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Irlande-France : Amandine Henry, spécialité pied de nez

Mise à l'écart par Corinne Diacre, Amandine Henry s'apprête à faire son retour chez les Bleues à l'occasion d'un amical de préparation en Irlande, jeudi. Un timing idéal à deux semaines de la Coupe du monde, qui montre l'expérience de la milieu dans l'art de donner tort à tous ceux qui doutent d'elle.
Article rédigé par Gabriel Joly, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
Amandine Henry lors de sa dernière sélection avec les Bleues face à l'Autriche, le 27 novembre 2020. (MAXPPP)

951 jours. Plus de deux ans et demi vécus comme une éternité. C'est le temps qui s'est écoulé depuis la dernière cape internationale d'Amandine Henry. Mise sur la touche par Corinne Diacre en novembre 2020, la milieu ne pensait plus porter à nouveau le maillot bleu. Elle pourrait toutefois être sur le pré face à l'Irlande, jeudi 6 juillet, au Tallaght Stadium de Dublin, pour disputer la première rencontre de préparation de l'équipe de France avant la Coupe du monde (20 juillet-20 août).

En direct de Clairefontaine, la milieu de terrain des Bleues s'exprime sur son retour en équipe de France et sur son état d'esprit à un mois de la Coupe du monde !
Football : Amandine Henry en duplex de Clairefontaine En direct de Clairefontaine, la milieu de terrain des Bleues s'exprime sur son retour en équipe de France et sur son état d'esprit à un mois de la Coupe du monde !

Un retour qu'elle doit en grande partie au nouveau sélectionneur, Hervé Renard, arrivé fin mars pour calmer une situation explosive chez les Bleues. "Je prends ça comme une deuxième chance, avait reconnu la nouvelle recrue d'Angel City aux Etats-Unis, au micro de "Tout le sport", le 22 juin dernier. Au moment d'évoquer "une période pas très amusante" pour qualifier ses mois d'absence en sélection, Amandine Henry avait indiqué que "cela [allait] être une force pour la suite". Une sorte d'adage pour cette joueuse qui s'est nourrie des difficultés traversées pour prouver, à ses détracteurs et même à la médecine, qu'elle savait surmonter tous les obstacles.

Jouer chez les garçons, une contrainte puis un atout

Car rien n'a été épargné à cette Nordiste, obligée de composer avec la différence dès ses petites années. En poussin à l'OSM Lomme, la jeune fille évolue avec les garçons, faute d'équipe féminine, et se fait alors accepter par son talent. "Elle n'était pas comme mon autre attaquant, elle passait le ballon quand elle voyait un coéquipier mieux placé. Elle avait le sens du collectif et les garçons l'aimaient bien", racontait David Vanlerberghe, son tout premier entraîneur, à La Voix du Nord.

Malgré un potentiel déjà visible, celle qui est aidée par son père pour travailler sa technique est recalée par le LOSC à 10 ans. Qu'à cela ne tienne, la championne en herbe rejoint les masculins de l'Iris Lambersart, bientôt connus dans toute la région comme "l'équipe de la fille", tant l'adolescente affiche sa domination sur le terrain, avec en prime le brassard de capitaine.

"Ce n'est pas plus mal, car si je n'avais pas commencé avec [les garçons de l'Iris], je n'en serais pas là aujourd'hui. Ils m'ont appris à avoir du caractère, à faire tout plus vite", se félicitait Amandine Henry dans L'Equipe magazine. Des qualités également perçues par Patrice Lair. "Je lui ai souvent répété qu'elle pouvait jouer chez les hommes car c'est une joueuse qui s'approche des caractéristiques du foot masculin plus physique, détaille son coach à Lyon et au PSG. Cela explique pourquoi elle ne fait jamais de mauvais matchs : si elle n'est pas dans un bon jour, elle va au moins amener sa supériorité athlétique."

Un genou en "champ de bataille"

Ce bagage de base en poche, Amandine Henry effectue ses débuts en première division avec brio du côté de Hénin-Beaumont. Avec onze réalisations en vingt rencontres, la milieu à peine âgée de 15 ans s'illustre au point d'intégrer le pôle national féminin de Clairerontaine en 2005, puis de s'ouvrir les portes de l'Olympique lyonnais, qui s'affirme comme un mastodonte chez les filles, deux ans plus tard. "Footballeuse professionnelle, ça n’existait pas, c’était des contrats fédéraux et il fallait travailler à côté. Un jour, le contrat professionnel est né pour les féminines, et voilà, je suis tombée dans la bonne période", expliquait l'intéressée à Marie-Claire.

Mais cette chance, Amandine Henry a bien failli s'en voir privée. La faute à un genou droit récalcitrant. Très vite après son arrivée entre Rhône et Saône, le médecin de la section féminine, Jean-Jacques Amprino, se rend compte que quelque chose cloche. "Les gens du staff technique m’avaient dit que c’était une des meilleures de sa génération, mais elle ressentait trop de douleurs", se souvient le toubib de 75 ans.

"On a fait des examens classiques et on a repéré une chondropathie. Le cartilage entre la rotule et le fémur était très abîmé. Dès qu’elle faisait un effort, son genou gonflait, faisait des épanchements ou se bloquait."

