Coupe du monde de foot 2018 : pourquoi la possible qualification de la Syrie n'est pas le conte de fées que Damas nous vend
L'équipe syrienne a défié l'Australie en barrage retour, après un match nul encourageant à l'aller (1-1). En jeu : un ticket pour accéder à la suite des barrages, avec une participation au Mondial en Russie en ligne de mire.
Ils ont été héroïques. La petite équipe de Syrie, assemblage de bric et de broc de joueurs éparpillés aux quatre coins du Moyen-Orient, a tenu le choc en barrage aller de la Coupe du monde, face à l'Australie (1-1), jeudi 5 octobre. Archi-dominés, les joueurs syriens ont su trouver les ressources pour ne pas sombrer, et sont même parvenus à égaliser en fin de match, devant quelques centaines de supporters, à Kuala Lumpur, en Malaisie, où ils ont disputé les dernières rencontres des éliminatoires de la zone Asie.
Tous les espoirs d'une première participation au Mondial leurs étaient donc permis avant le match retour, mardi 10 octobre à Sydney. Leur parcours a été stoppé par les Australiens, au bout de la prolongation (2-1). Mais leur épopée restera dans les mémoires. Un conte de fées qui peut réconcilier, au moins un temps, le pays, comme la victoire de l'Irak en Coupe d'Asie des Nations en 2007 ou le succès au Mondial de rugby 1995 d'une équipe sud-africaine tout juste sortie de l'apartheid ? Pas vraiment.
Des concerts de klaxons à Damas
Il y a quelques mois, l'équipe syrienne passait inaperçue en milieu de tableau de groupe des éliminatoires. Tout juste soulignait-on que le régime avait délocalisé ses matchs à Macao moyennant finance, le micro-Etat comptant sur les matchs contre la Chine et la Corée du Sud pour remplir ses casinos, avant et après la rencontre. Le virement de 150 000 dollars par match à la fédération syrienne transitait par la Fifa puis l'AFC, la confédération asiatique, embargo international oblige.
Mais à la faveur d'un sprint final renversant, la Syrie a accroché la deuxième place de son groupe, renvoyant définitivement à leurs chères études la Chine et son plan pour conquérir le football mondial ainsi que le Qatar, qui cherche désespérément à exister sur la scène internationale avant d'organiser sa Coupe du monde en 2022.
Un exploit salué par des concerts de klaxons et des scènes de liesse collective dans les rues de Damas, scène improbable dans un pays ravagé depuis six ans par une guerre civile qui a fait 500 000 morts et des millions de réfugiés. Le régime a tout fait pour mettre en scène ces images : il a installé des écrans géants dans la capitale à l'occasion du match capital contre l'Iran (2-2, égalisation syrienne dans les arrêts de jeu). Les habitants étaient encouragés à s'y rendre, sachant que, depuis le début de la guerre, seuls les rassemblements en faveur du régime sont autorisés. "Quiconque connaît un peu la Syrie sait parfaitement que dans ce pays, il n'existe pas d'institutions indépendantes, y compris au niveau sportif", résume la journaliste syrienne Hala Droubi, interrogée par le Los Angeles Times.
L'équipe de Syrie représente-t-elle uniquement le régime de Bachar Al-Assad, dont le portrait s'affiche encore sur les stades du pays encore debout – dont beaucoup sont devenus des prisons ou des sites de lancement de mortiers ? Pour Tareq, un amateur de foot syrien réfugié au Liban, ça ne fait aucun doute. "Vous avez vu les vidéos du fils de Bachar, Hafez, où il se dit 'très fier' de l'équipe ? fait-il remarquer dans le Guardian. C'est marrant, je ne me rappelle pas que le régime soutenait autant l'équipe avant." Interrogé par la BBC sur le sujet, Fedi Dabbas, l'un des dirigeants de la fédération syrienne, livre une réponse édifiante : "Le football montre la vraie image de la Syrie, montre que la Syrie va bien malgré la guerre."
