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"Nos budgets se jouent parfois à quelques centaines d'euros" : pour le foot des campagnes, la victoire des Bleus n'éclipse pas le manque de moyens

L'exploit de l'équipe de France en Russie fera sans doute grimper le nombre de licenciés à la rentrée. Mais de nombreux clubs déplorent le manque de moyens, quand ils ne mettent pas la clé sous la porte.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Le président de la Fédération française de football, Noël Le Graët, arrive à l'Elysée aux côtés d'Hugo Lloris et Didier Deschamps le 16 juillet 2018, au lendemain du titre mondial des Bleus. (MAXPPP)

"N'oubliez jamais d'où vous venez. Devant vous, il y a les clubs qui vous ont formés, des clubs de toute la France. (...) Il y a des éducateurs qui n'ont pas compté leur temps." Lundi 16 juillet, dans les jardins de l'Elysée, devant un parterre d'invités, l'équipe de France sacrée championne du monde la veille, et le président de la Fédération française de football (FFF) Noël Le Graët, Emmanuel Macron a eu une pensée pour les clubs et les formateurs qui avaient permis de révéler cette génération dorée. Presque tous passés par les centres de formation de clubs professionnels, ils ont cependant tapé leurs premiers ballons dans de petits clubs amateurs comme l'US Roissy-en-Brie (Paul Pogba), l'AS Hellemmes (Raphaël Varane) ou l'Entente Charnay-Mâcon (Antoine Griezmann).

Mais, alors que l'euphorie de la victoire devrait pousser de nombreux enfants à découvrir le foot à la rentrée, les clubs luttent pour assurer ce travail de l'ombre. L'Association française du football amateur (Affa), qui fédère 300 d'entre eux, alerte sur le manque de moyens dont ils disposent, parfois fatal : selon elle, la France a perdu plus de 4 000 clubs (de 18 000 à 14 000 environ) ces quatre dernières années, particulièrement en Outre-mer et en milieu rural. Franceinfo a interrogé plusieurs acteurs du monde amateur qui témoignent de ces difficultés.

Chaque année, des clubs en sursis

"Chaque année, on a l'impression qu'il y a moins de clubs. Des équipes ne peuvent pas finir la saison, et se mettent en sommeil". Julien Lafargue préside le club de Mirande, qui évoluera cette saison en Départemental 2, l'avant-dernier échelon du football dans ce département rural du Sud-Ouest qu'est le Gers. On y compte 6 000 licenciés répartis dans une quarantaine de clubs, ce qui en fait un des plus petits districts de la FFF. Cette année, Julien Lafargue a eu vent de deux clubs de villages qui pourraient jeter l'éponge, et d'un autre, en difficultés, qui voudrait fusionner avec son voisin mieux portant.

"Ce qui tue un club, c’est d'abord la démographie locale", estime Guy Glaria, le président du district du Gers. Son département est un des moins peuplés et des moins denses de France. Et les joueurs potentiels sont vite attirés ailleurs : Mirande, quatrième ville du Gers, "est assez loin des pôles universitaires", déplore le président du club local. "On perd les jeunes qu'on forme et qui partent étudier ailleurs. Donc, il y a beaucoup de roulement, les saisons sont d'éternels recommencements" avec un nouvel effectif.

Des bénévoles en voie de disparition

Et puis, tous les acteurs interrogés par franceinfo évoquent la société qui n'évolue pas forcément dans leur sens. "Les joueurs ont changé. Les jeunes ne sont pas forcément là tous les week-ends, ils choisissent leurs matchs", déplore le président du Mirande FC. "Des fois, ils vont préférer aller à la fête du coin". Avec 240 licenciés, il peut se le permettre, mais c'est plus difficile pour les clubs de villages.

Il en va de même pour les nécessaires encadrants, les fameux bénévoles, qui enseignent aux plus jeunes, coachent les équipes, organisent les événements. A Mirande, ils ont notamment fait éclore Valérie Gauvin, aujourd'hui attaquante de Montpellier (Hérault) et qui sera peut-être en pointe de l'équipe de France lors de la Coupe du monde, l'an prochain. Mais les bénévoles mirandais, au nombre de 35 cette année, sont de plus en plus grisonnants.

