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Pourquoi la Coupe du monde hivernale au Qatar n'a rien à craindre des tribunaux

Joueurs, championnats, télés et pays candidats sont vent debout ? Même pas peur, dit la Fifa.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Les tribunes du match Al Gharafa-Al Kharaitiyat, dans le championnat du Qatar, le 23 octobre 2011.  (SEAN GALLUP / GETTY IMAGES EUROPE)

Le 2 décembre 2010, Sepp Blatter décachète l'enveloppe contenant le nom du Qatar au moment d'annoncer l'hôte de la Coupe du monde 2022. Passé l'effet de surprise, la polémique n'a fait que croître, jusqu'à la décision de la Fifa, jeudi 19 mars, de déplacer la compétition pendant l'hiver, avec une finale prévue le 18 décembre. Vous pensiez que le feuilleton était fini ? Pas sûr. Plusieurs acteurs menacent de poursuivre en justice l'organisme qui régit le football mondial. Avec peu de chances de réussite.

Les clubs contre la Fifa

Acte d'accusation : les joueurs vont être retenus jusqu'à deux mois (trois semaines de préparation + quatre semaines de tournoi) en plein cœur de la saison. Pour la Ligue 1, neuf journées de championnat vont devoir être reportées. Quand on voit les dégâts qu'a causés la Coupe du monde 2014 sur un club comme le PSG (les deux défenseurs centraux Thiago Silva et David Luiz avec le moral à zéro, des internationaux comme Blaise Matuidi à court de forme pendant trois mois…), un Mondial disputé en pleine saison pourrait fausser le déroulement du championnat. 

Comment ça va finir : la Fifa a annoncé le triplement de l'enveloppe des indemnités pour les clubs qui ont des joueurs retenus en sélection. Une somme rondelette de plus de 7 000 euros par jour d'absence. A l'Association européenne des clubs (ECA), on se satisfait de ce compromis, négocié secrètement avec Sepp Blatter dans un restaurant italien de Zurich, pour peu que cette Coupe du monde hivernale demeure un cas isolé.

Probabilité d'un procès : nulle.

Les championnats contre la Fifa

Acte d'accusation : un ancien président de la fédération chilienne a calculé que 50 championnats étaient directement touchés par ce changement de date, note le Guardian (en anglais). Sans parler de ceux qui vont indirectement en pâtir : comment remplir les stades du championnat iranien quand la Coupe du monde est à portée de télécommande ? Frédéric Thiriez, le patron de la Ligue de football professionnel française, président de l'Association des ligues professionnelles européennes de football (EPFL) et avocat de profession, a mis en garde : l'EPFL "se déclare prête à soutenir toutes actions judiciaires que les ligues pourraient intenter contre cette décision". Un encouragement à peine voilé pour la Premier League, le championnat anglais, à qui cette décision coûte le plus cher : 10 journées valorisées à 10 millions de livres par les diffuseurs, qui seront jouées, mais pas aux moments les plus opportuns et avec des joueurs plus fatigués. 

Comment ça va finir : avec une belle enveloppe. Patron du syndicat des joueurs FIFpro, Philippe Piat a déclaré dans France Football : "Ce sont tous des faux-culs. Depuis le début, je sais que tout le monde finira par être d'accord si on leur donne du fric." On imagine mal les présidents de club convaincre les patrons des fédérations d'utiliser l'arme nucléaire : se retirer de la Fifa pour créer une contre-institution.

Probabilité d'un procès : faible. La Fifa a verrouillé les modalités de recours, en obligeant les plaignants à passer par un tribunal commercial suisse. Si la Premier League allait en justice, elle aurait du mal à plaider sa cause avec des arguments économiques. "Je ne vois pas en quoi une Coupe du monde en hiver aurait un impact négatif sur la valeur des championnats nationaux", fait valoir Julian Moore, expert en droit sportif auprès du cabinet Pinsent Masons, cité par Reuters (en anglais)

Les télés contre la Fifa

Acte d'accusation : aux Etats-Unis, Fox a acheté les droits des Mondiaux 2018 et 2022 pour 450 millions de dollars, pour se retrouver avec une Coupe du monde qatarie en concurrence frontale avec la saison de football américain, le championnat de hockey et la saison de NBA. Au Royaume-Uni, Sky Sports, qui paye plus d'un milliard d'euros par an pour diffuser la Premier League, se retrouve avec un creux de dix semaines dans sa programmation. 

Comment ça va finir : curieusement, quinze jours avant la décision définitive de programmer le Mondial 2022 en hiver, Fox s'est vu attribuer les droits du Mondial 2026 sans aucun appel d'offre. Le tout quelques semaines après que son patron, Rupert Murdoch, fut venu se plaindre dans le bureau de Sepp Blatter, remarque Bloomberg (en anglais). Coïncidence ? Son principal rival, ESPN, qui a pourtant diffusé le Mondial brésilien, est vent debout : "Alors comme ça, la Fifa a donné les droits du Mondial 2026 sans faire jouer la concurrence ? #typiquedelaFIFA", a tweeté Bob Ley, le présentateur vedette de la chaîne. 

Probabilité d'un procès : minime. D'après le Daily Telegraph (en anglais), Sky Sports va chercher à obtenir une compensation financière à l'amiable. Sky est aussi la propriété de Rupert Murdoch, bien en cour à la Fifa. Si ESPN décidait d'aller au tribunal, la Fifa aurait beau jeu de rappeler que les droits de la Coupe du monde 2006 n'avaient pas fait l'objet d'un appel d'offres, note le New York Times (en anglais).

Les pays contre la Fifa

Acte d'accusation : le cahier des charges de la Coupe du monde précise explicitement que "la Coupe du monde est prévue pour juin ou juillet 2022". Cinq ans plus tard et après un processus d'attribution entaché de forts soupçons de corruption, la date est finalement changée. Particulièrement remontée, l'Australie, candidate malheureuse, brandit toujours sa menace d'aller en justice. La fédération réclame depuis 2011 le remboursement des 40 millions d'euros déboursés pour sa candidature, en partie financés par de l'argent public. La Fifa y oppose une fin de non-recevoir. 

Comment ça va finir : autre candidat mécontent, les Etats-Unis ont posé une option sur l'édition 2026, avec de fortes chances de l'obtenir (ce qui arrangerait bien Fox News, qui a récupéré les droits sans coup férir). Un des vice-présidents de la Fifa, Jeffrey Webb, a déclaré sur la BBC (en anglais) que les infrastructures du pays étaient "si bonnes qu'il pourrait accueillir la Coupe du monde l'an prochain sans problème". En outre, le principal concurrent pour accueillir l'édition 2026, la Chine, souffre du fait que l'édition précédente se sera déroulée sur le continent asiatique. 

Probabilité d'un procès : faible. Dans le fameux cahier des charges de la Coupe du monde 2022, il est écrit noir sur blanc que les pays candidats "s'engagent à ne pas contester les décisions prises par la Fifa". Si l'Australie s'entêtait, il y a de fortes chances que son action n'aboutisse pas. Une analyse de 30 pages du Northwestern Journal of International Law & Business (PDF en anglais) conclut qu'"il est peu probable qu'une action légale puisse être intentée contre le comité exécutif de la Fifa", faute de voies de recours adaptées. 

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