Blessures pendant la trêve internationale, cadences infernales : "On est en train de détruire le football", alertent les syndicats de joueurs

Les syndicats nationaux des joueurs tirent la sonnette d’alarme après une nouvelle trêve internationale marquée par la blessure de nombreux joueurs au sein de leur sélection nationale. En cause, les calendriers démentiels.
Article rédigé par Julien Froment
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Warren Zaïre-Emery blessé pendant le match entre la France et Gibraltar, le 18 novembre 2023 (SEBASTIEN NOGIER / EPA)

Marquinhos, Vinicius, Camavinga, Zaïre-Emery, Haaland, Machado, Gavi, Todibo : voici la liste non exhaustive des joueurs qui ont récemment rejoint l’infirmerie alors qu’ils étaient avec leur sélection nationale ces dix derniers jours. Allant de la simple gêne musculaire jusqu’à la rupture des ligaments croisés – pour le milieu barcelonais Gavi – tous ont pour point commun d'avoir disputé entre 15 et 21 matchs depuis le début de la saison, soit une moyenne de trois rencontres par semaine.

"On le dénonce depuis longtemps", déplore à franceinfo David Terrier, président de la division Europe de la Fifpro, le syndicat mondial des joueurs de football professionnel, réuni pour son congrès annuel en Afrique du Sud. "On a fait des études, des enquêtes avec des responsables de ‘team performance’, ou alors par des médecins. Et pour eux, c’est tout simplement impossible de tenir cette charge de travail qui est imposée aux joueurs. Physiquement, ce n’est pas tenable, et ça génère des blessures."

La Coupe du monde a accentué les blessures

Des blessures qui ont augmenté avec la Coupe du monde au Qatar 2022, comme le révèle l’étude du cabinet d’assurance Howden. "Le nombre de blessures après la Coupe du monde a un impact physique sur les joueurs qui sont en train d’en payer le prix fort", constate David Terrier, également vice-président de l’UNFP, l’union nationale des footballeurs professionnels.

"On est en train de détruire le football pour plus de compétitions, plus de matchs, plus de gains. Il va y avoir plus de droits TV, qui vont générer plus d’argent."

David Terrier, président de la division Europe de la Fifpro

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"Oui cela va permettre de donner plus d’argent aux fédérations, poursuit-il, mais c’est au détriment du football, au détriment du respect des spectateurs et téléspectateurs qui payent très cher leurs abonnements. On est tout simplement en train de détruire le produit."

Même son de cloche du côté de la superpuissante Premier League anglaise. Le syndicat des joueurs, le PFA et son président Maheta Molango constatent pour franceinfo que "le calendrier à chaque début de saison est le sujet numéro 1 qui préoccupe les joueurs". Et d’ajouter : "Cela concerne tous les clubs. Environ 64% des joueurs du championnat sont étrangers, et la plupart jouent avec leur sélection. Ils sont tous très conscients de la situation, que cela peut porter atteinte à leur santé, mais aussi à la qualité du produit foot. Ils se rendent compte que ce qu’ils voient sur le terrain, ce n’est pas ce qu’ils aimeraient voir en tant que supporters."

Varane et Tchouaméni en lanceurs d’alerte

Et les joueurs dans tout ça ? Certains alertent le grand public. C’est le cas de l’ex-international français Raphaël Varane. Le joueur de Manchester United avait décidé de lui-même d’arrêter les Bleus, motivé par une usure physique et mentale. "C’est un triste constat de voir qu’un joueur, qui aurait pu être capitaine de l’équipe de France, a dû prendre des décisions drastiques car son corps et sa santé mentale disent stop", regrette Maheta Molango qui a pu compter sur le soutien de Raphaël Varane pour faire bouger les lignes en Premier League.

