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Football : avec Fleury comme dernier représentant, pourquoi est-il devenu si difficile de survivre en D1 Arkema pour les clubs amateurs ?

La saison 2023-2024 de D1 Arkema débute vendredi avec un seul club qui ne possède pas de section masculine professionnelle, le Fleury FC, une première en plus de 30 ans.
Article rédigé par Hortense Leblanc, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 8min
Le FC Fleury 91 opposé au Paris Saint-Germain en D1 Arkema lors de la saison 2022-2023 (MAXPPP)

Nous sommes en 2023-2024. Toute la D1 Arkema est composée de clubs professionnels. Toute ? Non ! Car un club d'irréductibles footballeuses résiste encore et toujours… Dernière équipe de première division dont la section masculine n'est pas professionnelle, le FC Fleury 91 a tout du village gaulois isolé d'Astérix et Obélix, après la relégation sportive et administrative de l'ASJ Soyaux, club historique de D1 Arkema, qui l'accompagnait dans l'élite. La nouvelle saison 2023-2024 qui s'ouvre vendredi 15 septembre mettra ainsi aux prises, en plus de Fleury, 11 clubs dont l'équipe masculine est professionnelle, un nombre qui n'a jamais été aussi élevé depuis le passage à 12 équipes de la D1, en 1992-1993.

Le FCF Juvisy, le VGA Saint-Maur, le Toulouse OAC, le FC Lyon, l'ASJ Soyaux-Charente… Ces clubs, qui ont été champions de D1 féminine ces 40 dernières années ont disparu de l'élite du football féminin, soit par fusion avec un club professionnel, soit par relégation sportive ou administrative. "Il n'y a pas 36 raisons pour expliquer cette difficulté à survivre en D1, c'est principalement la raison financière. Les sections féminines sont dépendantes de la partie masculine, parce que c'est ce qui rapporte de l'argent", avance David Valcke, président du GPSO Issy 92, club 100% féminin qui évoluait encore en D1 en 2021-2022.

"Les clubs de D1 féminine ne sont pas rentables et sont déficitaires, donc si quelqu'un peut venir combler le déficit, comme une section masculine, c'est toujours plus facile", confirme Luc Arrondel, économiste et auteur de "L'Argent du football – Le Foot féminin".

"En 2019-2020, le budget prévisionnel de Lyon était de 7,5 millions d'euros, ensuite on descendait à 6,5 pour le PSG, puis 3 millions pour Montpellier. C'était 0,8 million pour Fleury, et 0,7 pour Soyaux, expose l'économiste. Et en 2020-2021, le budget global était de 33 millions d'euros répartis entre les 12 équipes, mais avec les trois-quarts pour Lyon et Paris, donc derrière ça descend très vite et les inégalités sont grandes." 

Amateur et 100% féminin, la double peine

Parmi les clubs amateurs qui évoluaient en D1 ces dernières années, et qui ont été rétrogradés sportivement puis administrativement par la DNCG (Direction nationale du contrôle de gestion, le gendarme financier du football), le GPSO Issy 92 et l'ASJ Soyaux-Charente sont intégralement féminins. "Ce n'est pas une double peine d'être amateur et féminin, c'est une centuple peine, assure David Valcke. On n'attire pas assez de sponsors. On a beau dire que c'est du football féminin, qu'il faut le promouvoir, mais dans les faits, ce n'est pas faute de contacter beaucoup d'entreprises, il n'y a personne qui a suivi le projet 100% féminin. Si on avait été un club masculin avec 1 000 licenciés, on aurait plus de sponsors".

Ces deux clubs, qui évolueront donc en divisions régionales la saison prochaine après les décisions de la DNCG, ne comprennent pas leur relégation administrative. "Bizarrement, les trois clubs amateurs 100% féminins en D1 et D2 [avec le FF Yzeure] ont été relégués administrativement, c'est étonnant, s'exclame David Valcke, le président du club d'Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine). J'ai eu vraiment le sentiment que la décision était prise avant l'audience en appel, même si notre dossier était béton. Lors de la première audience, le président nous avait donné des conseils et des recommandations qu'on a suivis à l'appel."

