: Reportage CAN 2024 : après la victoire de la Côte d'Ivoire, une joie majuscule à Abidjan
La Côte d'Ivoire attendait cela depuis 2015. Presque dix ans après, les Éléphants ont remporté chez eux la Coupe d'Afrique des nations (CAN), dimanche 11 février, en renversant le Nigéria en finale à Abidjan (2-1). Dans la capitale, la journée a été longue, très longue. Entre frénésie et impatience, les Ivoiriens ont passé le temps comme ils pouvaient jusqu’à la délivrance ultime.
Dès le petit matin, nous avons compris que cette journée ne serait pas comme les autres. Un passage à la station-service a suffi pour qu’on sache qu’il allait se passer quelque chose. Était-il vraiment normal que les pompistes viennent servir les clients en dansant, en chantant, à la gloire des Éléphants ? Était-il envisageable que les clients sortent de leurs autos pour en faire de même ? Non ? C’est pourtant exactement ce qui s’est produit : pour la première fois de leur vie, des automobilistes ivoiriens étaient heureux de lâcher une liasse de francs CFA pour faire le plein ! Le football a parfois de ces vertus.
Alors évidemment, toute la journée n’a pas été aussi joyeuse. Il y a même eu quelques moments chaotiques. Mais c’est malgré tout ce qu’il faut retenir : les supporters ivoiriens avaient envie de faire la fête et jusqu’au coup de sifflet final, ils ont prié pour que les Super Eagles du Nigéria ne viennent pas tout gâcher.
Une chenille orange en procession
Après l’épisode de la station-service, nous avons d’abord eu l’impression qu’une longue chenille orange était en procession dans les rues de "Babi", le surnom de la ville d'Abidjan. Des maillots de la Côte d’Ivoire partout, de toutes les tailles, sur toutes les épaules. Puis le cortège s’est ébroué vers le stade. Son nom officiel est imposant : stade olympique Alassane Ouattara (le nom du président) d’Ébimpé (le quartier où il a été construit). La vérité est moins ronflante puisque cette enceinte est posée au milieu de nulle part, à des kilomètres des premières habitations et les routes qui l’entourent ne servent à rien d’autre qu’à s’y rendre, les ronds-points à rien d’autre qu’à s’y perdre.
Et puisque le périmètre de sécurité autour du stade avait été encore agrandi par rapport à celui de la demi-finale, tout le monde a dû marcher, longtemps, sous une chaleur accablante, pour mériter sa finale. La dernière ligne droite a même semblé interminable. D’autant plus que les contrôles, contrairement à d’habitude, étaient plutôt secs, ou rugueux, selon que vous soyez sensible ou un peu moins. Policiers et militaires, sans doute fatigués par un mois de compétition et certainement mis sous pression pour ce grand jour, avaient laissé leurs sourires à la caserne, enfermés à double tour au fond de leurs armoires. Mais que leurs familles se rassurent : ils avaient retrouvé leur bonne humeur au coup de sifflet final.
Des tribunes à l’humeur dansante
Pour aller jusqu’au coup d’envoi, de contrôles en contrôles, nous avons progressé vers le stade. Croisé des cars orange, discuté avec des volontaires effrayés par la foule, ou heureux d’avoir tenu jusqu’au bout. Nous avons ri aussi avec des supporters de toutes les nationalités. Avec Clinton, par exemple, un Nigérian de Paris, pas totalement persuadé que ses aigles allaient parvenir à terrasser les Éléphants, surtout s’ils étaient poussés par un public pareil et galvanisés à l’idée de remporter une troisième coupe d’Afrique, qui plus est à la maison.
Une fois dans les tribunes, l’ambiance est encore montée d’un cran. Voire quatre ! Et les Orange se sont mis à danser comme s’ils étaient à une station-service, comme ça, pour le plaisir d’être ensemble et sans doute aussi pour ne pas trouver le temps trop long. Parce que si on dit qu’en France, tout se termine toujours en chanson, la grande leçon de cette CAN, c’est qu’en Côte d’Ivoire, tout commence et se termine par une danse. Zouglou ou coupé-décalé, vous choisissez, mais vous dansez !