Les anciens sentent que ça s'essouffle, et voient arriver un autre style de bénévole, qui compte davantage ses heures et donne plutôt au coup par coup.

Julien Lafargue, président du Football Club Mirandais

à franceinfo

z"Avant, il n'y avait même pas besoin de demander qui venait ou non. Aujourd'hui, ça devient comme gérer une entreprise", déplore Julien Lafargue, qui est pourtant, lui, un jeune président de club.

Les joueurs du Football Club Mirandais s'échauffent avant la finale de la Coupe du Gers, le 9 juin 2018 à Auch (Gers). (FOOTBALL CLUB MIRANDAIS / FACEBOOK)

La suppression programmée des contrats aidés par le gouvernement a aussi porté un mauvais coup au foot amateur. "Dans l'Armagnac [une région de l'ouest du Gers], on en avait un qui aidait quatre ou cinq clubs en même temps. On essaie actuellement de voir si on peut trouver un bout de budget, quelques centaines d'euros, pour continuer à le payer", témoigne Guy Glaria, le président du district. Lui-même est aux premières loges pour constater le manque d'effectif : dans le village où il vit, c'est la présidente du club local qui tond elle-même la pelouse du stade.

Financièrement, des clubs souvent sur un fil

Alors, quand ils entendent les politiques applaudir le travail des éducateurs qui forment les Kanté, Mbappé et Pavard du futur, les acteurs du foot gersois rêvent que les pouvoirs publics encouragent le bénévolat. Une idée, notamment portée par l'Affa, fait son chemin : faire en sorte que leur engagement dans la durée donne droit à des trimestres de cotisation supplémentaires pour la retraite. Aujourd'hui, le bénévolat donne droit à des déductions fiscales. Sauf que, dans le Gers, "les personnes qui donnent de leur temps ne sont pas forcément les plus imposables", ironise Julien Lafargue.

Pour les clubs amateurs, l'argent est le nerf de la guerre. "Nos budgets se jouent parfois à quelques centaines d'euros", explique le président du Football Club Mirandais, qui rêve d'une taxe sur les transferts des clubs pro, "ne serait-ce que de 0,01%", pour financer les amateurs (une proposition de loi en ce sens avait été déposée en 2017, et défendue maillot sur le dos par l'Insoumis François Ruffin, sans succès).

Ce sont plutôt les entreprises locales et les communes qui fournissent l'essentiel du budget des clubs. Mais les premières n'ont pas des moyens illimités, et les secondes souffrent de la baisse des dotations de l'Etat aux collectivités locales. D'autant que dans le Gers, "même s'il y a d'avantage de licenciés au foot, c'est le rugby qui a la meilleure image. Les municipalités ont davantage tendance à l'accompagner", explique Guy Glaria, le président du district. Mais l'enthousiasme pour les Bleus vient donner un coup de pouce inattendu au président d'un autre club gersois, l'AS Fleurance-la-Sauvetat.

Je ne sais pas si c'est une coïncidence, mais j'ai rendez-vous à la mairie la semaine prochaine. C'est le directeur de cabinet qui m'a appelé hier [deux jours après le sacre des Bleus] pour discuter de nos besoins.

Louis Saint-Ygnan, président de l'AS Fleurance La Sauvetat

à franceinfo

"La FFF laisse les clubs livrés à eux-mêmes"

Face à leurs difficultés, certains clubs aimeraient que la FFF soit plus présente. Celle-ci revendique un budget annuel de 85 millions d'euros alloué au foot amateur. Mais selon l'Affa, l'essentiel de cet argent va aux ligues et aux districts qui organisent les compétitions. La principale aide destinée aux clubs eux-mêmes et un fonds de 10 millions d'euros qui les aide à financer des infrastructures et des équipements. Mais ce fonds a aussi ses limites : "On a dû se battre pour obtenir 50 000 euros d'aide à la construction d'un terrain synthétique, qui a coûté 750 000 euros au total", déplore son président Eric Thomas, qui dirige aussi un petit club d'Indre-et-Loire, l'AS Montlouis-sur-Loire.

