Tour de France 2021 : les oreillettes sont-elles vraiment dangereuses ?
Stressantes et omniprésentes dans les oreilles des coureurs du Tour de France, les oreillettes divisent de plus en plus le monde du cyclisme.
"On ne peut plus continuer comme ça, ce n'est plus du vélo. Il faut qu'on change. Peut-être qu'il faut adapter le matériel, qu'il faut enlever les oreillettes, qu'il faut faire plein de choses. Parce que si on ne le fait pas, on va avoir des morts." Les mots sont forts, ciselés, choisis. Ils sont ceux du manager de la formation Groupama-FDJ, Marc Madiot, impulsif mais toujours lucide quant à la sécurité des coureurs du Tour de France. Ils ont été prononcés à la suite des chutes qui ont fait déborder le vase de l'angoisse, lors de la troisième étape du Tour de France 2021.
De la friture sur la ligne
Dans son plaidoyer, Madiot pointe notamment les oreillettes, si critiquées depuis leur introduction en 1990 dès lors qu'elles cadenassent les stratégies de course. Désormais, elles génèrent du stress pour les coureurs en les poussant parfois involontairement à la faute, focalisés sur la voix continue qui vocifère à leur oreille.
"Avec une oreillette, on a une oreille sur deux qui est monopolisée par les consignes de son directeur sportif. Il y a beaucoup de stress véhiculé par certains d'entre eux qui passent leur journée à baragouiner dans les oreillettes, et qui donnent tous les mêmes informations : les directions, le vent", détaille notre consultant et ancien coureur Yoann Offredo.
Une voix qui gronde dans les tympans pendant des centaines de kilomètres peut-elle détourner l'attention des coureurs, et donc favoriser les chutes ? "L'oreillette est l'une des causes de nombreuses chutes. Il faudrait un ou deux coureurs avec l'oreillette, mais pas toute l'équipe", déplorait Christophe Agnolutto, vice-président du syndicat des coureurs professionnels, sur RMC Sport.
"Il y a plus de stress aujourd'hui car les équipes sont structurées d'une manière beaucoup plus professionnelle. On sent que l'agressivité, sans que ce soit péjoratif, pousse le coureur à être toujours dans les premières positions afin d'éviter les pièges de la route", observe de son côté Cédric Vasseur, manager de la formation Cofidis.
Remonter les leaders, nouvelle plaie
Au-delà de la simple présence des oreillettes, le peloton observe depuis plusieurs années une tendance : la volonté de remonter le leader parmi les toutes premières positions, parfois même dans la pagaille des trains de sprinteurs. "Quand on vient sur le Tour de France, on n'a pas envie de le perdre car on a une cassure dans le final. Les équipiers des leaders viennent se mêler à l'avant du peloton, car en général, les leaders ne sont pas les meilleurs acrobates", constate Cédric Vasseur.
De quoi mettre la zizanie, ajouter de la confusion et donc accentuer le risque de culbute à 50 km/h. "Si tout le monde fait ça, ça ne marche pas. Tous ces facteurs expliquent que sur une course comme le Tour il y a de l'enjeu, donc des chutes, et ça va être difficile de le réduire. Parfois, certains coureurs devraient prendre conscience de la nécessité de rester en 50e plutôt qu'en 20e position", alerte Vasseur.
Tous s'accordent à dire que les oreillettes, apparues dans les années 1990, jouent un rôle néfaste pour les coureurs dans le final des étapes stressantes. Mais il ne sert à rien de tirer sur l'ambulance. "Les oreillettes, c'est une des clés mais ce n'est pas la seule", tempère Yoann Offredo. "Pour les sponsors, c'est essentiel d'exister sur le Tour. Il y a des courses de vélo toute l'année, mais des courses avec une telle intensité et un tel stress, il y en a très peu. On n'est plus à l'époque où Cyrille Guimard faisait des briefings bien construits. On a une pression constante dans les oreillettes pour rester devant, garder sa place, se battre", continue l'ancien coureur professionnel.
Plusieurs solutions en réflexion
Alors que faire ? Couper les oreillettes dans le final, les remplacer par une radio unique ? Plusieurs pistes ont déjà été évoquées. Tout n'est d'ailleurs pas à jeter dans l'introduction des oreillettes, qui apportent beaucoup d'informations de sécurité aux coureurs en course, et évitent aux voitures de remonter à leur distance pour communiquer. Toutes les formations y sont désormais habituées, et certaines en ont même fait une grosse partie de leur stratégie. "L'oreillette est davantage présente pour établir la stratégie de course que pour sécuriser. De là à dire que sans oreillettes, il n'y aura plus de chutes, ce n'est pas vrai non plus", indique Cédric Vasseur.
Parallèlement au fait de cibler les oreillettes, Cédric Vasseur propose d'insister davantage sur les sanctions pour les responsables des chutes. "Il y a eu, par le passé, un peu trop de laxisme face à des gestes antisportifs. Souvent, les chutes viennent des coureurs qui s'accrochent ou qui se battent. On ne voit pas tout à la télévision. Un coureur qui volontairement met d'autres coureurs au tapis doit être écarté", affirme le manager de la formation nordiste.
Sanctionner le fautif plus que l'objet
Dylan Groenewegen, auteur d'une faute lors du Tour de Pologne 2020 mettant en danger la vie de Fabio Jakobsen, avait écopé de neuf mois de suspension. De quoi refroidir certains coureurs tentés de remonter au risque de provoquer une chute ? "Si on commence à être beaucoup plus sévère au niveau des sanctions de gestes antisportifs, dans le sprint ou ailleurs, mais également à être très vigilant les premiers jours, où la nervosité est la plus présente, cela limitera déjà le nombre de chutes. Mais on ne l'amènera jamais à zéro", conclut Cédric Vasseur.
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