On vous explique l'enquête journalistique qui révèle un scandale de dopage impliquant des médaillés olympiques chinois
Une enquête publiée samedi 20 avril par le New York Times et la chaîne allemande ARD a révélé des contrôles positifs concernant 23 nageurs chinois, sept mois avant les Jeux olympiques de Tokyo 2021. Les autorités chinoises ont blanchi ces athlètes, et l'Agence mondiale antidopage aurait choisi de ne pas enquêter, ni intervenir. Presque la moitié de l'équipe de natation envoyée par la Chine aux Jeux de Tokyo est concernée, dont Zhang Yufei, double médaillée d'or, et plusieurs autres athlètes médaillés. Nombre d'entre eux sont attendus aux Jeux olympiques de Paris 2024.
Des contrôles positifs à la trimétazidine
Les 23 nageurs chinois ont été contrôlés positifs à la même substance, la trimétazidine (surnommée TMZ), lors d'un meeting de natation à Shijiazhuang organisé par l'association chinoise de natation, entre décembre 2020 et janvier 2021. La trimétazidine est un médicament prescrit aux personnes atteintes de pathologies cardiaques, qui permet d'augmenter l'endurance à haute intensité cardiaque et la récupération. Un test positif à cette substance interdite entraîne une suspension temporaire immédiate quelle que soit sa concentration dans l'échantillon prélevé, hormis dans de très rares cas.
Testés positifs mais pas suspendus
La contamination alimentaire accidentelle est l'une des seules circonstances pouvant éviter une suspension à un athlète testé positif à la trimetazidine. C'est justement la conclusion de l'enquête menée par l'agence antidopage chinoise (Chinada), à l'origine des tests positifs lors du meeting. Dans un rapport interne, elle affirme que "les nageurs ont ingéré la substance interdite à leur insu et en très petites quantités", ne justifiant à son sens aucune sanction. La Chinada assure que des traces de la substance ont été retrouvées dans les cuisines de l'hôtel où résidaient les nageurs.
World Aquatics, le nouveau nom de la Fédération internationale de natation, a également affirmé sa confiance dans les processus de contrôle, l'organisation se disant "convaincue que ces résultats d'analyse anormaux ont été traités avec diligence et professionnalisme, et conformément à tous les règlements antidopage applicables, y compris le Code mondial antidopage" auprès du New York Times.
L'Agence mondiale antidopage en eaux troubles
L'Agence mondiale antidopage (AMA) a été avertie de ces contrôles positifs en juin 2021, comme en atteste un échange de mails entre un haut responsable de la natation mondial et un représentant chinois de la lutte contre le dopage, "qui semblait indiquer qu'une violation avait pu avoir lieu et qu'elle devrait, au minimum, être reconnue publiquement", souligne le New York Times. L'AMA pouvait alors contester les conclusions chinoises en faisant appel. Mais elle a invoqué "l'absence de toute preuve crédible". Une position qu'elle a conservée malgré le fait que des responsables nationaux et internationaux de la lutte antidopage "ont fourni à plusieurs reprises (...) des informations suggérant une dissimulation et un dopage de la part des nageurs chinois".
L'agence affirme avoir "conclu qu'il n'y avait pas de base concrète pour contester la contamination alléguée", après avoir consulté des scientifiques et des conseillers juridiques externes. D'après les médias à l'origine de l'enquête, le rapport chinois "ne contient aucune preuve de l'origine de la substance".
Plusieurs précédents, pas la même conclusion
En 2014, le célèbre nageur chinois Sun Yang, double champion olympiques aux Jeux olympiques de Londres 2012 (400 mètres nage libre et 1 500 mètres nage libre), a été contrôlé positif à la trimétazidine. Il avait alors été suspendu trois mois. Il purge actuellement une suspension de quatre ans et trois mois pour s'être soustrait à un contrôle antidopage.
Moins d'un an avant les tests positifs des 23 nageurs chinois, à l'approche des Jeux d'hiver de Pékin 2022, la patineuse russe Kamila Valieva avait été testée positive à la trimétazidine, à "des niveaux relativement faibles de la substance". L'agence russe antidopage avait tiré la même conclusion que son homologue chinoise : une contamination alimentaire accidentelle. L'agence mondiale antidopage avait alors fait appel, avec succès, de la décision d'innocenter la patineuse. Kamila Valieva a finalement, le 29 janvier, été suspendue pour quatre ans de toute compétition internationale.
Des doutes sur la crédibilité de la lutte antidopage
L'affaire de la patineuse Kamila Valieva avait déjà mis en lumière les limites du système antidopage mondial, fondé sur le principe de l'autorégulation. L'agence mondiale s'appuie sur un réseau d'agences nationales qui contrôlent leurs athlètes. Elle doit intervenir lorsqu'un doute existe sur la rigueur des contrôles ou des enquêtes menées par une agence nationale, ou lorsque l'une de ces entités est soupçonnée de favoriser ou de protéger ses athlètes.
"Tous ceux qui ont les mains sales pour enterrer ces résultats positifs et étouffer les voix des courageux lanceurs d'alerte doivent être tenus responsables dans toute la mesure des règles et de la loi", a déclaré au New York Times le directeur général de l'Agence antidopage américaine, Travis T. Tygart, qui a reconnu avoir fourni à l'AMA des allégations de dopage dans la natation chinoise à plusieurs reprises depuis 2020. Au-delà de la remise en cause du système fondé sur des agences nationales, la légitimité de l'agence mondiale antidopage pourrait être en jeu.
Le président de la Fédération française de natation, Gilles Sezionale, a réagi à ces révélations au micro de RMC, se disant "abasourdi" et dénonçant un "deux poids, deux mesures". "Sur la même période, nous n'avons eu qu'un seul cas, chez un junior, il a été suspendu à titre conservatoire. Normalement, c'est à l'athlète de se justifier, pas l'inverse [sous-entendu la fédération]. Blanchir 23 athlètes qui ensuite ont performé aux Jeux, c'est assez malvenu", juge-t-il, réclamant que "toute la lumière soit faite".
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