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Comment les joueurs de football sont tombés amoureux des tatouages

Zlatan Ibrahimovic a fait parler de lui en exhibant vrais et faux tatouages, lors d'un match, dans le cadre d'une campagne caritative. Mais au fait, d'où vient cet amour du foot pour cet art ancestral ?

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'attaquant du PSG Zlatan Ibrahimovic au Parc des Princes, à Paris, le 14 février 2015. ( PHILIPPE WOJAZER / REUTERS)

Une carpe, une plume, un as de cœur, des motifs tribaux ou géométriques... Les tatouages de Zlatan Ibrahimovic font partie du personnage, flamboyant, assumé. Samedi 14 février, ils sont devenus un élément de communication au profit du Programme alimentaire mondial : entre les motifs gravés au fil des ans, une quinzaine de prénoms ajoutés temporairement pour symboliser les 805 millions de personnes qui souffrent de la faim dans le monde. Le joueur du PSG a fièrement exhibé ces inscriptions après son but contre Caen. Un geste qui lui a valu un carton jaune, conformément au règlement qui interdit aux joueurs d'enlever leur maillot lors d'un match. 

Cette opération remarquée souligne une tendance récente dans le monde du football. Un nombre croissant de joueurs s'est recouvert les bras et le torse de motifs en tous genres. Comment sont-ils devenus accros aux tatouages en un laps de temps si court ? Des professionnels nous racontent.  

Une "peopolisation du tatouage" depuis vingt ans

L'amour des tatouages chez les footballeurs est un phénomène aussi massif que récent. Une petite statistique en dit long : lors du dernier Mondial de football, en 2014, l'équipe brésilienne alignée face à la Croatie ne comptait qu'un seul joueur non tatoué (David Luiz). En 1998, à l'inverse, aucun des joueurs ne semblait présenter de telle inscription, selon le site brésilien Folha de S. Paulo (en anglais). David Beckham, Djibril Cissé, Mario Balotelli... La liste des joueurs qui s'encrent l'épiderme réunit tous les clubs et tous les pays. 

David Beckham, lors d'un match du Los Angeles Galaxy, son équipe, à Los Angeles (Californie), le 24 septembre 2010. (MARK RALSTON / AFP)

Pour Jérôme Pierrat, rédacteur en chef de Tatouage Magazine, cette pratique souligne "la peopolisation du tatouage à partir des années 90". "Il y a quarante ans, le tatouage était lié à l'idée de contre-culture. Il s'est progressivement démocratisé, y compris dans le sport, avec les basketteurs d'abord, puis d'autres sports populaires comme le foot", résume ce journaliste, coauteur du beau-livre Mauvais garçons, sur les tatouages des bagnards. 

Des messages personnels

Contrairement aux joueurs de rugby, qui puisent leur inspiration dans les pratiques ancestrales du Pacifique Sud, les footballeurs ne partagent pas d'imaginaire pictural commun. "Ils nous demandent surtout des lettrages [mots stylisés] et des portraits", confie Antoine*, un tatoueur parisien qui a reçu trois joueurs du PSG dans son salon ces dernières années. Selon lui, les footballeurs choisissent des motifs "personnels, comme la plupart des gens. Ils se font tatouer comme n'importe qui pourrait se faire tatouer. La grosse différence, c'est qu'ils ont un métier qui leur permet de les montrer plus." 

La récurrence des lettrages témoigne d'une appropriation singulière de l'art du tatouage. Tandis qu'en Orient ou dans les îles polynésiennes, les inscriptions ont souvent une dimension spirituelle, voire magique, elles sont plus littérales, en Europe de l'Ouest. Et ce n'est pas propre aux footballeurs. "La lecture occidentale du tatouage est obsédée par l'idée qu'il doit véhiculer des messages, relève Sébastien Galliot, conseiller scientifique de l'exposition "Tatoueurs, Tatoués" au musée du Quai Branly. Qu'elle passe par les bagnards, les prisonniers, voire certaines professions comme les cordonniers, l'histoire du tatouage en Occident "est marquée par ce souci sémiologique, de donner du sens"

Neymar, l'attaquant brésilien du FC Barcelone, et son tatouage "Tudo passa" ("tout passe") sur le cou, le 26 janvier 2015, à Barcelone (Espagne). (ALBERT GEA / REUTERS)

Dans un environnement où le rôle du groupe est très fort, la multiplication de ces inscriptions n'est pas une surprise, pour ce spécialiste. "On constate que les milieux où la pression sociale est très forte, et qui laissent peu de libertés aux individus, sont propices aux pratiques du tatouage. L'intervention sur le physique entre dans une forme de pratique de résistance, qui témoigne une volonté de se réapproprier sa destinée, sa subjectivité", estime Sébastien Galliot. Ce qui n'a rien pour déplaire à de jeunes hommes musclés, habitués à exhiber leur corps pour le plaisir, la bonne cause ou une campagne de publicité.

"Ils veulent tout, tout de suite"

En faisant son entrée dans les stades, l'encre sous-cutanée a-t-elle perdu son odeur de soufre ? "Le tatouage participe encore de l'image du bad boy, même si elle tend à s'effacer, concède Sofiane*, tatoueur dans un grand salon parisien. En fait, les professionnels interviewés s'émeuvent surtout de la qualité médiocre des réalisations. Karim, le gérant du salon Anomaly, à Paris, se souvient des "quinze mille coups de fils" échangés avec l'agent d'un joueur du PSG qui voulait se faire tatouer une alliance avec sa femme, parce qu'il "n'avait pas l'autorisation de la garder sur le terrain." Rendez-vous pris, le joueur a finalement fait faux bond, "problème d'emploi du temps". Le gérant déplore que les footballeurs cèdent à "un effet de mode, comme avec les coupes de cheveux. Ils ne se soucient pas de la qualité du boulot"

Antoine a été confronté à un jeune joueur professionnel qui voulait "limite venir toutes les semaines". S'il voit cette passion d'un bon œil, il a dû réfréner les ardeurs du jeune homme "pour pouvoir caler des rendez-vous avec d'autres clients""Les footballeurs multiplient les petites choses, mais ils ne font pas gros tatouages élaborés. Ce doit être parce qu'ils ont l'habitude des sponsors sur leur tee-shirt !, ironise Jérôme Pierrat. Ce dernier y voit le symptôme d'une génération de joueurs très riches, aux carrières fulgurantes. "Ils veulent tout, tout de suite, même si c'est moche. La culture du tatouage, ce n'est pas leur truc." 

* Les noms ont été modifiés.

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