Mondial : avec la liste des 30, les Bleus entrent en zone de turbulences
Parmi les joueurs que Didier Deschamps a sélectionné mardi soir, seuls 23 participeront à la Coupe du monde au Brésil. Jusqu'au 2 juin, une épée de Damoclès va peser sur tous les Bleus.
Six mois après une qualification acquise dans la douleur, la pression remonte à nouveau au sein de l'équipe de France de football. Mardi 13 mai, le sélectionneur, Didier Deschamps, a dévoilé la liste des 30 joueurs qui participeront au stage de préparation à la Coupe du monde, compétition qui débutera le 12 juin au Brésil. Cette annonce ouvre une séquence pré-Mondial redoutée par tous les sélectionneurs depuis 1998. Car elle est source de possibles tensions au sein du groupe.
Selon les règles de la Fifa, le patron des Bleus devra avoir réduit la liste des chanceux de trente à vingt-trois noms avant le 2 juin à minuit. Un laps de temps suffisant pour faire naître psychodrames et faux espoirs dans la tête de joueurs isolés du monde à Clairefontaine (Yvelines), lors du stage de préparation qui débute le 19 mai. Francetv info se penche sur les risques liés à cette période délicate et essentielle pour la future réussite des Français au Brésil.
La liste peut encore changer
"Je vais faire plus de malheureux que d’heureux." Cité par Le Monde, Didier Deschamps assume son rôle qui est de choisir "les meilleurs, mais pas tous les meilleurs". Même s'il a décidé de désigner à l'avance les 7 réservistes, rien n'empêchera pour autant Didier Deschamps de changer d'avis d'ici au 2 juin. "En quinze jours, tout peut changer, explique Michel Hidalgo, sélectionneur des Bleus de 1978 à 1986, à francetv info. La forme du début de stage peut ne pas être la même à la fin." Quelle que soit la formule, les sept désignés seront inévitablement déçus et quitteront le stage de préparation la boule au ventre.
L'actuel sélectionneur des Bleus était capitaine de l'équipe de France lors du premier psychodrame majeur survenu lors d'un stage de préparation. Le 22 mai 1998 au soir, au milieu du stage à Clairefontaine, Aimé Jacquet annonce à six de ses vingt-huit joueurs qu'ils ne seront pas de l'aventure du Mondial, mais qu'ils peuvent rester jusqu'au lendemain matin. Portes qui claquent, valises bouclées en vitesse, les joueurs partent en taxi et avec rancœur, comme le raconte Libération à l'époque. Le cruel phénomène se reproduira en 2008, Pas de taxi cette fois pour les sept déçus, mais un voyage en hélicoptère pour quitter le stage de Tignes (Savoie).
Pour éviter un tel psychodrame, la meilleure stratégie est d'être transparent et d'anticiper. Ce qu'a fait Didier Deschamps. "Un sélectionneur doit être d'entrée très clair sur les critères de choix, explique Julien Bois, enseignant-chercheur en psychologie du sport, à francetv info. On peut faire des retours réguliers pour permettre à celui qui craint pour sa place de corriger ses performances. Si on donne au joueur les clés pour être acteur du processus, il comprendra les choix du sélectionneur. Ça diminue l'incertitude et le stress de l'athlète. Et ça se passe beaucoup mieux en cas de mauvaise nouvelle."
Ecarter un joueur peut également être un traumatisme pour le groupe, parfois amputé de joueurs qui ont une influence positive. "Je partageais ma chambre avec Sabri Lamouchi, raconte Stéphane Guivarc'h, présent en 1998 à Clairefontaine, à francetv info. En le voyant faire sa valise, je ne savais pas trop quoi dire. C'était terrible pour lui et pour nous. Mais on a su vite gommer ça. Quand on est pros, on le sait, ça fait partie du jeu, depuis toujours."
Les critiques vont pleuvoir sur le groupe
A peine auront-ils chaussé leurs crampons pour entamer leur stage de préparation que les Bleus devront déjà faire face à un premier adversaire : la pression médiatique. Le choix d'emmener tel joueur ou de se priver de tel autre provoque inévitablement des critiques, des questions et des remises en cause.
