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Euro féminin de foot : six réponses à votre beau-père Jean-Louis qui trouve que ce sport, "c'est pas pour les gonzesses"

L'Euro féminin se déroule aux Pays-Bas jusqu'au 6 août, et la France fait partie des favorites. Jean-Louis va-t-il suivre la compétition ? Pas sûr. A moins que...

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La capitaine de l'équipe de France, Wendie Renard, au sol, lors du match France-Islande de l'Euro 2017, à Tilbourg (Pays-Bas), le 18 juillet 2017. (CARMEN JASPERSEN / DPA / AFP)

Le gigot-flageolet du repas du samedi midi pèse sur votre estomac, quand votre beau-père Jean-Louis aborde le sujet de l'Euro féminin de foot qui se déroule jusqu'au 6 août aux Pays-Bas, à la table familiale. Verre de cognac à la main, Jean-Louis argumente : il aime le foot, le vrai, les tacles au niveau du genou, les sprints à 40 km/h de Cristiano Ronaldo, les horizontales de Manuel Neuer... Il a versé sa petite larme le 12 juillet 1998, il a pleuré toutes les larmes de son corps quand Harald Schumacher a harponné Patrick Battiston lors du drame de Séville 1982.

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Mais daigner remuer un doigt sur la télécommande pour regarder l'Euro féminin, et les Bleues qui disputent leur deuxième match samedi 22 juillet, JA-MAIS. Le faire changer d'avis ne sera pas chose aisée, tant les préjugés ont la vie dure. Ce n'est pas pour ça qu'il ne faut pas essayer. 

"Tes nanas, là, une équipe de troisième division leur mettrait la misère !"

Abordons tout de suite LE sujet qui fâche. Interrogée par la BBC en 2013, la sélectionneuse anglaise Hope Powell avait affirmé que son équipe avait sa chance contre les Wayne Rooney et autres John Terry qui font la loi en Premier League. "Je pense que les hommes sont physiquement largement meilleurs que les femmes mais, si l’on prend en compte les capacités techniques, alors nous sommes aussi fortes que les hommes." La gêne polie qui a suivi cette déclaration a été brisée par une journaliste du Daily Mail. "Bien sûr que les femmes perdraient, elles se feraient même humilier. Arrêtons d'être gentils avec les joueuses. (...) On dirait que si elles perdaient au premier tour du Mondial, elles repartiraient quand même avec une médaille et des cadeaux."

Pas assez physiques les femmes ? Pas du tout. Les études de la Fifa sur les Coupes du monde 2011 et 2015 montrent que les joueuses des meilleures équipes parcourent en moyenne 10,5 km (soit à peu près 10% de distance en moins que leurs homologues masculins). L'équipe des Etats-Unis, finaliste du Mondial 2011, effectuait plus de sprints que les U19 anglais, mais beaucoup moins que les A.

Et puis, Jean-Louis, si les femmes ne sont pas encore à un assez bon niveau à votre goût, dites-vous que la Coupe du monde de 2015 est la première "où une majorité des joueuses étaient professionnelles, pas à mi-temps", comme le rappelle la milieu américaine Megan Rapinoe sur le site The Player's Tribune. On en reparle dans trente ans quand les filles seront cueillies dans des centres de formation dès le début de la puberté.

"Tu n'es pas sérieux ? Les gardiennes font 1,20 m, dès qu'il y a corner, il y a but"

Difficile de donner tort à Jean-Louis sur ce point précis. La Fifa a beau se gargariser d'une évolution spectaculaire du poste dans le rapport sur le Mondial 2015 - "les gardiennes sont celles qui ont le plus évolué au cours de ces quatre dernières années" - l'impression visuelle mitigée demeure. En France, la malheureuse Sarah Bouhaddi, gardienne de l'OL avec une armoire à trophées bien garnie, cristallise les critiques. Au tournoi olympique de 2012, si les Bleues prennent la porte en demi-finale face au Japon, c'est sur deux coups-francs où la sortie de la gardienne n'est pas très nette. Bouhaddi mesure pourtant 1,75 m, comme Hope Solo, la célèbre gardienne américaine, référence du poste.

Avec un but large de 7,32 mètres, impossible pour les gardiennes de gicler au ras du poteau pour détourner un tir. La faute à leur envergure, aux fibres de leurs muscles des genoux qui ne leur permettent pas d'avoir la même détente que les hommes. Ajoutez à ça qu'elles débutent assez tard dans les cages. Jusqu'à leurs 16 ans en France, elles jouent avec les garçons, et rares sont celles à qui on confie les bois.

Mais on peut aussi renvoyer Jean-Louis dans ses 16 mètres en lui expliquant que la marge de progression à ce poste est énorme. Au Mondial 2015, par exemple, la taille moyenne des gardiennes culminait à 1,73 m, en hausse de près de 5 cm par rapport à l'édition précédente. 

"C'est gentillet tout ça. Elles mettent des protège-tibia ou pas besoin ?"

