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Coupe du monde : l'histoire oubliée du Français Lucien Laurent, premier buteur de l'histoire de la compétition en Uruguay

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Lucien Laurent, premier buteur de l'histoire de la Coupe du monde, prend la pose à son domicile de Besançon (Doubs), le 22 mai 2002. (CYRIL VILLEMAIN / AFP)

Le 13 juillet 1930, le natif de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) ouvre la marque face au Mexique à Montevideo. A l'occasion du quart de finale entre les Bleus et les Uruguayens, vendredi, franceinfo revient sur ce jour historique.

Chapeau "Lulu". La France a disputé la première Coupe du monde de 1930 à Montevideo (Uruguay) et a même inscrit le premier but de l'histoire de la compétition face au Mexique, grâce à un tir de l'attaquant Lucien Laurent. Cet exploit est pourtant resté dans l'oubli pendant des dizaines d'années avant d'intégrer les annales du football. A l'occasion du quart de finale entre la France et l'Uruguay, franceinfo revient sur ce jour qui a marqué le foot français – et mondial.

Cette année-là, la France hésite d'abord à disputer le tournoi. Le voyage est long et le bureau fédéral est convaincu que les Bleus vont se faire laminer. Mais le président de la fédération française finit par les convaincre et à composer une équipe. A cette époque, un bon footballeur doit avoir le pied marin. Le 20 juin 1930, à Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes), la délégation tricolore embarque avec les Roumains à bord du bateau italien Conte-Verde, "plus rapide que les transatlantiques battant pavillon français", précise alors Le Miroir des Sports.

Le voyage va durer une quinzaine de jours jusqu'aux côtes sud-américaines, ce qui laisse le temps d'effectuer quelques footings sur le pont. "Nous sommes arrivés au Brésil un après-midi et avons attendu le soir pour voir, depuis le bateau, la baie de Rio de Janeiro illuminée", racontait Lucien Laurent au quotidien suisse Le Temps. Quand ils arrivent à Montevideo, toujours en bateau, les joueurs sont ovationnés par des milliers d'Uruguayens rassemblés sur le quai.

"Footballeur ouvrier" et artilleur balle au pied

Les joueurs français sont aux anges et le dépaysement est garanti pour le jeune homme de 22 ans. Lucien Laurent est "footballeur ouvrier" au FC Sochaux-Montbéliard, à une époque où ce sport est encore amateur. Il a dû obtenir un congé spécial pour se rendre à Montevideo, où est organisée la première édition de cette compétition imaginée par un autre Français, Jules Rimet. C'est également une affaire de famille, puisque son frère, Jean, figure également dans l'équipe.

La presse de l'époque ne se fait guère d'illusion sur les chances françaises, mais elle salue tout de même la présence des Bleus à l'autre bout du monde. "Il est (...) excellent qu'une équipe de France de football, quels que soient les risques sportifs qu'elle encoure – et elle ne les méconnaît point ! – traverse les mers et vienne rencontrer les artistes du football sud-américain", résume notamment le journal Match avant la compétition. Deux ans plus tôt, l'Argentine et l'Uruguay ont marqué les esprits en finale du tournoi olympique d'Amsterdam.

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La France est opposée au Mexique pour le match d'ouverture. Celui-ci se déroule au stade de Pocitos, un quartier de la ville, car l'immense stade du Centenaire accuse un retard de livraison. La veille du match, Lucien Laurent est préféré à Emile Veignante et gagne une place de titulaire. L'attaquant du Racing avait pourtant séduit les observateurs lors de ses dernières apparitions, mais du haut de son 1,62 m, "Lulu" a également de solides arguments à faire valoir.

"Je reprends le ballon sans contrôle. Lucarne"

Le jour J, seul un millier de personnes (ou 4 000 selon la fédération française) prennent place dans les gradins pour assister au match, qui a lieu au même moment que la rencontre entre la Belgique et les Etats-Unis au stade du Nacional. L'abitre uruguayen Domingo Lombardi siffle le coup d'envoi à 15 heures. Dix-neuf minutes plus tard, les deux équipes sont toujours à égalité quand le jeune Français entre dans l'histoire.

Dégagement du gardien tricolore Alexis Thépot. Augustin Chantrel récupère le ballon. Il le transmet aussitôt à Ernest Liberati, lequel élimine son défenseur avant de centrer en retrait. J'avais suivi, je reprends le ballon sans contrôle, et je marque dans la lucarne.