L’autre passe-temps favori des Ivoiriens, dans les tribunes, c’est de se parler, de se chambrer et de se donner des surnoms. Nous avons suivi le match à deux, avec Thomas Sellin, de franceinfo, et à la mi-temps, alors que les Éléphants étaient pourtant menés 1 à 0, nos voisins avaient trouvé le moyen de nous rebaptiser "Kouassi" et "Koffi". Nous n’avons pas cherché à savoir pourquoi, mais nos nouveaux camarades avaient l’air tellement contents de leurs trouvailles que nous avons ri avec eux !
Comme si Emmanuel Macron était acclamé au Stade de France
Deux buts ivoiriens plus tard, les Orange étaient champions d’Afrique pour la troisième fois de leur histoire. Une équipe trois étoiles pour un public hors catégorie ! Le cours de danse africaine pouvait reprendre de plus belle en attendant la remise de la coupe. Une cérémonie incroyablement longue, d’ailleurs. Notamment la mise en place des podiums, des escaliers, des arches censés accueillir les lauréats et leur trophée. De longues minutes se sont donc écoulées avant que les officiels et Alassane Ouattara ne pénètrent sur la pelouse. Aussi incroyable que cela puisse paraître à un Européen, le président ivoirien a été littéralement acclamé par le public, par "son" public. Sans doute une façon pour les supporters de remercier leur président d’avoir voulu l’organisation de cette CAN en Côte d’Ivoire. Un peu comme si Emmanuel Macron avait été acclamé au Stade de France pour la finale de la dernière coupe du monde de rugby. Impensable !
Mais peut-être faut-il seulement comprendre que dimanche soir, les Ivoiriens avaient envie de remercier tout le monde, d’être gentils avec tout le monde, qu’ils étaient d’humeur dansante, on l’a dit, mais aussi partageuse. Ils ont donc scandé le nom de leur président et ils ont également hurlé quand le drapeau du Maroc, le pays organisateur de la prochaine CAN, est apparu sur les écrans géants du stade. Ou plutôt, ils ont hurlé quand le drapeau du Maroc, l’équipe qui leur a permis de se qualifier pour les 8es de finale en dominant la Zambie 1 à 0, est apparu sur les écrans géants du stade. La Côte d’Ivoire, au Maroc reconnaissante !
Courir sur la pelouse comme des Éléphants
La fin cette soirée mémorable a viré au grand n’importe quoi. Comme de bien entendu, les 60 000 spectateurs ont dansé sur leurs sièges, dans les escaliers et sur le parvis du stade. Comme toujours, depuis les huitièmes de finale, ils ont hurlé à la vue du moindre micro que "Dieu est ivoirien", que "renoncement n’est pas ivoirien", avant de terminer par le fameux "on vaut rien, mais on a gagné", petit message à tous ceux (et ils étaient relativement nombreux, y compris chez les "supporters" ivoiriens) qui avaient expliqué, après les premiers matchs, que les Éléphants étaient mauvais.
Mais dimanche soir, pas question de ressasser le passé. La foule était ivre de bonheur et toute entière tournée vers l’avenir. Dans le tumulte, une demoiselle nous a même expliqué que ses "pachydermes allaient remporter la prochaine Coupe du monde", rien que ça ! Emportés par la folie ambiante, nous nous sommes mis en tête d’aller fouler la pelouse du stade Alassane Ouattara. Et contre toute attente, nous y sommes parvenus. Nous avons même couru comme des gamins sur cette pelouse censément bénie entre toute, en imitant Sébastien Haller ou Seko Fofana. Les stadiers, les militaires et les policiers n’en avaient rien à faire. Normal après tout : nous étions Kouassi et Koffi et nous avions nous aussi un peu remporté la Coupe d’Afrique des nations.
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