Le joueur brésilien, "plombier polonais" du foot
L'attaquant de Saint-Etienne Brandao rêve de jouer en équipe de France. Quand on est footballeur brésilien, la notion de nationalité veut-elle encore dire quelque chose ?
La déclaration d'amour de Brandao, l'attaquant brésilien de l'AS Saint-Etienne, à l'équipe de France n'est pas passée inaperçue. Dimanche 16 mars, dans les colonnes de L'Equipe, le n°9 des Verts déclare : "D'ici à un mois, je serai français. Je dois profiter de cette opportunité. On ne sait jamais." Si d'aventure - fait hautement improbable - Didier Deschamps décidait de le retenir en bleu, Brandao ne serait que le dernier d'une longue, très longue série de Brésiliens naturalisés à avoir rejoint la sélection de leur pays d'adoption. Le footballeur brésilien fait à la fois rêver, mais aussi peur aux amoureux du jeu, qui voient en lui un "plombier polonais" du foot, prompt à prendre le job des locaux.
Le Brésil, exportateur de joueurs de qualité depuis 1920
Il y a une dizaine d'années, on trouvait deux Brésiliens naturalisés en équipe de Tunisie, trois en équipe du Japon, quatre portant les couleurs de l'Azerbaïdjan et même six dans le onze du Togo. Avec 60 millions de pratiquants recensés sur 200 millions d'habitants, le Brésil est le pays du football. Pas étonnant qu'il soit aussi le premier fournisseur de joueurs au monde. L'écrasante majorité des footballeurs brésiliens qui changent de nationalité sont des joueurs de second plan qui n'ont jamais eu l'ombre d'une chance de revêtir le maillot auriverde. Au Vietnam, la fédération les convainc de changer de passeport pour quelques milliers de dollars, relève le site Look at Vietnam (en anglais). En Guinée équatoriale, le régime a bâti en quelques mois une équipe de Brésiliens et d'Espagnols qui n'avaient aucun lien avec le pays, pour faire bonne figure lors de la Coupe d'Afrique des nations. Même moyen, un footballeur brésilien fait rêver. "'Footballeur brésilien', ça sonne comme 'chef français' ou 'moine tibétain', résume Alex Bellos, auteur de Futebol, the Brazilian Way of Life, dans le Christian Science Monitor. "Le football fait partie de l'image que renvoie le Brésil, à l'intérieur de ses frontières comme à l'extérieur."
N'allez pas croire qu'il s'agit d'un phénomène récent provoqué par la mondialisation du football. L'Espagne a naturalisé son premier footballeur dans les années 20, tandis que l'Italie championne du monde en 1934 s'était vue renforcée de plusieurs joueurs sud-américains, dont le Brésilien Anfilogino Guarisi, auteur d'un but en phase finale. En 1962, la Squadra Azzura aligne à nouveau un Brésilien, José Altafini, qui a la particularité d'avoir remporté le Mondial 1958 avec le Brésil. A l'époque, les règles concernant le changement de nationalité étaient assez floues. Altafini, qui joue attaquant, change de camp, dégoûté de cirer le banc en regardant Pelé briller. Moralité : le Brésil remporte l'épreuve, l'Italie ne passe pas le premier tour.
L'"invasion des Brésiliens" n'a pas eu lieu
Les instances dirigeantes du football se réveillent brutalement en 2004. Le meilleur buteur de la Bundesliga, le Brésilien Aïlton, se voit proposer un chèque d'un million de dollars pour devenir qatari. Sepp Blatter, le président de la Fédération internationale de football (Fifa), réagit : "Si on ne prend pas garde aux envahisseurs venus du Brésil, nous pourrions avoir des problèmes lors des Mondiaux 2014 ou 2018. Sur les 32 équipes qualifiées, il pourrait y avoir des équipes composées à 100% de Brésiliens." S'en suit un durcissement des règles, à l'exception de dérogations pour les plus jeunes et les binationaux.
Qu'en est-il pour la Coupe du monde 2014 ? Pas d'invasion brésilienne sur le sol brésilien. Mais quelques situations hautement paradoxales. Le Portugal, gros consommateur de joueurs brésiliens, n'en alignera qu'un, le défenseur du Real Madrid Pepe. Ce dernier avait choisi la nationalité portugaise, poussé par le sélectionneur de l'équipe Luiz Felipe Scolari. Le même Scolari... est devenu coach du Brésil désormais, et ne supporte plus de se voir piquer des joueurs.
Dernier en date, l'attaquant de l'Atlético Madrid, Diego Costa, qui a choisi l'Espagne. "Bientôt, un pays va carrément faire signer vingt joueurs et bâtir ainsi son équipe nationale", fulmine Scolari, qui a manifestement la mémoire courte. Un journaliste a comparé devant lui l'affaire Costa avec l'affaire Pepe. Pour toute réponse, Scolari a quitté avec fracas la conférence de presse. Le sélectionneur espagnol, Vicente Del Bosque, paraphrase Maxime Le Forestier : "Personne ne choisit où il naît. La sélection nationale n'est pas un club fermé, chacun y est le bienvenu."
"Au Brésil, je n'aurais été qu'un parmi d'autres"
Le Brésil subit aussi de plein fouet son succès à l'export. Les joueurs évoluant à l'étranger - ils étaient 515 en Europe la saison dernière - ont des enfants... hors des frontières nationales. Le fils du champion du monde Mazinho, Thiago Alcantara, est né en Italie quand son père évoluait à Lecce, a été formé au Barça, et a finalement décidé de jouer pour l'Espagne. Son frère cadet, Rafinha, hésite encore entre l'Espagne et le Brésil, d'après Sambafoot.
Même dans les pays qui y étaient hostiles, on cherche à naturaliser son joueur brésilien. En Corée du Sud et en Russie, la question a tourné au débat national. "L'Ukraine va rejoindre le mouvement", reconnaît mollement sur Ukrinform (en anglais) le sélectionneur Mikhaïl Fomenko, qui courtise l'attaquant Taison. Lors de l'Euro 2008, la Pologne avait obtenu le nul face à l'Autriche, en grande partie grâce à son latéral brésilien Roger Guerreiro, naturalisé en grande pompe par le président polonais en personne. Commentaire du sélectionneur autrichien Josef Hickersberger : "Toutes les nations cherchent à naturaliser des joueurs pour améliorer l'équipe. C'est totalement légitime."
Et n'allez pas qualifier tous les naturalisés de "mercenaires". Certains se rappellent encore de leur première sélection avec des trémolos dans la voix. Comme Donato Gama da Silva, né à Rio de Janeiro en 1962 mais sélectionné avec l'Espagne en 1994. Il raconte dans El Pais (en anglais) : "Je n'oublierai jamais ce match contre le Danemark. Nous avons gagné 3-0, j'étais l'un des meilleurs sur le terrain. Les encouragements des supporters étaient assourdissants. Si j'avais joué pour le Brésil, je n'aurais été qu'un parmi d'autres. Mais là... Je n'ai jamais reçu une telle ovation. De mon point de vue, jouer pour l'Espagne a été la meilleure décision de ma vie."
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