terre qui apparaissent parfois se révèlent trop glissantes. "Et encore, ça aurait pu être pire, on a finalement échappé à la boue", sourit Julien, perspicace. Dans le secteur 6, les secousses sont telles que les gourdes quittent le vélo, obligeant à poser pied à terre au milieu des pavés : le pire scénario possible car, après, il faut redémarrer.
D'autres ont encore moins de chance, victimes de crevaisons, tandis que se profile le secteur 5 de Camphin-en-Pévèle. Classé quatre étoiles sur cinq, il se révèle particulièrement éprouvant, sans aucun refuge. Impossible de se cacher ici, il faut prendre le haut du pavé. Ce que l'on ne sait pas encore, c'est qu'il s'agit seulement de la première étape d'un triptyque tyrannique. Car, à peine sortis de cet enfer, voici le terrible Carrefour de l'Arbre, l'un des trois secteurs classés cinq étoiles sur Paris-Roubaix (avec la Trouée d'Arenberg et Mons-en-Pévèle).
Haut lieu de la course, le Carrefour de l'Arbre est déjà pris d'assaut par les spectateurs, qui se positionnent avant la course féminine du jour. La dimension mythique de ce tronçon, conjuguée au soutien des inconnus au bord de la route, donne d'avantage d'ailes que n'importe quelle boisson énergisante. On commence à se prendre pour ce qu'on n'est pas, et à écraser les pédales dans ce lieu mythique, en oubliant qu'il dure plus de deux kilomètres... Les muscles se crispent, la douleur se propage, mais ça passe. Problème : après deux cents mètres de bitume, il faut enchaîner avec le secteur de Gruson. Bonne nouvelle : à la sortie, Roubaix n'est plus très loin.
Le vélodrome, et la délivrance
Avec un dernier secteur classé trois étoiles avant celui, symbolique mais inoffensif, tracé dans Roubaix, la fin de parcours est plus douce. L'occasion de jeter ses dernières forces dans la bataille pour faire remonter la moyenne sur le compteur. L'occasion, aussi, de savourer. Car la souffrance physique endurée n'enlève rien au plaisir ressenti en pédalant sur ces routes. On se dit que, comme tout le monde, on avait sous-estimé la violence de ces secteurs pavés sur les organismes.
Perclus de douleurs, on respecte encore plus les championnes et champions qui ont levé les bras sur le vélodrome de Roubaix. Justement, l'anneau de béton construit en 1936 apparaît à l'horizon, après plus de 71 km d'effort. Pour des soucis logistiques, les amateurs n'ont le droit qu'à la moitié d'un tour (à l'envers), contre un tour et demi pour les pros.
Ce qui n'enlève rien aux frissons qui parcourent l'échine en entrant sur la piste, déjà ceinturée par plusieurs centaines de spectateurs. Là encore, on se prend pour ce qu'on n'est pas, on s'imagine vainqueur. Certains lèvent même les bras sur la ligne tandis que nombreux sont ceux qui posent en brandissant haut leur monture. Une pose de circonstance pour immortaliser le moment, avant de quitter la piste du vélodrome pour repasser de l'autre côté de la barrière.
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