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Tour de France 2021 : tristesse, solitude, guérison... Comment les coureurs gèrent-ils l'abandon ?

Ils sont 39 à avoir abandonné le Tour de France sur cette édition. Comment se passe la suite pour ceux qui quittent la route de la Grande Boucle ?

Article rédigé par Théo Gicquel, franceinfo: sport - De notre envoyé spécial
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Robert Gesink a quitté le Tour de France 2021 lors de la 3e étape entre Lorient et Pontivy, le 28 juin. (THOMAS SAMSON / AFP)

Ils disparaissent des radars du jour au lendemain. Dans un communiqué laconique, comme Peter Sagan, une vidéo explicative comme Warren Barguil ou même le froid verdict d'une arrivée hors-délai dans les Alpes, comme Arnaud Démare ou Bryan Coquard. Au départ de la troisième semaine, ils sont 39 sur 184 à avoir déjà quitté la route du Tour de France 2021, un chiffre anormalement élevé. Si l'abandon, conséquence d'une chute, d'un hors-délai ou d'un choix d'objectif, fait partie de la vie du Tour, la suite n'est que rarement racontée.

Ce passage de la fureur de la course à la solitude du quotidien, de l'effervescence sur les routes à celle de l'antidouleur sur la table de chevet de l'hôpital, Cyril Lemoine l'a expérimenté cette année. Le coureur de l'équipe B&B Hotels-KTM a quitté la course dès la première étape, victime d'une des violentes chutes collectives. "J'avais quatre côtes fracturées, un pneumothorax, deux arrachements osseux au niveau des vertèbres et des points de suture", dévoile dans un rapide bilan médical celui qui devait soutenir Bryan Coquard.

Bryan Coquard (à droite) prend des nouvelles de son coéquipier Cyril Lemoine lors de la 1re étape du Tour de France 2021. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Avec son premier abandon, le Tourangeau découvre la difficulté de l'abdication forcée, après six Tours de France terminés. "J'ai craqué quand j'étais aux urgences, au téléphone avec ma compagne. C'est normal, on est tous humains. Ça me faisait ch... de quitter le Tour, de quitter l'équipe, toute la préparation en amont, l'état de forme que j'avais", dévoile Cyril Lemoine.

Comment vit-on alors ce cafard cinglant, ce moment où tout s'écroule implacablement après tant de préparation ? "Ça m'a cassé mentalement. C'était dur de revenir ensuite", se remémore Pavel Sivakov (Ineos Grenadiers), contraint à l'abandon lors du Giro en mai, après avoir déjà chuté au dernier Tour de France, puis au Tour des Alpes. "Je suis resté six jours à l'hôpital, détaille Cyril Lemoine. Au début, je me suis dit que je devrais y être lorsque je voyais le Tour à la télévision. Mais il n'y a pas à ressasser, il faut avancer."

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Le plus dur à gérer une fois la course quittée ? "C'est d'abord le côté humain, les copains et l'équipe, plutôt que moi-même. Je laisse mes sept amis sans moi. C'est surtout ça qui me laisse amer", confesse Cyril Lemoine. Loin des yeux, mais pas du téléphone, qui permet de ne pas se sentir isolé, notamment lors du passage à l'hôpital. "Je suis toujours dans le groupe WhatsApp qu'on crée sur le Tour. Bon, je l'ai quand même mis un peu en sourdine car il y a pas mal de messages pour la gestion des étapes, continue-t-il dans un sourire. J'ai eu pas mal de messages de mes coéquipiers, les directeurs sportifs m'ont même appelé en pleine étape cette semaine !"

Passé le premier stade, celui du choc émotionnel, de la frustration et de la tristesse d'abandonner leurs frères de bitume, les forçats de l'asphalte remettent rapidement la tête dans le guidon. "Quand on est cycliste pro, on a un tempérament combatif, il faut savoir faire abstraction et se dire que ce n'est que du sport, qu'on était sur la plus belle course du monde", médite Cyril Lemoine.

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Mais les ornières de la route qui les précipitent hors de la course se matérialisent aussi dans le processus de guérison. "Physiquement, la récupération a été assez rapide. Mais ça prend plus d'énergie qu'on ne le croit. Même si on peut rouler, on se sent un peu vide", observe Pavel Sivakov, qui panse ses plaies avant les Jeux olympiques le 24 juillet prochain. "Ce sont davantage les messages qu'on reçoit des gens qui te font ressasser la chute. Ils envoient des messages de bon rétablissement alors que le moral va mieux. Il faut répondre à tout le monde, à force on fait des copier-coller !", en rigole Cyril Lemoine.

"Dès qu'on quitte le Tour et qu'on rentre à la maison, c'est là qu'on commence à faire le 'deuil'. Mais c'est aussi agréable d'être seul. J'ai un côté solitaire, un peu ours par moment. Cela permet de faire un point sur soi-même, d'avancer beaucoup plus vite"

Cyril Lemoine, coureur de la formation B&B Hotels KTM

à franceinfo: sport

Si certains souffrent plus que d'autres de l'abandon, tous s'accordent sur un point : l'épreuve est dure sur le coup, mais elle n'est que passagère. "Ça fait partie de la vie de coureur : on prend tous des coups, il faut savoir se relever. Il faut essayer de relativiser la chose, continuer à bosser", lâche Pavel Sivakov. 

Démangeaison de repartir

Enfin, le dernier stade est le plus redouté : l'heure de remonter sur le vélo. En fonction des circonstances, ce passage peut prendre des jours, des semaines, voire des mois. Non sans appréhension, notamment à la suite de chutes survenues dans des descentes. Pierre Latour (TotalEnergies) en sait quelque chose : le Drômois avait chuté dans une descente puis abandonné en février lors du Tour des Alpes-Maritimes et du Var.

Il est depuis remonté sur le vélo, mais l'angoisse est toujours là : lâché dans une descente, il avait perdu gros lors de la 8e étape rendue épouvantable par la pluie. Une anxiété que ne partage pas Cyril Lemoine : "Ça m'est déjà arrivé en 2012 de prendre une grosse chute, ça ne m'était pas du tout resté en tête. J'ai cette faculté à tout effacer, donc je ne m'inquiète pas de reprendre les courses".

L'équipier modèle de la formation bretonne en a bientôt fini de sa convalescence. "À la fin du Tour, je remonterai sur mon home-trainer, comme ça, je pourrai arrêter si j'ai encore des douleurs", envisage le Tourangeau. "Reset" mental, oxygénation bienvenue en famille : bientôt, il remontera sur sa monture qui ne cesse de lui faire de l'œil.

"Cette semaine, je voyais mon vélo qui était dans le garage : je suis remonté dessus pour voir, pour me mettre en position. Ça me démangeait un peu. J'espère aller rouler bientôt, m'évader un peu sur mes routes". La douleur sera digérée et enterrée, la fureur de la course reprendra ses droits, comme une addiction qu'aucun abandon ne peut altérer.

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