Football : généralisation des contrats fédéraux, staffs plus étoffés… Que va changer la création d’une ligue professionnelle féminine ?
Déjà effective depuis 2018 en Angleterre, la professionnalisation du football féminin prend forme en France. Philippe Diallo, le président par intérim de la Fédération française (FFF) et Jean-Michel Aulas, chargé de piloter la commission féminine de haut niveau, ont annoncé, jeudi 13 avril, la création d'une ligue professionnelle de football, qui doit être validée le 10 juin par l'assemblée fédérale, puis sera effective à partir du 1er juillet 2024.
Si certaines exigences envers les clubs ont déjà été entérinées pour cette future ligue professionnelle, les discussions autour d'une convention collective sont toujours en cours. "Il faut trouver un juste milieu entre ce que les filles, les clubs et les entraîneurs souhaitent", explique Solène Durand, gardienne de Guingamp et représentante de son club auprès de l'Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP). "Ce n'est pas pour les joueuses du PSG, de Lyon, du Paris FC ou de Montpellier que les conditions vont beaucoup changer, parce qu'elles touchent déjà du doigt le professionnalisme, ce sera plutôt pour les clubs de la deuxième partie de tableau qu'il y aura le plus de travail à faire", commente Fabien Safanjon, vice-président de l'UNFP. Franceinfo: sport vous résume ce qui devrait changer dans le quotidien des joueuses, et de leurs clubs.
La généralisation des contrats fédéraux
"Ce qui nous intéresse à l'UNFP, c'est que les joueuses puissent dire haut et fort que leur métier, c'est footballeuse professionnelle, sans être obligée de travailler à mi-temps dans une autre structure pour avoir une vie décente", pose Fabien Safanjon. Si une majorité des joueuses de D1 dispose d'un contrat fédéral, une partie reste à temps partiel. Une entrave à l'excellence, constate Solène Durand : "Le fait de travailler à côté entraîne, parfois, une fatigue physique et mentale qui peut être plus importante, ce qui peut provoquer des pépins physiques". Il sera demandé aux clubs de D1 de disposer d'au moins 11 contrats fédéraux à temps plein, "pour tendre vers 13 à l'avenir", selon Laurent Nicollin, président de Montpellier, et huit contrats fédéraux à mi-temps en deuxième division, "avec un an pour se mettre à niveau pour un club de D2 qui monterait en D1".
La question d'un salaire minimum pas encore tranchée, celle d'un meilleur encadrement des grossesses a déjà été abordée dans les discussions de la future convention collective."Le fait de tomber enceinte quand on est athlète de haut niveau implique un arrêt plus précoce pour la santé de la maman et du bébé. Mais s'arrêter de jouer ne doit pas empêcher d'avoir accès à un moyen de s'entretenir physiquement, pose Fabien Safanjon, qui espère "signer un accord collectif en juillet". "Le maintien des salaires et la mise en place de structures pour que les enfants puissent suivre leur mère en déplacement sont aussi discutés", ajoute Solène Durand.
Des exigences plus poussées pour les staffs
La FFF va mettre en place trois niveaux de licences club, "Accession", "Elite" et "Excellence", qui correspondent chacun à des pré-requis de structuration. La licence "Excellence" sera demandée afin d'évoluer en D1. Elle implique des staffs techniques, administratifs et médicaux étoffés : "On demande qu'un médecin soit présent au moins 10 heures par semaine, et un kiné à mi-temps. C'est un cap à atteindre, ce qui veut dire que ces conditions ne sont pas réunies dans certains clubs de D1 pour le moment", précise Fabien Safanjon. "Pendant nos réunions à l'UNFP, quand on a demandé à inscrire noir sur blanc ces exigences pour le staff médical, les filles de Lyon et du PSG étaient surprises que ces dispositions n'existent pas déjà dans tous les clubs", raconte Solène Durand.
Les présences d'un analyste vidéo et d'un team manager, pour organiser la logistique autour de l'équipe, seront également requises. "Dans certains clubs, les coachs gèrent aussi les déplacements. Avec un staff plus important, ils pourront se concentrer sur le terrain", ajoute la gardienne de Guingamp.
Des infrastructures à la hauteur du football professionnel
"Parmi les prérogatives à atteindre dans la licence club, on trouve des exigences d'éclairage, de sécurité pour l'accueil des spectateurs, et aussi des tribunes couvertes, car ils se retrouvent parfois en bord de terrain sous la pluie", explique Fabien Safanjon. Consciente que la médiatisation sera la principale source de financement de cette D1 Arkema, la FFF souhaite aussi améliorer les conditions de retransmissions du championnat et les pelouses. "Pour produire du beau jeu, il faut de belles installations. On joue parfois sur des terrains compliqués, sur lesquels même un Neymar ne serait pas à l'aise techniquement", déplore Solène Durand.
Et pour améliorer les conditions autour des joueuses, la licence "Excellence" va imposer de mettre à disposition "des vestiaires avec des conditions sanitaires suffisamment élevées", selon Fabien Safanjon, alors que "certains vestiaires sont parfois petits, regrette Solène Durand. Il n'est pas possible d'y faire le pré-échauffement donc des joueuses se retrouvent dans le couloir. Il arrive que seulement trois douches fonctionnent, ce qui est compliqué pour 18 filles qui doivent se laver les cheveux". L'accès à une salle de musculation est également demandée par la FFF. "À chaque prérogative correspondra une manne financière, qui sera débloquée et versée au club quand il la mettra en place", explique le vice-président de l'UNFP.
L'ouverture de centres de formation
Des centres de formation vont ouvrir dès l'été 2023, et six clubs de D1 ont déposé leur candidature pour obtenir l'agrément du ministère des Sports : le Paris Saint-Germain, l'Olympique Lyonnais, Bordeaux, Montpellier, Fleury et le Paris FC. Des jeunes filles y seront donc formées des catégories U16 à U20, et les pôles espoirs, qui accueillaient jusqu'alors des joueuses de 16 à 18 ans, se concentreront plutôt sur la préformation, pour des joueuses entre 13 à 16 ans.
Par conséquent, des contrats de formation vont être créés pour les jeunes filles, comme les contrats stagiaires ou aspirants qui existent déjà chez les garçons, pour lier les joueuses au club formateur. "Si j'investis de l'argent dans la formation des filles, ce n'est pas pour que mes meilleures partent gratuitement à l'Olympique Lyonnais comme ça arrive chaque année. Les joueuses ne pourront pas partir sans indemnités financières", explique Laurent Nicollin.
Un championnat plus homogène et attractif
Alors que les ligues anglaises, espagnoles et italiennes sont déjà professionnelles, le championnat de France a pris du retard, et commence à le payer puisqu'aucune équipe de D1 Arkema ne figure dans le dernier carré de la Ligue des champions, une première depuis la saison 2013-2014. "À nous de compenser le retard, même si je pense qu'on ne rattrapera jamais les Anglaises, vu les moyens mis par les télévisions dans la retransmission, et les budgets des clubs bien supérieurs aux clubs français", avance Laurent Nicollin.
"Avec cette évolution, on peut espérer ralentir le départ de bonnes joueuses à l'étranger, en attirer davantage, et rendre le championnat plus homogène", s'enthousiasme Solène Durand. "Tout cela demandera d'abord de l'investissement, avant de récolter les premiers fruits", prévient Fabien Safanjon.
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