Lucien Laurent, ancien international français

au journal "La Croix", en février 2004

Un autre but sera inscrit par Marcel Langiller et André Maschinot signera un doublé en seconde période, pour une victoire finale des Bleus (4-1). Mais cette jolie performance rencontre toutefois un écho limité en France. Le journal L'Auto ne mentionne même pas les noms des buteurs dans son compte-rendu du match. Et seules quelques lignes figurent dans les colonnes du Miroir sportif et de Match.

Un article annonce la victoire de l'équipe de France contre le Mexique, dans le journal "L'Auto" du 14 juillet 1930. (L'AUTO / GALLICA)

"C'était un début et personne n'y croyait beaucoup, philosophait le vieil homme dans un sujet de France 2. Il n'y avait pas l'engouement d'aujourd'hui. Pas de médias, pas de journalistes." Les Bleus seront ensuite battus par l'Argentine (1-0) et Lucien Laurent, blessé, doit déclarer forfait pour la troisième rencontre contre le Chili (défaite 1-0). La sélection tricolore est éliminée mais elle a déjoué les pronostics de la presse française qui lui prédisait l'humiliation.

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De retour en France, Lucien Laurent reste encore deux ans à Sochaux avant de passer professionnel au Club Français de Paris. Il gagne alors 2 000 francs français par mois. "C'était énorme, confiait-il au quotidien suisse Le Temps. Un ouvrier de chez Peugeot gagnait à peine 700 francs". Il fréquente ensuite les vestiaires du CA Paris, de Mulhouse, de Sochaux (encore), de Rennes et de Strasbourg. Lors du Mondial 1934, en Italie, Lucien Laurent ne dispute pas la moindre minute : son compteur reste donc bloqué à dix petites capes avec les Bleus, et deux buts.

Un but longtemps tombé dans l'oubli

L'armée allemande pille toutes ses affaires pendant la guerre. Lucien Laurent occupe le poste d'entraîneur pendant quelques années avant d'ouvrir une "Brasserie des sports" près du marché de Besançon, jusqu'à sa retraite en 1972.

Le but historique, lui, est tombé dans l'oubli. La Fifa a longtemps considéré dans ses registres que la Coupe du monde avait débuté le 15 juillet, peut-être en raison d'une erreur de date dans l'affiche officielle. Lucien Laurent, lui, n'est pas du genre à se vanter de l'exploit, y compris avec ses proches. Son propre fils n'apprend l'affaire qu'en 1990, quand un journaliste de la Gazzetta dello Sport veut inviter Lucien Laurent à une soirée de gala avant le Mondial en Italie. L'histoire fait grand bruit et des télévisions du monde entier contactent l'ancien Bleu pour recueillir ses confidences. Soixante ans plus tard, "Lulu" prend sa revanche sur l'histoire.

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Lucien Laurent, pourtant, ne sera pas associé aux festivités de 1998. "Au sacre du football français, personne ne l'a invité, résumait son fils avec amertume, dans les colonnes de La Croix, En France, on n'a pas la reconnaissance des anciens". Lucien Laurent suivait toujours le parcours des Bleus mais n'appréciait plus autant le football. Un jeu "pollué par les fautes, les incorrections et les coups, expliquait-il regrettant une époque, où l'arbitre et l'adversaire étaient respectés". Avec ses amis du Racing Besançon, l'ancien attaquant a continué de tâter le cuir jusqu'à l'âge de 87 ans. Il s'est éteint dix ans plus tard, le 11 avril 2005.

La flamme subsiste au 1324, rue du Coronel Alegre

Soixante ans plus tard, il n'existe plus aucune trace du stade où Lucien Laurent a signé son exploit. Le quartier Pocitos a été réaménagé dans les années 1930 et l'emplacement du stade est tombé dans l'oubli. C'est sans compter l'acharnement d'un architecte argentin, Enrique Benech, qui va mener une enquête rocambolesque de quatre ans, raconte le site de la Fifa. Photographies aériennes de l'armée, découverte d'un bout de stade par un couple qui enterre son chien, témoin âgé de 12 ans lors du match...

Grâce à lui, nous savons aujourd'hui que le but de Lucien Laurent a été marqué dans les cages situé du côté nord du stade, au numéro 1324 de l'actuelle rue du Coronel Alegre. C'est donc ici, sur un trottoir de Montevideo, que s'achève l'histoire du but de Lucien Laurent. Une sculpture en béton a été depuis érigée pour saluer la frappe victorieuse du 13 juillet et une pierre commémorative a été installée pour matérialiser l'emplacement du point central. Si l'envie vous prend un jour de rejouer la frappe du Français, prenez garde aux carreaux des voisins.

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