Cet article date de plus de huit ans.

Comment l'équipe d'Islande est devenue l'invitée (pas si) surprise de l'Euro 2016

Les Islandais disputent leur premier match dans une grande compétition, mardi contre le Portugal, après une ascension fulgurante.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
L'équipe d'Islande de football fête sa victoire contre les Pays-Bas, décisive dans sa qualification pour l'Euro 2016, le 3 septembre 2015 à Amsterdam. (MICHAEL KOOREN / REUTERS)

Les Islandais étaient loin, très loin, de se qualifier pour l'Euro 2012. Lors des qualifications pour la compétition, ils n'avaient remporté qu'une seule victoire en huit matchs et terminé 12 points derrière le Portugal. Un peu plus de quatre ans plus tard, les deux équipes se retrouvent, mardi 14 juin à Saint-Etienne, pour leurs débuts dans l'Euro 2016, dont l'Islande est sans doute l'invité le plus surprenant.

L'île de 329 000 habitants, soit l'équivalent de l'agglomération de Reims ou du Mans, est le plus petit pays jamais qualifié pour un Euro : un record qui tiendra sans doute pour toujours, à moins qu'Andorre ou le Luxembourg se découvrent une génération de champions. Si vous avez cru à une erreur en lisant le nom de l'Islande sur le calendrier de l'Euro, francetv info vous explique comment elle y a gagné sa place.

En construisant des stades couverts

"Islande" ne veut pas dire "terre de glace" pour rien : en hiver, la température moyenne tombe à 0°C et l'île est balayée par le vent. Les pelouses gèlent ou se couvrent de neige. "En hiver, on devait s'entraîner sur du sable ou des cailloux", raconte l'attaquant du FC Nantes Kolbeinn Sigthorsson à L'Equipe. Aujourd'hui encore, la saison de championnat, qui se joue en extérieur, commence le 1er mai pour se terminer le 1er octobre, soit cinq mois de football par an.

Difficile, dans ces conditions, de former des joueurs de haut niveau. Au début des années 2000, l'Islande décide de puiser dans ses caisses pour s'attaquer au problème : en partenariat avec les collectivités locales, elle construit des immenses hangars, sept au total, abritant des terrains de foot, chauffés et à la pelouse synthétique. Des conditions dont rêveraient nombre de jeunes footballeurs français, et qui permettent de s'entraîner toute l'année. Ce programme ne se limite pas aux quartiers aisés de la capitale Reykjavik : l'un des attaquants islandais, Jon Dadi Bodvarsson, a grandi dans un village de 6 700 habitants, et fait ses classes sur un de ces terrains couverts. Et les écoles de l'île ont presque toutes leur propre terrain synthétique, en extérieur certes, mais plus résistant aux éléments.

S'ajoute à cela un programme de formation, mis en place à la même époque, qui fait que l'Islande compte aujourd'hui un entraîneur diplômé pour 550 habitants. Les stars de l'équipe nationale ont toutes entre 24 et 27 ans, assez jeunes pour avoir, à l'adolescence, été formées par ces coachs compétents dans ces infrastructures de qualité. Au point que les Islandais ont aujourd'hui une crainte inverse : que les plus jeunes générations soient émoussées mentalement par tout ce confort, par rapport à leurs aînés qui ont connu les terrains de graviers.

Grâce à une génération dorée

Si vous ne suivez que les grands clubs européens, un nom vous sera familier dans cette sélection : celui d'Eidur Gudjohnsen, grand attaquant qui a fait le bonheur de Chelsea puis de Barcelone entre 2000 et 2009. Un joueur que l'on s'était résigné à ne jamais voir dans une compétition internationale, un peu comme le Gallois Ryan Giggs, à cause de la faiblesse de ses coéquipiers en sélection. Gudjohnsen a connu l'équipe d'Islande avant sa révolution, quand ses coéquipiers étaient parfois des amateurs du championnat local, qui retournaient à leur vie de pêcheurs après les matchs.

