Le FC Sankt Pauli, porte-étendard de la gauche du football malgré une réputation écorchée, fait son retour dans l'élite allemande

Le club du "quartier rouge" d'Hambourg, à la popularité internationale, s'apprête à retrouver la Bundesliga à l'heure où son image est abîmée auprès de ses propres fans par ses positions sur le conflit entre Israël et le Hamas.
Article rédigé par Mateo Calabrese
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8 min
Les supporters du FC Sankt Pauli avant le match contre le VfL Osnabrück, le 12 mai 2024 au Millerntor Stadion d'Hambourg (Allemagne). (AFP)

"Être le président de Sankt Pauli, c'est être le président de son peuple." C'est ainsi qu'Oke Göttlich, à la tête du "seul club dirigé par ses fans jouant dans l'une des cinq meilleures ligues d'Europe", dépeint sa fonction à l'heure de redécouvrir la Bundesliga, treize ans après la dernière aventure des Hambourgeois dans l'élite du football allemand. 

Le FC Sankt Pauli est devenu l'emblème de la gauche du football à l'international, revendiquant ses valeurs antifascistes, anticapitalistes, pour l'accueil des réfugiés et les droits des personnes LGBT+. Les fanclubs ont éclos aux quatre coins du globe, réunis autour d'une conviction qui traverse le discours des supporters comme des dirigeants : "Le football est politique." Même si la volonté de concilier ces valeurs et le haut niveau cristallise les critiques et freine parfois les ambitions sportives.

Emblème de la gauche contestataire

Il ne faut pas chercher loin pour trouver trace concrète des engagements du FC Sankt Pauli : de la création du FC Lampedusa, un club de football pour les réfugiés qui débarquent à Hambourg, au drapeau LGBT+ arboré sur le toit de son enceinte, en passant par l'hébergement de 200 manifestants anti-G20 en 2017.

Si le club est vieux de 114 ans, son identité politique est beaucoup plus récente. "Dans le musée, les années 1980 sont nommées 'la seconde naissance du FC Sankt Pauli'. Jusque-là, le club était assez normal", raconte Nils Margner, travailleur social au sein du Fanladen du FC Sankt Pauli, l'association des supporters qui organise la vie de la communauté. "Nous sommes nés de la scène des squatteurs qui occupaient des maisons en 1985 et qui ont découvert le stade, se remémore Oke Göttlich, ultra du club avant d'en être élu président par les supporters, il y a dix ans. La lutte contre l'establishment est l'identité du FC Sankt Pauli."

La rue Grosse Freheit ("Grande liberté") du "quartier rouge" de Sankt Pauli, le 29 octobre 2020 à Hambourg (Allemagne). (AFP)

Nombre de fidèles sont passés par les tribunes du rival, le Hambourg SV, avant de trouver refuge dans le club du "quartier rouge", désormais largement gentrifié. "Je suis arrivé à Hambourg il y a vingt-cinq ans et, avant d'être supporter de Sankt Pauli, je suis allé voir l'autre club d'ici, retrace Nils Margner, qui évite malicieusement d'en prononcer le nom. Je ne me suis jamais senti à ma place, avec mon style excentrique et mes cheveux longs. Le quartier de Sankt Pauli m'a fasciné, il y a une atmosphère spéciale ici avec les bars. J'y ai trouvé les bonnes fréquentations, ou les mauvaises selon le point de vue..."

"La plupart du temps, on ne choisit pas son club de cœur. Sankt Pauli est spécial parce que beaucoup de ses supporters l'ont choisi pour ses valeurs politiques."

Nils Margner, travailleur social dans l'association du club

à franceinfo: sport

Un pouvoir d'attraction qui dépasse les frontières allemandes, avec des fanclubs fleurissant de Toronto (Canada) à Varsovie (Pologne) en passant par la France. Florian, Toulousain d'origine devenu suiveur assidu "depuis 2008-2009, à la suite d'un voyage à Hambourg", a co-fondé le groupe de supporters francophone de Sankt Pauli. "C'est, en premier, un lien politique qui nous rassemble", assume-t-il. Les presque 30 000 places du Millerntor Stadion affichent presque systématiquement complet et les supporters français ne s'y rendent que rarement, alors ils développent des alternatives : "Tout le monde vient de régions différentes, donc on fonctionne beaucoup par les réseaux sociaux. Depuis 2019, on se réunit sur Zoom pour regarder chaque match ensemble." 

Comme le club, les organisations de supporters s'efforcent d'appliquer en interne les principes qu'ils prônent. "Chaque année, on vend des produits dérivés du fanclub et on donne à une association 80% des bénéfices, explique Florian. On garde 20% pour les frais de l'année suivante." En 2023, les fans ont choisi L'Auberge des Migrants, qui vient en aide aux personnes exilées à Calais et dans le nord de la France.

Exemplarité exigée, chez les joueurs aussi

Ces valeurs forcent à l'exemplarité tous les employés du club, y compris les joueurs. "Nous avons rejeté des propositions, mais nous en avons aussi licencié", confie le président Oke Göttlich, citant l'exemple de Cenk Sahin, joueur turc qui soutenait ouvertement la guerre menée par son pays en Syrie, "contraire aux principes" de Sankt Pauli qui compte, de plus, une communauté kurde active parmi ses supporters.

A contrario, certains joueurs choisissent spécifiquement le club pour ses principes. Malgré son statut de cadre de l'équipe nationale australienne (69 sélections), Jackson Irvine avait décidé en 2021 de rejoindre la formation de deuxième division en provenance du Celtic Glasgow, séduit par l'atmosphère et les valeurs affichées au Millerntor Stadion après un match amical à Hambourg.