D’autres joueurs ont pointé du doigt les calendriers démentiels, comme Aurélien Tchouaméni. Le milieu de terrain du Real Madrid a eu des mots forts en octobre dernier, à la veille du match contre les Pays-Bas. "Évidemment qu'on joue trop de matchs. (...) Aujourd'hui, c'est rare d'avoir un seul match par semaine. Les organismes sont mis à rude épreuve. C'est aux instances de faire quelque chose et à un moment, ça va être à nous, joueurs, de taper du poing sur la table. (...) Pour un joueur, jouer 80 ou 90 matchs, ce n'est pas possible."

Le défenseur et capitaine Virgil van Dijk avait tenu sensiblement les mêmes propos dans la foulée. Une initiative saluée par David Terrier, toutefois avec une réserve : "C’est rare car les joueurs ont peur d’écorner leur image. Après, ce qu’on leur dit, c’est de ne pas y aller à titre individuel, c’est le rôle de notre syndicat d’alerter et de prendre les coups pour eux. Mais il faut qu’on ait une mobilisation globale, générale."

"La dictature" des instances

Le vice-président de l’UNFP pointe du doigt "une forme de dictature", imposée par les instances aux joueurs. Et prend l’exemple concret de la Coupe du monde des clubs : "L’accord signé avec la Fifa pour augmenter le nombre de clubs participants a été fait avec l’ECA, l’association des clubs professionnels européens", détaille David Terrier. "Il y a eu un accord avec les représentants des clubs, mais quand est-ce qu’on a demandé l’avis aux joueurs sur une Coupe du monde élargie, dans un calendrier qui sera intenable ? Elle va se jouer en juin, se rajouter au calendrier des sélections nationales... Les joueurs vont devoir faire un choix, et peut-être ne pas pouvoir jouer pour leur pays car la sélection ne les paie pas. Cela a été décidé sous une forme de dictature, ça a été imposé aux joueurs. On ne peut pas l’entendre."

"Chaque organisation, ligue, instance, regarde son calendrier de manière isolée, et c’est ça le problème", complète Maheta Molango. "Si vous regardez le calendrier de la Premier League de manière isolée, ça a du sens. Si vous en faites de même avec l’UEFA, cela a aussi du sens, même si j’en doute. Mais quand vous les combinez, ça n’a aucun sens."

Et de prendre l’exemple du nouveau format de la Ligue des champions qui va rajouter quatre matches de groupes, dont deux au mois de janvier en pleine Coupe d’Afrique des nations. "Comment on concilie pour un joueur la CAN avec une période cruciale en club en Ligue des champions ?", s’interroge-t-il. "Comment on fait avec la Coupe du monde des clubs qui se terminerait le 15 juillet, et la reprise de la Premier League qui est le 10 août ? C’est un calendrier impossible, qui nuit à la santé des joueurs, et à la qualité du spectacle."

Grève et maigres victoires

Un calendrier surchargé qui irrite les joueurs, mais aussi les entraîneurs. "J’ai échangé avec Jürgen Klopp (Liverpool), Mikel Arteta (Arsenal) ou Pep Guardiola (Manchester City), ils sont tous unanimes sur le fait que c’est trop", relate le président du syndicat des joueurs anglais.  

"Quand Guardiola lui-même demande à ses joueurs de prendre position et même de réfléchir à faire grève, on devrait tous être conscient du danger. On doit éviter ça, mais une solution doit être proposée aux joueurs."

Maheta Molango, président du syndicat des joueurs anglais

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Pour éviter d’en venir à ces extrémités-là, un début de dialogue s’est noué, notamment avec l’UEFA. "On travaille en ce moment, via Zvonimir Boban, directeur du football à l’UEFA, sur différentes mesures", glisse Molango. Et notamment sur la question du temps additionnel : "Concrètement, par rapport à la Coupe du monde au Qatar, où il y avait parfois 10 ou 12 minutes de temps additionnel, l’UEFA n’a pas suivi la recommandation de l’IFAB (instance qui régit les lois du jeu au football, ndlr). Ils ont réduit pour essayer de soulager les joueurs. Ce n’est pas suffisant, mais c’est un premier geste," salue David Terrier. Une maigre victoire qui doit en appeler d’autres pour préserver le beautiful game, comme aime tant l’appeler le président de la Fifa, Gianni Infantino.

 

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