Dans le communiqué annonçant le dépôt de bilan de l'ASJ Soyaux, son désormais ex-président, Benoît Letapissier, va encore plus loin, en dénonçant "la volonté de la FFF de faire disparaître les clubs amateurs du paysage de la première division". "J'ai le sentiment que les grands clubs ne voulaient pas de nous. Pour eux, un PSG-Soyaux ce n'est pas vendeur, ils préfèreraient un PSG-Nice ou Marseille, s'en explique-t-il à franceinfo: sport. Après le Covid, la FFF a émis l'idée de passer la D1 à 10 clubs, en reléguant deux équipes mais sans les remplacer par des promus de D2. Ça aurait fermé la ligue encore un peu plus, heureusement que les joueuses s'étaient indignées." Contactée, la FFF n'a pas répondu aux sollicitations de franceinfo: sport.

Des disparitions par fusion

Et si les clubs d'Issy-les-Moulineaux ou de Soyaux n'ont pas fusionné avec un club masculin, soit par choix, soit par manque d'opportunité, d'autres formations 100% féminines ont été absorbées ces dernières années par des clubs professionnels, pour survivre au haut-niveau, quitte à voir leur nom disparaître des tablettes. Après le FC Lyon, rattaché à l'Olympique Lyonnais en 2004, Juvisy a par exemple fusionné avec le Paris FC en 2017. Une manière aussi pour les clubs professionnels de lancer leur section féminine sans débuter des divisions les plus basses.

"Juvisy était un club historique de la D1, certains n'ont pas compris et ont critiqué, mais sans cette fusion, on serait probablement dans la même situation que ces autres clubs amateurs aujourd'hui. Il le fallait pour continuer à rivaliser, assure Marie-Christine Terroni, qui était la présidente des Juvisiennes, et qui est restée présidente de la section féminine du PFC. Le Paris FC offre les mêmes moyens en termes d'infrastructures aux filles qu'aux garçons. Et pour prendre un exemple sur la mutualisation des moyens, un club amateur doit parfois recourir à des cabinets d'avocats qui coûtent très cher, alors que dans un club professionnel, il y a un juriste".

Avec ces nombreuses fusions, pour seulement 12 places en D1, plusieurs clubs professionnels voient ainsi leur équipe féminine évoluer en D2, où les clubs amateurs se font également de moins en moins nombreux. En 2023-2024, seuls cinq des 12 clubs engagés en deuxième division n'ont pas d'équipe masculine professionnelle. Des chiffres trompeurs puisque parmi ces derniers, Le Mans ou Orléans ont eu une section masculine professionnelle il y a peu. La dynamique se poursuit aussi dans la nouvelle D3 féminine, divisée en deux poules de 12 clubs : on y retrouve le Stade Brestois, le SM Caen, l'Estac Troyes, le Toulouse FC, Clermont Foot, Grenoble, mais aussi la réserve de l'Olympique Lyonnais.

A Fleury, les femmes plus haut que les hommes

Dans ce paysage remodelé, le FC Fleury 91 apparaît donc comme une anomalie au milieu des clubs professionnels de la D1 Arkema. La formation essonnienne dispose elle d'une équipe masculine en National 2, (quatrième division), et fait mieux que survivre dans l'élite, avec une quatrième place en 2022-2023, "grâce notamment aux investissements d'un président-entrepreneur qui finance le club", estime Benoît Letapissier. L'entreprise de transports Pascal Bovis, du nom de son dirigeant, apporte en effet entre 60 et 70% du budget du club. Un budget de 3,4 millions d'euros, dont 20% sont destinés aux équipes de jeunes du club, et dont le reste est "équitablement répartis entre l'équipe féminine et l'équipe masculine", selon Pascal Bovis.

"Nous on a l'avantage d'avoir une section masculine qui n'est pas professionnelle, donc qui nous coûte peut-être moins cher, mais avec qui on peut mettre en commun certaines ressources, comme sur la partie médicale", poursuit le président. Fleury fait même partie des six qui investissent dans l'ouverture d'un centre de formation féminin en ce début de saison 2023-2024. "Pour nous, la formation va être indispensable pour sortir de bonnes joueuses, alors que le PSG ou Lyon qui ouvrent un centre, c'est tout à leur honneur, mais ils peuvent acheter les joueuses qu'ils veulent", explique-t-il.

Le club essonnien va ainsi entamer sa septième saison consécutive dans l'élite avec l'impression d'être "le dernier des Mohicans". "C'est regrettable qu'un club qui a une histoire avec la D1 disparaisse, mais c'est la marche inéluctable vers la professionnalisation. Peut-être que demain on sera aussi victime de cela, mais on aura apporté notre pierre", affirme Pascal Bovis, tout en assurant que son club aura les moyens de répondre aux nouvelles exigences de professionnalisation demandées par la fédération

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