Affaire Luis Rubiales : les dessous de la révolte des joueuses après le baiser forcé à Jennifer Hermoso racontés par la présidente du syndicat Futpro
"Ce qui est arrivé à la Coupe du monde n'est pas un acte isolé." En pesant ses mots, vendredi 8 mars, Amanda Gutierrez est revenue sur l'affaire du baiser forcé de Luis Rubiales – alors président de la Fédération espagnole de football – à la joueuse Jennifer Hermoso lors des célébrations de la victoire espagnole à la dernière Coupe du monde. Présidente du syndicat Futpro, qui défend les intérêts des footballeuses, l'avocate a vécu le tourbillon médiatique lorsque les images ont fait le tour du monde. "Quand cela s'est produit, en tant que syndicat, nous voulions évidemment protéger la joueuse à tout prix et nous avons attendu qu'elle soit prête à s'exprimer en public", explique-t-elle, dénonçant "un problème structurel" et "l'impunité que cette personne pensait avoir en se permettant de faire ça".
Lors de la conférence "Score a goal for women", organisée à l'Unesco, à Paris, Amanda Gutierrez a évoqué la journée du 25 août comme date clé dans cette affaire. "Lors de l'assemblée générale de la Fédération espagnole [RFEF], Luis Rubiales assure qu'il ne démissionnera pas, et ce qu'il obtient en retour, ce sont des applaudissements et des acclamations", rappelle-t-elle. Un événement qui va pousser Jennifer Hermoso à sortir du silence : "Elle m'a dit qu'elle devait parler, par respect pour elle, mais aussi par respect pour toutes les femmes du monde à qui cet homme venait de manquer de respect."
L'union, seul moyen de se faire entendre
Vient alors le moment de s'organiser au mieux pour contrer la puissante RFEF, qui avait déjà tenté, après les faits, d'étouffer l'affaire, en déclarant avoir reçu un communiqué de la joueuse affirmant que le baiser était consenti. "Je devais veiller au bien de l'ensemble du collectif et je ne voulais pas que Jenni soit la seule à parler. C'est là que la folie a commencé, se remémore Amanda Gutierrez. J'ai d'abord appelé l'une des championnes du monde, je voulais qu'elle parle à tout le groupe et qu'elles signent toutes le communiqué. Elles étaient d'accord. J'ai ensuite appelé les premières joueuses espagnoles à avoir participé à une Coupe du monde [en 2015]. Elles étaient d'accord aussi. J'ai appelé les joueuses qui avaient eu des problèmes avec le sélectionneur Jorge Vilda et qui avaient manqué le Mondial pour avoir défendu ce en quoi elles croyaient. Elles ont accepté. Ce qui devait être un communiqué avec quelques signatures a finalement été signé par plus de 80 joueuses."
Apposer sa signature au bas du communiqué était un acte fort, car il annonçait que toutes les signataires renonçaient à la sélection dans ces conditions. "L'équipe nationale est la plus grande récompense pour une athlète professionnelle. Pourtant, elles étaient toutes prêtes à y renoncer pour de bon, s'il n'y avait pas de changements structurels", rappelle l'avocate. Ce communiqué a été publié en parallèle d'un tweet de la double Ballon d'or Alexia Putellas, mentionnant le fameux "Se acabo" ("C'est terminé"). "La suite a été incroyable, raconte Amanda Gutierrez. Un mouvement mondial s'est créé, nous sommes allées dans les rues et nous avons vu des banderoles avec le message 'Se acabo'. C'est là que les institutions ont commencé à nous écouter, lorsqu'elles ont réalisé que si les sportives ne sont pas là, il n'y a pas de football féminin. Elles n'avaient pas d'autre choix."
Le dialogue a enfin pu être entamé avec le gouvernement et la Fédération espagnole afin d'avoir la certitude que des changements structurels seraient réalisés. Un début de collaboration qui ne s'est pas fait sans pression pour les joueuses, convoquées à Valence malgré leur signature du communiqué initié par Jennifer Hermoso. "En Espagne, si vous refusez l'équipe nationale, vous pouvez être banni à vie de toute compétition, avec votre pays mais aussi en club. Votre carrière peut être terminée. Les joueuses étaient tellement anxieuses à ce sujet. Les problèmes de santé mentale qu'elles rencontraient étaient indescriptibles", regrette Amanda Gutierrez.
Stress et problèmes de santé mentale
La présidente de Futpro a tenu à se rendre à cette convocation, inquiète pour la sécurité des joueuses parce que "tout ce que la fédération faisait à l'époque ne les protégeait pas. Ils ont tout fait pour que rien ne se passe." Alors que les joueuses demandaient un communiqué avec des excuses, Amanda Gutierrez a pris la parole pour aller au-delà : "Ce que nous voulons, c'est changer la loi. Nous voulons aussi un protocole sur le harcèlement sexuel, garantir un périmètre de sécurité au sein de la sélection, demander des comptes à ceux qui ont applaudi Luis Rubiales et fait pression sur les joueuses pour qu'elles prennent la parole [pour défendre le dirigeant]."
Pour réellement faire changer les choses et éviter de gâcher une nouvelle fois la fête, l'avocate continue à œuvrer en faveur des footballeuses. "Mon rôle et celui du syndicat, c'est de faire comprendre que n'importe quelle joueuse peut se tourner vers nous. Nous sommes constamment en réunion, en discussion pour essayer de construire un monde meilleur. C'est un travail invisible, mais nous voulons faire changer les lois pour mettre fin à ce problème structurel. C'est ma mission et mon objectif en tant que présidente de cette institution, de rappeler aux joueuses qu'ensemble, quel que soit leur club, quel que soit leur pays, quelle que soit la langue qu'elles parlent, si elles sont ensemble, elles peuvent changer les choses."
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