Eidur Gudjohnsen, première star du football islandais, sous le maillot du FC Barcelone, le 31 octobre 2006. Il fait partie de la sélection de l'Islande pour l'Euro 2016. (PEDRO ARMESTRE / AFP)

Aujourd'hui, les 22 coéquipiers de Gudjohnsen jouent tous hors de l'Islande, et parfois dans des clubs de haut niveau. Le meneur de jeu, Gylfi Sigurdsson, a marqué 11 buts cette saison dans le championnat anglais avec Swansea, dont il est sans doute le meilleur joueur. Avant de se perdre un peu à Nantes, Kolbeinn Sigthorsson a été le buteur du prestigieux Ajax Amsterdam. Son comparse en attaque, Alfred Finnbogason, a été le meilleur buteur du championnat des Pays-Bas il y a deux ans. Le milieu Birkir Bjarnason a atteint les huitièmes de finale de l'Europa League cette année avec le FC Bâle.

Le reste de l'équipe évolue dans des équipes et des championnats moins cotés, essentiellement en Scandinavie. Et il reste des profils atypiques : avant de devenir professionnel en Norvège, en 2014, le gardien titulaire, Hannes Thor Halldorsson, vivait de sa carrière de réalisateur : le clip des candidats islandais à l'Eurovision 2012, c'est lui.

En battant des grosses équipes

Oui, l'Euro 2016 est passé de 16 à 24 participants, et ce n'est pas une coïncidence si cette édition accueille de nombreux débutants (Islande, Albanie, Irlande du Nord, pays de Galles, Slovaquie). Mais l'Islande n'a pas volé sa qualification, acquise dans l'adversité : pour le tirage au sort des éliminatoires, en janvier 2014, elle était classée dans le 5e chapeau, au niveau de la Moldavie et de l'Azerbaïdjan, l'obligeant à jouer quatre équipes meilleures qu'elle sur le papier, dont les Pays-Bas, la République tchèque et la Turquie.

Quelques mois plus tôt, l'Islande avait pourtant failli se qualifier pour le Mondial 2014. Les joueurs étaient alors convaincus de leur niveau. "Personne ne disait rien dans le vestiaire, on pensait tous qu'on passerait", raconte Hannes Thor Halldorsson, après la défaite en barrage contre la Croatie, en novembre 2013.

Animés par cette confiance et cet esprit revanchard, les Islandais entament les qualifications pour l'Euro, à l'automne 2014, en écrasant la Turquie (3-0) à Reykjavik, où ils battent aussi la République tchèque (2-1). 

Le milieu de terrain islandais (à gauche) Gylfi Sigurdsson fête son but contre les Pays-Bas, le 3 setembre 2015 à Amsterdam. (JOHN THYS / AFP)

Mais c'est leur confrontation contre les Néerlandais, troisièmes du Mondial 2014, qui est la plus révélatrice de leur état d'esprit. Eidur Gudjohnsen raconte à ESPN qu'en 2008, la sélection s'était déplacée aux Pays-Bas : "Le discours de l'entraîneur était : 'Nous allons essayer de préserver le score de 0-0 le plus longtemps possible, et ensuite on verra bien.' On a perdu 2-0." Quand les Hollandais se présentent à Reykjavik en 2014, le discours a radicalement changé : "La causerie d'avant match, c'était : 'Voilà comment nous allons battre la Hollande'." Cette fois, c'est l'Islande qui s'impose 2-0, avant d'aller gagner à Amsterdam (1-0). Deux exploits qui ont privé les Oranje d'une participation à l'Euro.