"12 millions de Syriens veulent ma peau"
La vraie image de la Syrie ? Religieusement, sans doute. A l'image du pays, l'équipe est constituée de joueurs aux religions cosmopolites : on y trouve des sunnites, majoritaires dans le pays, le gardien est alaouite, comme le clan Al-Assad, l'attaquant Mardikian est arménien et le milieu Mohamad est circassien, recense le Guardian. Politiquement, en revanche, il n'y a pas une tête qui dépasse ou presque au sein des "Aigles de Qassoun". L'ancien journaliste Anas Ammo affirme à ESPN que les deux joueurs de l'équipe nationale qu'il connaît personnellement sont obligés de jouer par peur du gouvernement, dont des agents leur ont confisqué leur passeport. "Ils n'ont pas d'autre choix que de jouer, sous peine de représailles sur leurs familles." Ce dont se défendent les principaux intéressés : "Nous n'avons rien à voir avec la politique, explique l'attaquant Firas Al-Khatib, au Times. Nous représentons chaque citoyen syrien."
Le cas de Firas Al-Khatib est significatif. En 2012, pour protester contre les bombardements sur les civils qui ont tué son cousin à Homs, celui qui est considéré comme le meilleur joueur syrien de tous les temps brandit le drapeau des rebelles au terme d'un match international, avant de s'exiler en Arabie saoudite, un pays ennemi juré d'Assad. Avant de reintégrer l'équipe nationale quatre ans plus tard, sans autre forme de procès, et de reprendre le brassard de capitaine. Un retour qui en a surpris plus d'un.
"Ce qui s'est passé est très compliqué, s'est défendu l'attaquant. Je ne veux pas entrer dans les détails. C'est mieux pour moi, pour mon pays, pour ma famille, mieux pour tout le monde que je me taise." Al-Khatib a finalement reconnu sur la chaîne américaine ESPN douter du bien-fondé de sa décision. "Chaque jour, avant de m'endormir, je ressasse cette décision une ou deux heures. Quoi que je fasse, 12 millions de Syriens m'adoreront, et les 12 autres millions voudront ma peau."
La Fifa ferme les yeux
Les 12 millions les plus remontés contre l'équipe se sont désolidarisés d'une équipe qui ne les représente pas. Comme Nader Al-Atrash, ancien président de la fédération, retranché à Idlib, en territoire rebelle : "Les joueurs disent que le football ne doit pas être mélangé à la politique... , soupire-t-il sur Al Jazeera. Et tout ce qu'ils font, c'est remercier ceux qui tuent des femmes et des enfants, sans parler de l'Iran et la Russie." Fin 2015, l'ancien coach de la sélection et ses adjoints avaient arboré des tee-shirts à la gloire d'un Bachar Al-Assad souriant en conférence de presse.
The Syrian "national" team are an extension of the Assad regime. The same regime that murdered the team captain in 2014. pic.twitter.com/bjNF1LNwvj
— Oz Katerji (@OzKaterji) 5 octobre 2017
Sur les réseaux, un photomontage a beaucoup tourné, représentant l'équipe de Syrie avec Al-Assad dans les buts, Vladimir Poutine ou le chef du Hezbollah libanais parmi les joueurs de champ.
المنتخب السوري ٢٠١٧ pic.twitter.com/KHhzsu8ady
— حيان آل زعبي (@hayyan993) 6 septembre 2017
Jusqu'à ce que l'équipe obtienne des résultats, Al-Assad se préoccupait assez peu du onze national. Un rapport déposé en personne par un ancien joueur syrien à la Fifa recense une centaine d'assassinats ou de disparitions de footballeurs, dont le seul tort était de ne pas penser comme le chef de l'Etat. Dont l'ancien capitaine de l'équipe nationale, Jihad Qassab, qui n'est jamais ressorti de la redoutable prison de Sednaya, au nord de Damas, où le régime l'a enfermé pour soutien à la rebellion. Informée, la Fifa n'a pas bougé une oreille. "C'est dans son intérêt de ne pas se mêler de cette crise, déplore sur ESPN l'avocat Mark Afeeva. Prendre des mesures contre la Syrie requiert autrement plus de courage que la Fifa n'en a montré par le passé."
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