Le capitaine du FC Sankt Pauli, Jackson Irvine, lors du derby contre le Hambourg SV au Volksparkstadion d'Hambourg (Allemagne), le 3 mai 2024. (AFP)

"C'est le type de personne que nous aimons et que nous recherchons", témoigne son président, louant les engagements personnels de celui qui porte désormais le brassard de capitaine. Président du syndicat des joueurs professionnels australiens, il milite activement pour la libération de la parole des personnes LGBT+ dans le football, et a initié la publication d'une déclaration collective protestant contre le non-respect des droits de l'homme au Qatar, avant la Coupe du monde 2022.

Autogestion et démocratie interne

"A chaque match il y a une banderole pour sensibiliser à une cause, rendre hommage à des victimes ou diffuser un message humaniste", témoigne Nils Margner, qui évolue dans l'environnement associatif de Sankt Pauli depuis son adolescence et travaille désormais pour le Fanladen. Cette association emploie le référent supporters, habituellement rémunéré par les clubs, et assure en toute indépendance la liaison entre les fans et le FC Sankt Pauli.

Les joueurs et les fans du FC Sankt Pauli célèbrent la victoire contre le Hansa Rostock, le 26 avril 2024 au Millerntor Stadion d'Hambourg (Allemagne). (AFP)

"C'est nous qui gérons les déplacements et la billetterie pour les membres, à domicile comme à l'extérieur. Le club nous consulte aussi quand il faut sanctionner des supporters, par exemple", explique Nils Margner. Le tout en veillant sur une soixantaine de jeunes de tous âges, comme le ferait une maison de quartier, depuis sa création il y a plus de trente ans. "Avant d'y travailler, j'ai grandi au Fanladen, les travailleurs sociaux ont longtemps pris soin de moi", confie dans un sourire celui qui est désormais passé du côté des sages.

Comme lui, chacun de ceux qui portent des responsabilités dans la vie associative, les groupes de supporters, l'administration ou la direction du club, a d'abord fait ses classes parmi les fans.

"Sankt Pauli est un club appartenant à la communauté et à ses membres, qui élisent leurs représentants. Je suis le président du conseil d'administration, où nous sommes cinq élus, mais je ne suis que l'un des représentants de Sankt Pauli."

Oke Göttlich, président du FC Sankt Pauli

à franceinfo: sport

Le club n'en est pas pour autant immunisé contre les critiques, ciblant souvent son image "bobo" et sa tendance à capitaliser sur sa popularité, notamment via les produits dérivés. Oke Göttlich reconnaît que le positionnement politique du club "contribue à renforcer notre marque", mais certifie que "cela n'a jamais été une stratégie" car "tout a été mis en place par les membres". Les sympathisants ont aussi conscience de certaines contradictions, jugées nécessaires pour survivre dans le sport professionnel. "Le club n'est pas populaire pour son succès sportif, mais jouer en première division va augmenter sa visibilité et plus de gens pourront s'intéresser à nos actions, à nos idées", se félicite Nils Margner.

Des positions pro-Israël qui divisent

Mais depuis le 7 octobre 2023, l'icône est écorchée. Depuis un communiqué du club condamnant l'attaque meurtrière du Hamas sur Israël, exactement. Une dizaine de clubs de supporters étrangers ont publié une réaction commune, s'associant à cette condamnation, mais se disant "attristés que le club n'ait pas pris position sur la situation des civils palestiniens à Gaza, qui sont sous blocus depuis quatorze ans". La résurgence du conflit n'a fait que réveiller des désaccords profonds entre la gauche allemande traditionnellement pro-israélienne (dite "antideutsch"), et celles des autres pays européens, plus solidaires de la cause palestinienne. Cette fracture se retrouve entre les supporters locaux de Sankt Pauli et ceux basés à l'étranger, au point que trois fanclubs ont voté leur autodissolution, à Athènes, Bilbao et Glasgow, d'ailleurs soutenus par le fanclub francophone.

Les supporters locaux, eux, sont majoritairement alignés avec la position de leur club. "Des supporters de l'Hapoël Tel-Aviv sont morts. J'en connaissais un, qui était venu à Hambourg il y a trois mois pour un match amical", regrette Nils Margner. Le club israélien est un allié historique de Sankt Pauli. "Le plus grand groupe de supporters, les Ultras Sankt Pauli, a déclaré sa solidarité avec les supporters de l'Hapoël, ce qui ne veut pas dire qu'ils choisissent un camp", précise Nils Margner.

Reste que ces positions, jugées trop complaisantes avec la politique d'occupation d'Israël et la guerre menée à Gaza, ont notamment valu à Sankt Pauli la rupture de son amitié historique avec les ultras du Celtic Glasgow. Le président Oke Göttlich admet qu'"il existe un point de vue allemand sur l'antisémitisme, dû à notre histoire, selon lequel nous défendons le peuple israélien et le pays d'Israël" mais affirme que le club s'oppose aux politiques "anti-humaines" et "d'extrême-droite" de Benyamin Netanyahou. 

Il explique aussi que Sankt Pauli "aide les habitants de Gaza en faisant des dons dans le cadre de programmes humanitaires" et va jusqu'à confier : "Si j'étais un homme politique, je me battrais pour une solution à deux Etats, mais ce n'est pas moi qui décide et c'est là que nous touchons nos limites. Parfois, nous ne pouvons être qu'un club de football." Un club qui continuera d'arborer le drapeau pirate à la tête de mort, symbole de rébellion et d'indépendance, et de faire vivre le quartier qui a fait dire à John Lennon : "Je suis peut-être né à Liverpool, mais j'ai grandi à Hambourg."

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