C'est ça, Jean-Louis, et elles jouent en escarpins à crampons aussi ! Comme l'Islandaise Ingibjorg Sigurdardottir, qui a caressé délicatement le mollet de Camille Abily lors de France-Islande mardi 18 juillet, par exemple. Et ce juste devant le panneau publicitaire où était inscrit "We play strong", "on joue dur".

  (FRANCE 2)

Contrairement au cliché, les joueuses ne sont pas particulièrement tendres entre elles. L'antijeu, les "fautes utiles" et les coups de coude sur les corners existent aussi dans le foot féminin. Les arbitres "à l'anglaise" qui ne sifflent que quand le stade se mord la lèvre de douleur aussi. Et certains comportements limites, tolérés chez les hommes, sont sanctionnés chez les femmes. La contestation, un mot trop fort et trop haut envers l'arbitre, et le carton jaune est vite sorti.

"Mais tout le monde s'en fout surtout du foot féminin non ?"

Heureusement, Jean-Louis, ce genre de raisonnement est en perte de vitesse. Le nombre de licenciées auprès de la Fédération française de football est en forte hausse, de 60 000 en 2012, à presque le double en 2017. Le facteur d'accélération, c'est, bien sûr, les bonnes performances de l'équipe de France, qui atteint régulièrement le dernier carré des grandes compétitions. Deux tiers des clubs professionnels disposent d'une section féminine, alors qu'il y a cinq ans, c'était à peine la moitié. Parmi eux, les grands noms du foot français comme l'OM, le PSG ou Lyon, qui cartonnent en coupe d'Europe, mais aussi des clubs de l'élite plus modestes comme Guingamp ou Metz.

Conséquence de cet engouement, l'affluence des matchs de l'équipe nationale croît considérablement. C'était 15 500 en moyenne l'an passé, une hausse... de 13 000 personnes par rapport à 2011, selon l'UEFA. Quant aux diffusions à la télé, les audiences se portent plutôt bien. Sur France 2, la victoire 1-0 de l'équipe de France féminine face à l'Islande, mardi, comptant pour le premier tour de l'Euro, a rassemblé 3,3 millions d'amateurs (16,6% de PDA), juste derrière la série de TF1 Camping Paradis, 3,8 millions de personnes (19,5% de PDA). Et rappelons que la retransmission du quart de finale de Coupe du monde perdu par les Françaises face aux Allemandes, le 26 juin 2015, avait permis à W9 de réaliser le ­record d'audience historique de la TNT, en rassemblant 4,14 millions de télé­spectateurs. Quelque chose à ajouter Jean-Louis ? 

"C'est toutes des lesbiennes en plus !"

Et même si c'était vrai, Jean-Louis ? Contrairement au foot masculin, l'homosexualité n'est pas un tabou dans le foot féminin, au contraire. Des sites LGBT dénombraient dix-huit joueuses ou coachs se déclarant homosexuelles avant le Mondial 2015, et saluaient "le tournoi le plus queer de l'histoire". Ne faites pas pour autant tout de suite du foot féminin un modèle de tolérance : en 2011, la coach du Nigeria a été accusée de sélectionner ses joueuses en fonction de leur orientation sexuelle. "L'homosexualité est une chose vraiment très sale spirituellement et moralement", avait insisté Eucharia Uche dans Bild.

Il vaut sans doute mieux en rire. Dans une vidéo hilarante, l'équipe de Norvège avait passé à la moulinette les clichés sur le foot féminin. La "plus belle joueuse de l'équipe", Cathrine Dekkerhus, confiait face caméra qu'elle avait dû changer de club "car les autres joueuses tombaient amoureuses de moi, j'ai paniqué et j'ai dû partir."

"Et comme chez les mecs à la fin, c'est l'Allemagne qui gagne ?"

La célèbre phrase de Gary Lineker s'applique aussi au foot féminin. L'Allemagne a remporté chaque Euro depuis 1993, alors qu'au niveau mondial, parier sur les Etats-Unis, c'est une garantie de succès. A moins que cette année, ce soit l'année des Bleues, qui chassent un premier succès, pour préparer idéalement la Coupe du monde, organisée dans l'Hexagone en 2019.

Toutefois, le niveau général a fortement progressé. Fini les roustes d'un premier tour symbolique destiné à échauffer les cadors. En 1993, on assistait à deux 10-0 lors des poules et à un 7-0 en quart de finale. De l'histoire ancienne. La belle résistance de l'Islande, qui a donné du fil à retordre aux Bleues, l'atteste. Les favoris demeurent, mais les outsiders ont progressé. 

Les filles ne courent pas après l'argent. Le prize money réservé au vainqueur s'élève à 1,2 million d'euros (huit millions pour toutes les équipes au total, une hausse de deux millions par rapport à 2013). C'est... sept fois moins que ce qu'a touché le Portugal, vainqueur de l'Euro 2016 au Stade de France.

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