"La FFF laisse les clubs livrés à eux-mêmes. Je suis fataliste, mais c'est comme ça", s'attriste Louis Saint-Ygnan, qui aimerait des aides pour recruter des éducateurs et pallier au manque de bénévoles. Son club, l'AS Fleurance, fait pourtant partie des bénéficiaires du fonds d'aide de la fédération, qui lui a permis d'agrandir son terrain et ses vestiaires pour monter, l'an dernier, au plus haut niveau régional. Car, pour grimper les échelons du foot, même au niveau départemental, un club doit remplir un certain nombre de critères parfois décriés.

A force de contraintes, les bénévoles finissent par dire qu'on les emmerde à expliquer qu'il manque 50 lux sur leur pylône et 2 m² dans les vestiaires.

Guy Glaria, président du district du Gers de la FFF

à franceinfo

Le dirigeant aimerait que les instances puissent être plus flexibles en milieu rural. Les questions d'administration prennent un temps croissant aux bénévoles. Et les clubs sont aussi à la merci de sanctions financières en tout genre, des erreurs administratives aux cartons récoltés par les joueurs : chacun donne lieu au paiement d'une amende. Si Julien Lafargue, le président de Mirande approuve ce principe, la somme devient vite un poids pour son club : "Cette année, sur 73 000 euros de budget, on paie 985 euros de sanctions sportives". D'autres obligations, notamment liées à la mise à disposition d'arbitres, exposent les clubs à une interdiction d'engager des joueurs venus d'autres équipes. Un arrêt de mort, estime Guy Glaria : "Dans des petits villages où la démographie ne permet pas d'en former assez, un club qui n'a plus le droit aux joueurs mutés met la clef sous la porte en quatre ou cinq ans".

La fusion, une solution qui a ses défauts

Face au manque de bénévoles, de joueurs et d'infrastructures, le district du Gers promeut une solution : nouer des ententes entre les clubs, voir les faire fusionner. "Ca fait trois ans que je leur dis 'messieurs, n'attendez pas d'y être obligés'", lance Guy Glaria. Il y a une quinzaine d'années, le club de Fleurance a ainsi absorbé celui de La Sauvetat, un village voisin, "qui ne pouvait plus tenir. Ils avaient de moins en moins de bénévoles et du mal à trouver des sponsors." L'Affa est sceptique face à cette solution, qui explique en partie la disparition de 4 000 clubs qu'elle déplore. "Deux clubs pauvres ne font pas un riche", explique le président de l'Affa, Eric Thomas, qui se méfie surtout des communes qui poussent deux clubs à la fusion pour ne plus avoir à verser qu'une subvention.

"Les ententes, c'est obligatoire pour les clubs ruraux s'ils veulent avoir des ambitions fortes", admet Julien Lafargue, du FC Mirandais. Mais il craint qu'elles fassent perdre un peu de ce qui fait la saveur du football : les rivalités de clocher.

Pas loin de nous, il y a le club de Labéjean, mais on ne s'entend pas bien avec eux, depuis plusieurs générations. Mirande-Labéjean, c'est le derby. Quand on a le calendrier de la saison, c'est le premier match qu'on regarde.

Julien Lafargue, président du Football Club Mirandais

à franceinfo

Les joueurs de l'équipe de France brandissent le trophée de la Coupe du Monde, le 15 juillet 2018, à Moscou. (KIERAN MCMANUS / BPI / SHUT/ SIPA / REX)

Pour tous ces clubs, la victoire de l'équipe de France peut-elle être un bol d'air ? Elle a ramené 32 millions d'euros de récompense dans les caisses de la fédération. 30% iront aux joueurs et au staff, mais les clubs amateurs se prennent à espérer que le reste leur revienne en partie. "Quand on joue en équipe de France, on n'a pas besoin de prime", estime même Eric Thomas de l'Affa. "Ces millions, si on nous les donne, je vous assure qu'on saura quoi en faire."

Un espoir douché par Noël Le Graët, vendredi, dans l'Equipe (lien abonnés) : il assure qu'une fois déduits les frais liés au camp de base en Russie, il ne restera du pactole du Mondial qu'un "petit million d'euros". Pour le président de la FFF, en dehors des grandes villes, les clubs pourront "accueillir sans difficulté" les nouveaux licenciés à la rentrée même sans ce coup de pouce. Les principaux intéressés n'en sont pas si sûrs.

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