Coupe du monde des clubs : un nouveau format entre polémique de calendrier et nouveaux gains économiques
"Rendre le football véritablement mondial." Rêve à peine voilé de Gianni Infantino depuis sa prise de fonction comme président de la Fifa en 2016, la Coupe du monde des clubs à 32 équipes a été officiellement annoncée dimanche 17 décembre par l'instance. Un nouveau format qui débutera dès 2025 et se jouera tous les quatre ans. Avec des places réservées pour chaque confédération, dont 12 pour l'UEFA, six pour le Conmebol (Amérique du Sud), quatre pour la Caf (Afrique), comme l'AFC (Asie) et la Concacaf (Amérique du Nord), une seule pour l'OFC (Océanie). Le dernier billet sera donné à un club du pays hôte. Comme la "vraie" Coupe du monde, la compétition se disputera aux États-Unis, dans un test grandeur nature à un an de son coup d'envoi.
"C'est la seule compétition de clubs qui manquait jusqu'ici, donc c'est une opportunité de combler le dernier échelon", analyse pour Franceinfo: sport Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport. Bien loin du format actuel de la Coupe du monde des clubs, qui se déroule avec huit clubs en hiver et n'attire pas la foule, ni les diffuseurs et spectateurs. Une façon aussi de vendre "un nouveau produit" avec davantage d'exotisme et matchs inédits. "L'objectif de Gianni Infantino est de faire monter le niveau du football de club, notamment en termes d'infrastructures, en dehors d'Europe, de manière à ce que lorsque les équipes africaines, sud-américaines, nord-américaines ou asiatiques rencontrent les clubs européens, elles ne prennent pas des valises magistrales", poursuit l'expert.
Réduire l'influence de l'Europe, gonfler le marketing
Il y a selon lui aussi une volonté de créer une "alternative" à la Superligue européenne, dont le sort sera décidé jeudi par la Cour européenne de justice, et de mettre en place une Superligue mondiale qui poserait les jalons de son annexe européenne. "Le timing d'annonce de la Fifa n'est jamais anodin", analyse Jean-Baptiste Guégan, qui y voit aussi un moyen pour Gianni Infantino d'embêter son homologue de l'UEFA : "Ce type de compétition globale va de fait réduire la part de l'Europe en termes de participants, accélérant la désoccidentalisation du sport et appuyer la stratégie d'Infantino en Arabie saoudite ou en Afrique". Une lutte d'influence d'une autre bataille : l'argent. "L'intérêt de la Fifa c'est de rassembler au nom de l'universalisme et d'utiliser cet esprit 'Tous ensemble' pour pouvoir inviter le plus de monde et faire encore plus d'argent", comprend le spécialiste, qui ne serait "pas surpris" de voir au milieu des sponsors un candidat saoudien, dans la mesure où l'annonce intervient après la désignation du royaume comme futur hôte de la Coupe du monde 2034.
Les plus gros clubs en tireront eux un autre intérêt : le marketing. "Les gros clubs aujourd'hui sont confrontés à une limitation de leur business. Ils ont besoin d'aller chercher des marchés sur d'autres continents et une telle compétition permet de montrer encore plus sa marque et donc ses partenaires. Et ça, ça se monnaie", remet Jean-Baptiste Guégan, qui observe qu'aucune compétition internationale n'est prévue en 2025 et que le calendrier offre donc naturellement une place. Le PSG s'est d'ailleurs réjoui de l'annonce de cette nouvelle Coupe du monde des clubs, pour laquelle il est qualifié d'office via le coefficient UEFA, ajoutant auprès de l'AFP que cela allait lui garantir "de nouvelles recettes importantes". "La Fifa, les sponsors, les clubs, tout le monde y a intérêt, finalement, résume Jean-Baptiste Guegan. Sauf les joueurs."
"Nous n'avons ni Noël, ni vacances d'été"
Les joueurs eux vont payer le prix fort. Selon les derniers calculs de la Fifpro, syndicat international des footballeurs professionnels, certains joueurs pourraient jouer plus de 80 matchs en club et en sélection sur toute la saison 2024-2025, soit 10% de plus qu'actuellement. "Nous n'avons pas été consultés, pestait Bernardo Silva lundi, interrogé sur le nouveau format à la veille de la demi-finale de l'actuelle Coupe du monde des clubs entre Manchester City et Urawa, en Arabie saoudite. Nous essayons de faire notre travail, mais le nombre de matchs que nous avons aujourd'hui, et encore plus avec les nouvelles compétitions, est un peu fou à cause du manque de repos. Nous jouons tous les trois jours, nous ne nous reposons pas. Nous n'avons ni Noël, ni vacances d'été. Le risque de blessures augmente alors beaucoup." Un rapport publié par Howden, courtier en assurances britannique, fin 2022 montrait en effet que lors de la saison 2021-22, les blessures avaient augmenté de 20% dans les cinq grands championnats et avaient coûté un total de 610 millions d'euros aux clubs.
"Cela démontre un manque de considération pour la santé mentale et physique des joueurs, ainsi qu'un mépris de leur vie personnelle et familiale", a dénoncé la Fifpro dans un communiqué publié dans la foulée. Le syndicat a bien été consulté par la Fifa, mais ses demandes n'ont pas été satisfaites. "Les joueurs sont des pions utilisés à des fins politiques, c'est-à-dire la création de nouvelles richesses, se désole David Terrier, président de la Fifpro Europe dans les colonnes du Parisien. Cette Coupe du monde des clubs est mise en place parce que la Fifa décide pour des raisons politiques de satisfaire le plus de monde et ramener de l'argent supplémentaire." Le dirigeant constate aussi que les dates de la compétition, prévue du 15 juin au 13 juillet pour l'édition 2025, empiètent sur la pause obligatoire de 28 jours entre deux saisons.
Plus de matchs, moins de football
Les joueurs internationaux auront donc "des vacances très courtes et vont devoir manquer les premières journées de championnat, ou reprendre trop vite", poursuit David Terrier qui assure que les supporters finiront par comprendre les problèmes d'un calendrier surchargé "parce qu'ils vont être privés de leurs meilleurs joueurs, absents sur blessure ou simplement pas à 100%". Ce qui naturellement fera baisser la qualité du spectacle proposé. "Si nous avons toujours autant de matchs pendant si longtemps, les matchs finiront par perdre de leur énergie et de leur intensité, estimait Bernardo Silva depuis son estrade dans le royaume saoudien. Le nombre de matchs que nous avons aujourd'hui fait qu'il est difficile d'être en forme tout le temps et d'avoir le niveau d'énergie nécessaire pour bien jouer."
Lui comme beaucoup d'autres devront pourtant enchaîner avec la vraie Coupe du monde l'année suivante. À peine reposés de leur saison précédente, les joueurs seront mis à la disposition de leurs équipes nationales dès le 25 mai 2026 avant de s'envoler pour un Mondial entre les États-Unis, le Canada et le Mexique, sur quatre fuseaux horaires différents. Une compétition qui elle aussi porte la patte Gianni Infantino, qui l'a élargie à 48 équipes l'hiver dernier, faisant passer le nombre de matchs à 104, contre 64 au Qatar en 2022.
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