Jean-Jacques Amprino, ex-médecin de l'OL

à franceinfo: sport

"Quand on est arrivé au bout de ce qu'on pouvait faire en soins traditionnels, on a tenté la solution de la dernière chance avec une greffe de cartilage", détaille celui qui "l'a ponctionnée moult fois". "Amandine n'était plus capable de faire son métier. Son genou ressemblait plus à un champ de bataille qu'autre chose, confirme Bernard Moyen, le chirurgien qui l'a opérée. C'était loin d'être gagné d'avance, mais on a reproduit une surface cartilagineuse convenable et elle a tenu bon avec courage."

"J'ai dû reprogrammer mon cerveau, réadapter mon corps : au lieu de prendre un appui pied droit, c'était pied gauche. Encore aujourd'hui, les spécialistes ne comprennent pas en voyant mes radios, que je ne ressente pas de douleur, comme quoi la science n'est pas exacte", souriait la joueuse en 2019. Après de longs mois de rééducation et de réathlétisation, la Fenotte fait ainsi son retour à la compétition alors que les médecins lui prédisaient une fin de carrière. "Elle a eu un mental d'acier et n'a jamais cédé même si elle en a bavé. Sans cela, elle n'y serait pas arrivée par la suite", assure Jean-Jacques Amprino.

Déjà mise à l'écart des Bleues

La suite, c'est un nouveau coup d'arrêt dans sa carrière pourtant enfin lancée. Titulaire à Lyon, Amandine Henry a aussi découvert l'équipe de France en avril 2009. Dès son arrivée sur le banc de l'OL en juin 2010, Patrice Lair découvre une championne en devenir. "Malgré son jeune âge, elle était au-dessus du lot. C'était une leader au milieu, quelqu'un qui ne lâchait rien. Même sur une jambe, elle avait déjà une capacité à casser les lignes et à frapper puissamment", dépeint l'actuel coach des Bordelaises.

Les Lyonnaises Eugénie Le Sommer, Sarah Bouhaddi et Amandine Henry (de gauche à droite) avec leur deuxième Ligue des champions remportée d'affilée, le 17 mai 2012. (MAXPPP)

Mais une nouvelle fois, son ascension est freinée. Pièce maîtresse d'un OL vainqueur de sa première Coupe d'Europe, Amandine Henry voit le sélectionneur tricolore, Bruno Bini, se passer d'elle début 2011. "Il y avait eu une confrontation de Lyonnaises avec Corinne Petit, révèle Patrice Lair pour qui la non-sélection de sa numéro 6 reste "une erreur qui a privé les Bleues d'un titre" au Mondial 2011 ou aux JO de Londres en 2012. Dans un vestiaire, certaines personnes ne s'entendent pas. Moi, je ne faisais aucune différence en club et il n'y avait pas de souci, donc je ne vois pas pourquoi cela se serait mal passé en sélection".

Pendant les fenêtres internationales, la blonde à la queue-de-cheval se réfugie donc dans le travail et cela paye avec un premier triplé C1-D1-Coupe lors de la saison suivante. "L'équipe de France m'a manqué. J'ai toujours tout donné, et puis cela m'a permis de revenir plus forte. Cela a forgé mon caractère, de leur montrer qu'ils ont eu tort", s'est-elle étendue depuis.

"Cette première sanction l'a endurcie. Cette expérience lui a permis de mûrir, de se donner une carapace supplémentaire pour affronter d'autres difficultés plus tard dans sa carrière."

Patrice Lair, ancien coach de l'OL féminin

à franceinfo: sport

Reste qu'une fois réintégrée, avant l'Euro 2013, Amandine Henry prend part à toutes les compétitions internationales, tandis que son armoire à trophées en club se remplit à toute allure. A tel point qu'elle décide de plier bagage à l'été 2016 pour Portland. L'occasion d'encore développer sa palette outre-Atlantique. "Quand je l'ai récupérée lors de la trêve américaine pendant deux mois au PSG, elle avait adopté la mentalité locale. Elle se prenait moins la tête", se rappelle Patrice Lair, en poste dans la capitale à l'hiver 2017. De bon augure.

A l'épreuve de Diacre

Après une Coupe du monde 2019 disputée dans l'Hexagone, en tant que capitaine de Corinne Diacre, la native de Lille - retournée depuis dans le giron de Jean-Michel Aulas - traverse une nouvelle période compliquée. Du haut de ses 14 championnats de France et sept coupes européennes avec Lyon, de ses podiums réguliers parmi les meilleures joueuses de l'année ou encore de ses 93 sélections en équipe de France, Amandine Henry est écartée par la coach pour avoir endossé ses responsabilités en alertant au nom d'un groupe sur la gestion managériale à l'automne 2020.

Corinne Diacre et Amandine Henry après France-Nigéria à Rennes lors de la dernière Coupe du monde, le 17 juin 2019. (MAXPPP)

Même lorsqu'elle inscrit un but fabuleux en finale de Ligue des champions contre Barcelone en 2022, la Française n'est pas retenue pour disputer l'Euro. "Je m'étais résignée. Je me suis dit : c'est comme ça, c'est la vie. J'ai souffert. Je me posais des questions. Il fallait trouver un autre rêve", a-t-elle récemment reconnu à l'AFP, concédant qu'elle avait eu recours au soutien d'un préparateur mental.

"J'ai appris qu'on pouvait être en haut de l'affiche puis tout en bas du jour au lendemain, que rien n'est acquis, qu'il faut se remettre en question. Mais aussi qu'il ne faut jamais baisser les bras parce que tout peut arriver", a-t-elle ajouté, une fois rappelée par Hervé Renard. Pour adresser un dernier pied de nez à la cantonade, il ne lui reste désormais qu'à mener la France vers son premier titre mondial en Australie.

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