Avant le Mondial 1998, le fait de ne pas sélectionner Eric Cantona et David Ginola, alors considérés comme deux des meilleurs attaquants d'Europe, fait partie des (nombreux) griefs visant l'équipe d'Aimé Jacquet. "On a été très critiqués, analyse Stéphane Guivarc'h, alors canonnier numéro un des Bleus. Moi, j'étais meilleur buteur du championnat de France, j'étais confiant, les critiques ne me touchaient pas. Je me suis toujours dit que ça fait avancer. Mais vu ce qu'on prenait dans les médias, on se dit aujourd'hui qu'on est partis de rien, et qu'on a réalisé un truc immense."
Pour Didier Deschamps, les critiques sont apparues avant même que le sélectionneur ait donné sa liste. Trois jours avant l'annonce des 30 joueurs retenus, Samir Nasri, ancien banni revenu momentanément en grâce, a fait une croix sur sa participation au Mondial. Face aux reproches de mauvais esprit qui lui collent aux basques, le milieu de terrain évoque "des faux-semblants, des fausses excuses" chez Didier Deschamps. En clair, les dés de DD seraient pipés. Pas le meilleur moyen de soutenir ses ex-coéquipiers en recherche de sérénité avant le Mondial.
La concurrence fait monter la tension
L'objectif numéro un d'un stage de préparation à une grande compétition est de générer le fameux "esprit de groupe" nécessaire à la victoire finale. En 1998, c'est pendant le stage à Tignes que le joueur Vincent Candela avait instauré la chanson I Will Survive comme hymne de vestiaire, offrant à Gloria Gaynor une seconde carrière. La chanteuse américaine avait d'ailleurs offert son disque d'or au défenseur des Bleus deux ans plus tard, comme le raconte Midi Libre.
Mais le stage peut au contraire être générateur de tensions. La crainte de faire partie des sept futurs exclus a poussé par le passé certains joueurs à la jouer "perso". "Les problèmes peuvent venir du conflit entre les objectifs du groupe et celui du joueur, explique le psychologue Julien Bois. Les joueurs qui craignent pour leur place vont vouloir se montrer, toucher plus la balle, la garder un peu trop, quitte à aller contre l'intérêt collectif." En choissisant l'option des réservistes, Deschamps limite les risques.
Ici, le comportement et le respect des règles du groupe sont également fondamentaux. "Pour parvenir à détendre l'atmosphère, le sélectionneur a intérêt à bien expliquer d'entrée les objectifs collectifs, sociaux et techniques, expose Julien Bois. Souvent, les entraîneurs pèchent par un manque de communication de ces objectifs. Le risque est de voir les joueurs ne s'axer que sur la concurrence individuelle, source de tensions."
La peur de la blessure plane
C'est la raison première de la liste élargie à 30 noms. Si un joueur se blesse, son remplaçant aura suivi la même préparation mentale et physique que lui. Pas de risque de voir un joueur en vacances débarquer au Brésil, en tongs et en maillot de bain, absolument pas préparé à disputer une compétition aussi exigeante que la Coupe du monde.
Le cauchemar du Bleu, c'est de se retrouver dans la peau de celui qui quitte le groupe en ambulance. On se souvient de la tristesse de Djibril Cissé, victime d'une fracture tibia-peroné lors d'un match de préparation en 2006, à quelques jours du Mondial en Allemagne.
Garder un blessé dans le groupe n'est pas forcément une meilleure option. En 2002, Zinédine Zidane, salement blessé à la cuisse pendant la préparation, avait joué sur une jambe, privant la France d'un leader technique valide. Lors de l'Euro 2008, Patrick Vieira, arrivé blessé au stage de préparation, avait été exempté de l'obligation faite aux joueurs d'être physiquement apte pour faire partie des 23. Il passera toute la compétition à l'infirmerie, provoquant incompréhensions et tensions dans le groupe, comme le raconte François Manardo, ancien attaché de presse des Bleus, dans son livre Knysna, au cœur du désastre (Les arènes, 2014).
Une erreur de management que Raymond Domenech a reconnue depuis. Une source d'enseignement aussi pour Didier Deschamps, à l'heure de désigner ceux qui auront la chance de représenter la France au pays où le football est roi.
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