Tour de France 2021 : pourquoi les performances de Tadej Pogacar peuvent interpeller
À l'image de son coup de force lors de la 8e étape vers le Grand-Bornand, les performances du maillot jaune interrogent. Le passé sulfureux des patrons de l'équipe UAE-Team Emirates aussi.
Tadej Pogacar roule littéralement sur ce Tour de France 2021. Le Slovène porte la tunique jaune depuis la 8e étape, au Grand-Bornand, à l'issue de laquelle il a écrasé un à un tous ses concurrents. Ses performances ont impressionné un milieu encore traumatisé par les années Lance Armstrong (7 victoires sur le Tour de France finalement retirées pour dopage en 2012). Après deux semaines de course, l'actuel maillot jaune a en effet creusé un écart inédit sur son dauphin depuis Armstrong en 2000. Voici les raisons pour lesquelles les performances de Pogacar peuvent interpeller.
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Parce qu'il écrase ses rivaux
Samedi 3 juillet, la pluie balaie la 8e étape entre Oyonnax et Le Grand-Bornand quand Tadej Pogacar décide d'accélérer dans le col de Romme (8,8 km à 8,9%) à plus de 30 kilomètres de l'arrivée. Pris dans des chutes sur le début du Tour, Geraint Thomas (Ineos-Grenadiers) et Primoz Roglic (Jumbo-Visma) ne figurent même plus dans ce groupe. Seul Richard Carapaz (Ineos-Grenadiers) prend la roue du Slovène avant de craquer quelques dizaines de mètres plus loin sur un nouveau coup de boutoir de "Pogi". Le col de la Colombière (7,5 km à 8,5%) suit et Pogacar reprend les échappés un à un en grimpant sur le grand plateau.
En 32 kilomètres, il reprend 3'20'' à tous ses rivaux (Jonas Vingegaard, Richard Carapaz, Rigoberto Uran, Enric Mas). Son aisance et sa domination interpellent. Le lendemain, à Tignes, il reprend encore 30 secondes en attaquant à quelques kilomètres de l'arrivée. En ajoutant sa victoire surprise devant le pur spécialiste Stefan Küng sur le contre-la-montre de la cinquième étape, le tenant du titre déjà a assommé le Tour.
Après 15 étapes, il possède 5'18'' de marge sur le deuxième Rigoberto Uran (EF Education-Nippo), un écart inédit au même stade depuis l'édition 2000, quand Lance Armstrong comptait 7'26'' sur son dauphin Jan Ullrich. "Il n'est pas extra-galactique parce que personne ne le concurrence, tempère l'entraîneur en chef du maillot jaune Iñigo San Millán sur Velonews.com. Il ne réalise même pas les chiffres qu'il a faits l'année dernière. Ses autres adversaires (sur ce Tour 2021) ne sont que l'ombre d'eux-mêmes."
Surtout, "Pogi" ne semble jamais connaître de jour sans ou des défaillances, hormis les 40 secondes concédées au sommet du Mont Ventoux à Jonas Vingegaard, finalement reprises dans la descente vers Malaucène. Avant le Tour, le coureur de 22 ans n'a jamais terminé au-delà de la 7e place sur une course en 2021, qu'elle soit disputée sur un jour ou sur un classement général.
Parce qu'il développe une puissance impressionnante sur une longue durée
Pour analyser les performances de Tadej Pogacar, deux outils peuvent être utilisés : la comparaison de ses temps d'ascension avec les années précédentes et le calcul de puissance. Le site chronowatts.com calcule la puissance des coureurs en watts "étalon", c'est-à-dire la puissance rapportée à un coureur-type de 78 kg avec le poids de son vélo afin de pouvoir comparer les mesures.
Sur la 8e étape, le Slovène a développé 442 watts étalon sur 49 minutes de montée entre le col de Romme et celui de la Colombière, sans montrer de signes de fatigue après l'étape. Aucune performance récente ne s'en approche. Seuls quelques coureurs ont réussi à développer davantage de puissance en ascension et sur une durée similaire : Ivan Basso en 2006 (suspendu deux ans en 2007), Miguel Indurain en 1995 (contrôlé positif au Salbutamol en 1994 puis blanchi) et Marco Pantani en 1998 (exclu du Giro en 1999 pour un niveau trop élevé d'hématocrite, le pourcentage de globules rouges dans le sang).
Sur la 8e étape, Tadej Pogacar a grimpé le col de la Colombière en 21'55'', à deux secondes du record de Dan Martin, réalisé en 2018. À la différence près que l'Irlandais avait monté la majeure partie de l'ascension avec les favoris alors que le Slovène était tout seul. "J'adorerais publier mes chiffres, pour que tout le monde puisse les voir, mais les autres équipes pourraient s'en servir contre moi, donc c'est un peu plus compliqué que ça, s'est-il défendu lors de la première journée de repos à Tignes. Tout ce que je peux vous dire, c'est que je fais beaucoup de watts et c'est pour ça que je suis maillot jaune."
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Parce que son entourage est sulfureux
L'équipe UAE-Team Emirates de Pogacar est dirigée par un ensemble de dirigeants et entraîneurs qui ont été, pour certains, épinglés dans d'anciennes affaires de dopage. Le PDG de la formation émiratie Mauro Gianetti et le manager général Matxin Joxean Fernandez étaient à la tête de l'équipe Saunier-Duval, tristement célèbre depuis le Tour de France 2008.
Lors de cette édition, l'équipe espagnole voit Riccardo Ricco et Leonardo Piepoli remporter trois étapes de montagne. Mais le premier est contrôlé positif à la CERA, un EPO de troisième génération. Sa formation quitte aussitôt la Grande Boucle. Après le Tour, les échantillons prélevés sur Piepoli sont également positifs au même produit dopant.
En 1998, leur futur directeur sportif Mauro Gianetti avait fait un malaise sur le Tour de Romandie lorsqu'il était coureur, à cause, selon la dénonciation pénale de deux médecins, de la consommation de PFC, un transporteur d'oxygène, interdit depuis 2004. Le Suisse avait passé trois jours dans le coma à la suite de ce malaise.
Le cyclisme slovène est également entaché par les affaires de dopage et notamment celle baptisée Aderlass. Cette enquête menée en Autriche et en Allemagne, a abouti aux suspensions des Slovènes Kristjan Koren et Borut Bozic. L'UCI les accusait d'auto-transfusions sanguines en 2012 et 2013. Selon un décompte du Monde en 2019, 8 des 19 coureurs slovènes ayant évolué au niveau World Tour depuis dix ans ont été suspendus pour dopage, soit 42% du contigent.
Tadej Pogacar n'a jamais été contrôlé positif ni mentionné dans une quelconque affaire de dopage. "Pogi" a même assuré s'être fait contrôler à trois reprises lors de la 9e étape entre Cluses et Tignes. "Je ne sais pas quoi faire pour prouver mon innocence", a-t-il admis en conférence de presse. "J'avais dit à Andrej (Hauptman) : 'Tadej (Pogacar) va arrêter le vélo l'année prochaine parce qu'à cet âge-là, c'est le dopage qui commence", confiait sa maman Marjeta dans un reportage diffusé dans l'émission Stade 2.
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