Equipe de France : avec le premier bébé à Clairefontaine, le foot suit l'exemple du hand précurseur dans l'accueil des enfants des joueuses
Venir avec ses enfants lors de rassemblements internationaux est devenu une habitude pour leurs homologues américaines. Pour les joueuses de l'équipe de France de football, la présence d’un bébé à leurs côtés à Clairefontaine, depuis lundi 3 avril, est une nouveauté. Première internationale en activité à être devenue mère, Amel Majri est désormais accompagnée de sa petite fille de neuf mois. Une petite révolution bienvenue, mais qui arrive bien tard en comparaison avec ce qui se fait en équipe de France de handball.
C’est à se demander qui d’Amel Majri ou de ses coéquipières sont les plus heureuses. Sakina Karchaoui évoque une "bouffée d’oxygène" et Kenza Dali assure qu’elle est "un peu nounou" de la petite Maryam, la nouvelle mascotte de Clairefontaine. Si Corinne Diacre avait ouvert la porte, en proposant à la gardienne Manon Heil de venir accompagnée de son fils lors du rassemblement de février, ce qu’elle avait refusé, Amel Majri a saisi l’opportunité renouvelée par le nouveau staff des Bleues. "C'est indispensable de donner une structure aux joueuses qui ont des enfants en bas âge, a estimé Hervé Renard en conférence de presse. Amel a une petite fille de 9 mois, il est difficile pour une maman de laisser son enfant très jeune à la maison, même si c'est son métier […] Cela ne nuira pas au fonctionnement du groupe et psychologiquement, cela a une importance capitale".
La plus jeune pensionnaire de Clairefontaine a donc découvert le centre technique national lundi, aux côtés de sa nounou. Un mode de garde dont les frais sont financés par la Fédération française de football. "Le retour en sélection m'a déjà procuré beaucoup d'émotions, mais je ne me serais jamais imaginé le vivre avec ma fille, raconte Amel Majri dans L’Equipe, après ces premiers jours de rassemblement […] J'arrive à jongler avec mes entraînements, ma fille. Je partage beaucoup de moments avec elle à chaque temps libre que j'ai. Aujourd'hui, elle a rampé pour la première fois vers l'avant. La nounou m'accompagne, et ça me permet de me focaliser que sur le foot".
Le handball, précurseur depuis vingt ans
Si Amel Majri et les Bleues du foot découvrent la présence d’un bébé en sélection, cet accueil des enfants est devenu la norme, et cela depuis plus de 20 ans, chez les Bleues du hand. "Je me souviens de la préparation des Jeux olympiques 2004 avec trois mamans dans l’effectif, et la présence de leurs enfants, raconte Olivier Krumbholz, le sélectionneur champion olympique et double champion du monde notamment avec les handballeuses tricolores. On s’était appuyé sur la manager générale et la chef de délégation, qui étaient libres pendant les entraînements, et qui s’occupaient donc des enfants". Désormais, les joueuses viennent parfois accompagnées de nourrices, de leur partenaire ou de grands-parents, qui louent des logements à proximité, "et c’est arrivé que la fédération aide financièrement pour cela", assure-t-il.
"Il faut que chacune trouve le bon équilibre entre le bien-être de l’enfant, de la maman, du collectif, explique Nodjialem Myaro, ancienne internationale française et présidente de la Ligue féminine de handball. La récupération est importante, le sommeil est important, il faut juste mettre des espaces pour cela et les respecter, il y a un temps pour tout, et les joueuses sont assez professionnelles pour faire la part des choses". Les enfants ne sont donc pas forcément les bienvenus lors des entraînements et des séances vidéos, "mais il n’y a pas un modèle type d’organisation, souligne Olivier Krumbholz. Il faut avoir une certaine forme de souplesse dans l’emploi du temps pour leur permettre de voir leurs enfants. Il nous arrive d’ailleurs de manger avec eux, et pour les enfants, c’est comme Disneyland, ils ont 20 tatas qui cherchent à jouer avec eux et à les câliner".
De l’avis du sélectionneur, les joueuses devenues maman, comme la gardienne Cléopâtre Darleux, sont généralement des moteurs dans un groupe : "Une femme qui a vécu un accouchement est obligée de faire des efforts pour revenir, sur son physique notamment, et ce sont des filles qui ont une énorme ambition et une énorme détermination". Nodjialem Myaro, qui est tombée enceinte après sa carrière internationale mais qui a côtoyé des enfants en sélection, confirme : "Je suis convaincue que c’est parce qu’une joueuse va être équilibrée dans tous les domaines de sa vie qu’elle va pouvoir performer. Parfois il y a de la culpabilité de partir si longtemps en déplacement, et celles qui arrivent à gérer cela ne peuvent que se sublimer".
"Amel va devenir une référence"
Comme au handball, les Bleues du foot et leur sélectionneur espèrent désormais que la présence d’enfants se généralisera. "Pourquoi pas avoir quatre ou cinq bambins avec nous à l’avenir ? », interrogeait Hervé Renard en conférence de presse. "Amel se demandait comment son retour allait se passer, si elle aurait l’autorisation de venir avec sa fille, d’autant qu’elle allaite. Maintenant que c’est acquis, c’est quelque chose de grand et ça va ouvrir la voie à d’autres. Quand on n’a pas de modèle, c’est compliqué de sauter le pas, et Amel va devenir une référence pour beaucoup", assure Jessica Houara-D’Hommeaux, ancienne joueuse des Bleues, et désormais consultante pour Canal+, pour qui elle a co-réalisé le documentaire "Baby Foot, neuf mois dans la vie d’Amel Majri" (disponible sur MyCanal). Elle-même aurait aimé avoir plus d’assurance lors de sa carrière internationale.
"J’avais envie de devenir maman depuis longtemps, mais je n’ai pas osé pendant ma carrière. Si j’avais eu un modèle de joueuse qui venait en sélection avec son enfant, bien sûr que cela aurait changé la donne. Je pense que j’aurais eu mes enfants pendant ma carrière, et peut-être que j’aurais raccroché les crampons plus tard."
Jessica Houara-D'Hommeaux, ancienne internationaleà franceinfo: sport
Sociologue et vice-présidente déléguée de la Fédération française de handball, Béatrice Barbusse se réjouit de "l’entrée dans la normalité du football", mais apporte une nuance : "Je serai contente quand je verrai ce discours-là du côté des hommes, quand ces aménagements leur seront permis. Je n’ai pas le sentiment que les garçons soient aussi demandeurs que les filles, et cela me dérange, parce qu’on fait passer l’image que l’éducation des enfants, c’est une histoire de femmes, et que les mecs peuvent faire le travail sans se soucier de qui s’en occupe ou qui les nourrit". Sur ce point, des progrès restent à faire, notamment en rugby, où le Grenoblois Timoci Nagusa avait été la cible de critiques et d’interrogations lorsqu’il avait choisi de profiter de son congé paternité de 28 jours, en 2021.
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