Pourquoi Lance Armstrong tente le pari du grand pardon
En reconnaissant s'être dopé, selon la presse américaine, le cycliste amorce une nouvelle phase de sa communication : la rédemption pour mieux rebondir.
En août, Lance Armstrong s'était muré dans le silence. Déchu de ses sept sacres sur le Tour de France, le cycliste texan ne réagissait plus à l'actualité que par des tweets et des communiqués relus cent fois par son imposante équipe de communication. Peut-être lassé de devoir passer par le jardin de son voisin pour éviter les caméras, il a reconnu, selon bon nombre de médias américains, s'être dopé dans l'émission d'Oprah Winfrey, qui doit être diffusée jeudi 17 janvier sur OWN. Que va-t-il se passer ensuite ?
La stratégie de la confession est-elle risquée ?
D'après USA Today (en anglais), le coureur a avoué durant son entretien avec la présentatrice vedette s'être dopé avant le début de son cancer détecté en 1996, sans entrer dans les détails. En revanche, il aurait menacé de donner les noms de pontes du cyclisme qui auraient encouragé cette pratique. "Lance Armstrong n'avait plus le choix, explique le communicant Olivier Cimelière, joint par francetv info. C'est sa dernière cartouche, limiter la casse, miser sur l'aspect rédemption qui est très fort dans la culture américaine. Sa stratégie, pendant des années, a été de vendre une belle histoire, le storytelling à l'américaine, et de nier en bloc les accusations contre lui."
Y compris en mentant devant un juge, en 2005 : le parjure est passible de prison dans la loi américaine et très mal vu outre-Atlantique. "Contrairement à Bill Clinton, qui avait menti sous serment et qui est quasiment devenu un saint dans l'opinion publique américaine, il ne s'agit pas d'une affaire de mœurs et surtout, le mensonge a duré beaucoup plus longtemps", poursuit Olivier Cimelière. "En 1999 [date de la première victoire de l'Américain dans le Tour de France], on était quelques-uns à avoir des doutes, se souvient Daniel Baal, ancien président de la Fédération française de cyclisme et ex-membre de l'organisation du Tour. Mais on ne pouvait pas le prouver, l'EPO n'étant pas décelable. Mais une fois que L'Equipe a publié son enquête, en 2005, le mythe Armstrong n'existait plus. Pour moi, la page Armstrong est tournée depuis longtemps. Comment croire ce qu'il va dire, alors qu'il a nié pendant quinze ans ?"
Lance Armstrong qui, d'après le New York Times lundi avait négocié des garanties avec la justice américaine pour ne pas être poursuivi, serait quand même dans le collimateur du ministère de la Justice. D'après la chaîne américaine CBS (en anglais), ce dernier a conseillé à l'Etat de s'associer à la plainte déposée par un ancien équipier de Lance Armstrong, Floyd Landis. Ironie de l'histoire, la date limite pour que le ministère attaque le champion déchu tombe jeudi... jour de diffusion de l'interview.
Peut-on pardonner à Lance Armstrong ?
L'autre objectif d'une telle stratégie consiste à laver son image, sérieusement ternie par l'affaire. En septembre, des stars comme Norah Jones ou Russel Crowe se bousculaient au gala de sa fondation de lutte contre le cancer, Livestrong. "Quand je travaillais pour Nestlé Waters, se souvient Olivier Cimelière, on avait effectué des sondages avant de parrainer le Tour de France. Et on s'était rendu compte que la majorité des gens se moquaient des affaires de dopage. C'était le spectacle qui les intéressait. Ces gens-là pardonneront plus facilement à Armstrong."
Pour Patrick Rishe, dirigeant de Sportsimpact, cité par Forbes (en anglais), l'impact d'une telle confession serait surtout immédiatement perceptible sur les dons à la fondation Livestrong, avec laquelle Lance Armstrong a pris ses distances en septembre.
Retour au triathlon ? Bientôt à Hollywood ?
En passant aux aveux, l'ancien coureur témoignerait de son intention de voir sa suspension à vie de toute compétition levée. Y compris pour le triathlon, qu'il pratique depuis le début de sa carrière de sportif. Pour Laurent Martel, qui tient le blog spécialisé La Flamme rouge, "le but premier d'Armstrong cette semaine sera de relancer sa vie sportive. Je suis convaincu que Lance Armstrong, l'individu, est mû par une seule chose : prouver à tous qu'il est le meilleur de tous. Cela remonte à sa tendre enfance, qu'il n'a pas eu facile. Privé de compétition, Lance Armstrong est privé de vie, c'est aussi simple que ça."
En parlant, le coureur texan se libère d'un statut de paria muré dans le silence. "C'est un pari sur la réaction de l'opinion publique", estime Brian Socolow, un avocat d'affaires interrogé par USA Today (en anglais). Quelques confessions savamment menées et il pourrait retrouver son statut d'icône qui a tout de même vaincu le cancer. Utile pour prononcer des conférences ou raconter (enfin) son histoire dans un livre, à l'image du champion de base-ball Pete Rose, qui a reconnu avoir parié alors qu'il était entraîneur de l'équipe de Cincinnati. Un temps devenu paria, il effectue désormais des tournées de dédicaces à travers les Etats-Unis. Et ça marche, comme le montre un reportage d'ESPN (en anglais). "A la place de Lance Armstrong, je vendrais le scénario de mon histoire à Hollywood", suggère Olivier Cimelière. Un film sur sa vie était dans les cartons au milieu des années 2000, avec Matt Damon pressenti pour le rôle-titre. On évoque désormais le nom de Jake Gyllenhaal.
A l'heure actuelle, Lance Armstrong n'est pas un homme fini. Son compte en banque est garni de 100 millions de dollars (75 millions d'euros), un montant que ne pourront qu'écorner les indemnités qu'il va négocier avec ses anciens sponsors. Moralité de cette interview : comme le résume ironiquement le compte Twitter du site satirique Funny or Die, "Lance Armstrong a envoyé un message fort aux enfants d'Amérique : ne vous dopez pas, ne trichez pas, à moins que vous vouliez devenir riche et faire l'émission d'Oprah."
Lance Armstrong sends a powerful message to the kids of America: don't do drugs and cheat unless you want to be rich and go on Oprah.
— Funny Or Die (@funnyordie) Janvier 15, 2013
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