Grâce à l'ancien coach de Zlatan

Si les résultats de l'Islande sont en nette progression, c'est aussi parce qu'en 2011, la fédération islandaise a réussi à attirer un coach de renom : le Suédois Lars Lagerbäck. Sélectionneur de la Suède entre 2000 et 2009, il a fait de cette équipe une habituée des grandes compétitions, la qualifiant cinq fois d'affilée pour l'Euro ou le Mondial, avec dans son groupe des stars comme Zlatan Ibrahimovic. Bref, Lars Lagerbäck évoluait alors dans une autre sphère que l'équipe d'Islande, mais a toujours été persuadé du potentiel de ses joueurs. "J'ai accepté ce job pour travailler avec un groupe de joueurs que je trouvais très intéressant", surtout la génération des Sigurdsson et Sigthorsson, "et parce que je pensais qu'on avait une chance d'arriver aussi loin", expliquait-il en 2013, peu avant le barrage qualificatif pour le Mondial.

Le sélectionneur suédois de l'Islande, Lars Lagerbäck, applaudi par ses joueurs avant un match amical à Reykjavik, le 6 juin 2016. (HALLDOR KOLBEINS / AFP)

Homme discret, Lars Lagerbäck assume sa vision très détendue de la gestion de son équipe. "Il faut traiter les joueurs comme des personnes normales", auxquelles il laisse leurs responsabilités, expliquait-t-il en 2013. "Une fois qu'on s'est entraînés, après le déjeuner, je les laisse libre de faire ce qu'ils veulent." Une approche qui plaisait, semble-t-il, à Zlatan Ibrahimovic. "Il a toujours eu une forte personnalité, mais j'ai toujours eu de très bonnes relations avec lui", explique-t-il à L'Equipe.

Aujourd'hui âgé de 67 ans, celui qui passera la main à son adjoint après l'Euro a été salué comme un héros en Islande après la qualification pour l'Euro. "Martin Luther King, Nelson Mandela, ce sont des gens comme ça qui sont de vrais héros", a-t-il répondu avec sa modestie habituelle. Ce qui ne veut pas dire que Lagerbäck est toujours un robinet d'eau tiède : avant d'affronter le Portugal à l'Euro, il a lancé une pique à Cristiano Ronaldo, "un acteur talentueux". Rien ne dit que le coach saura trouver le moyen de contenir la star portugaise, mais ses résultats font des jaloux : en septembre, 94% des Suédois disaient qu'ils le préféraient à l'actuel sélectionneur suédois.

Avec l'appui de tout un peuple

La fièvre du football a saisi les Islandais, plutôt habitués à fêter des victoires en handball. En septembre, les joueurs qui se sont imposés aux Pays-Bas étaient portés par les chants de 3 000 fans qui avaient fait le déplacement : sur le papier, ça n'est peut-être pas si impressionnant, mais l'Islande compte un peu moins de 330 000 habitants. Les supporters en bleu, qui occupent un bout de tribune du stade d'Amsterdam sur cette vidéo, représentent donc 1% de la population du pays. Mieux, pour l'Euro, les Islandais ont obtenu 34 000 places au total pour les trois matchs du premier tour. Selon la fédération islandaise, citée par l'Equipe, ils seront 20 000 à se déplacer, soit 6% de la population.

L'engouement pour l'équipe de Lars Lagerbäck dépasse le cercle des connaisseurs du foot : lors du déplacement en Croatie en 2013, la fédération avait organisé un cours pour les supporters, dont certains n'avaient jamais entendu parler de Luka Modric, la star des Croates et du Real Madrid. Ce qui ne les avait pas empêché de parcourir 4 000 km.

Et les supporters islandais ne voient pas leur équipe jouer les touristes à l'Euro : ils croient en leurs chances. "On ne va pas à l'Euro avec la meilleure équipe, mais on y va avec le meilleur mental. Il faut être un peu fou pour vivre ici, entouré de 30 volcans en activité", plaisante l'un d'eux, interrogé par le site Copa90. Lequel devient très sérieux à propos des chances de son équipe : "Avec notre folie, on peut le faire, sortir du groupe et aller plus loin. Pourquoi ne pas gagner ?"

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.