Euro 2016 : comment la Mannschaft a progressé en devenant multiculturelle
Le regain de forme de l'équipe d'Allemagne depuis une dizaine d'années est dû en grande partie au vote d'une loi sur la nationalité. Explications.
United colors of Germany. C'est ainsi que beaucoup d'Allemands perçoivent l'équipe Multikulti [multiculturelle, en allemand] de Joachim Löw, lors de cet Euro 2016. Depuis une dizaine d'années, la Mannschaft a intégré progressivement des joueurs issus de l'immigration, notamment turque. Et les résultats sont revenus : l'Allemagne enchaîne face à la France, jeudi 6 juillet, sa sixième demi-finale de suite dans une grande compétition. Mais si on avait montré la photo de l'équipe à un joueur des années 1990, il n'en aurait sans doute pas cru ses yeux. Cette Mannschaft Multikulti est le fruit de quinze ans de travail acharné sur tous les fronts.
Pendant un siècle, la loi barre la route aux enfants d'immigrés
Premier gros obstacle pour élargir le vivier de joueurs : la très contraignante loi sur la nationalité, établie en 1913, et qui n'avait pas bougé d'une virgule jusqu'en 1999. Le droit du sang - la nationalité est transmise par les parents - point barre. Ce qui va priver l'Allemagne de tous les talents pourtant présents parmi les trois millions de travailleurs immigrés présents dans le pays dans les années 1960. Ponctuellement, la Mannschaft incorpore des joueurs qui ne sont pas nés en Allemagne, mais les cas demeurent rarissimes. Parmi les vainqueurs de la Coupe du monde 1954, Jupp Posipal, né en Roumanie. Et au sein des champions du monde 1974, Rainer Bonhof, un temps détenteur d'un passeport néerlandais. La même année est retenu le premier joueur noir sous le maillot blanc (en 1931 pour la France). Mais du passage d'Erwin Kostedde au sein de l'équipe, on retiendra surtout... les comportements racistes des spectateurs, rappelle le magazine spécialisé FourFourTwo.
Durant ces années, les dirigeants du football allemand ne font rien pour chercher de nouveaux talents. Ni même encourager les joueurs étrangers à s'affirmer dans leur championnat, rappelle le sociologue du sport Diethelm Blecking dans une interview au Spiegel : "le tout premier Turc dans un club de premier plan, c'était Coskun Tas, un international turc qui a joué à Cologne dans les années 1960. Dans les matchs décisifs, on ne le faisait pas jouer, même s'il avait été très bon la semaine précédente. Les dirigeants du club lui ont dit qu'ils s'attendaient à ce que le public le siffle. Des exclusions informelles de ce genre se sont produites pendant des décennies."
Un nazi au chevet de la Mannschaft
L'attitude des dirigeants de la fédération allemande n'a rien fait pour améliorer les choses. Dans une Deutsche Füssball Bund (DFB) jamais dénazifiée, les dirigeants ont conservé une proximité avec l'extrême-droite assez transparente près d'un demi-siècle après la guerre. En 1978, le président Hermann Neuberger invite en Argentine Hans-Ulrich Rudel, héros de la Luftwaffe, l'armée de l'air allemande, pendant la Seconde Guerre mondiale à prononcer un speech de motivation aux joueurs sélectionnés pour la Coupe du monde. Rudel avait ses entrées à la DFB depuis les années 1950. Neuberger s'est vigoureusement défendu, rappelle le Tagesspiegel : "Critiquer cette visite, c'est insulter tous les soldats allemands."
Encore en 2001, le président Gerhard Mayer-Vorfelder, politiquement proche de la droite dure, déplore après un match Bayern-Cottbus qu'il n'y avait "que deux Allemands de souche sur les 22 titulaires, ça veut dire que quelque chose ne va pas". Ce racisme se traduit aussi par une indifférence coupable quand la fédération turque installe un bureau à Berlin pour prospecter les talents nés en Allemagne. Six des 23 joueurs turcs qui emmèneront leur sélection en demi-finale du Mondial 2002 étaient nés en Allemagne. "On se disait qu'on avait assez de bons joueurs, et que si on en perdait un, on en trouverait un autre, reconnaît Theo Zwanziger, président de la fédération entre 2006 et 2012, dans Die Zeit. Beaucoup croyaient en la prédiction de Franz Beckenbauer, qui avait affirmé après le titre mondial de 1990 que l'Allemagne réunifiée serait "imbattable".
La réticence des Turcs d'Allemagne
Il faut alors attendre les piteuses éliminations de la Mannschaft au premier tour des Euros 2000 et 2004 pour que la question soit traitée sérieusement. C'est à cette époque que le Bundestag a élargi les critères pour devenir citoyen allemand. Plutôt que de rechercher des arrière-grands-mères allemandes chez des footballeurs de seconde zone, la DFB s'est attelée à faire émerger les talents chez les enfants d'immigrés. Non sans mal.
De nombreux Turcs d'Allemagne ont refusé de devenir allemands pour ne pas renoncer à leur passeport comme la loi l'exigeait dans les années 2000. Parmi les 2,7 millions de personnes d'origine turque vivant en Allemagne en 2011, 1,9 ont préféré rester turcs. Le premier d'entre eux à porter le maillot allemand, Mustafa Dogan, a été accueilli par une bordée de sifflets pour sa première sélection, un match contre... la Turquie, en 1999, rappelle Die Zeit. La nomination d'un commissaire à l'intégration au sein de la DFB - un homme politique étiqueté CDU, mais né en Turquie - pèsera moins que l'assouplissement progressif des critères pour devenir allemand (encore modifiés en 2014).
Cependant, malgré les réticences, l'équipe d'Allemagne se métisse sous l'impulsion de Jürgen Klinsmann, puis de Joachim Löw, l'actuel sélectionneur. Le pic est atteint en 2010, avec près de la moitié de l'équipe qui aurait pu jouer pour un autre pays.
L'exemple le plus incroyable, c'est l'attaquant brésilien Cacau, qui a débarqué en Allemagne au sein d'une troupe de danseurs de samba, avant de se faire repérer par un club local. Il grimpera les échelons jusqu'en Bundesliga puis deviendra allemand en passant des tests de connaissance de la culture locale. Il lui en reste un surnom, "Helmut", témoignage de sa bonne réponse quand on lui a demandé de citer des noms d'anciens chanceliers, raconte la Deutsche Welle.
"Les gens n'aimeraient pas avoir Boateng pour voisin"
Cette ouverture suscite des résistances. Dès 2006, le parti néo-nazi NPD protestait contre la sélection de Jürgen Klinsmann : "Blanc, ça n'est pas qu'une couleur de maillot ! Pour une équipe vraiment nationale." Avant l'Euro 2016, les islamophobes de Pegida avaient critiqué les emballages des chocolats Kinder avec les photos des joueurs de la Mannschaft enfants. Et le leader du parti populiste AFD avait lâché que "les gens n'aimeraient pas avoir Jérôme Boateng pour voisin".
Même Angela Merkel, prompte à s'afficher aux côtés des joueurs dans les vestiaires, a quand même déclaré en 2010 que le "multiculturalisme avait totalement échoué dans son pays". Des déclarations qui font écho au débat récurrent sur les joueurs qui ne chantent pas l'hymne national. Pendant le Deutschlandlied, Mesut Özil récite des versets du Coran. Le milieu, actuellement à Arsenal, avait dû se défendre dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung face à ses détracteurs qui l'accusaient d'être plus turc qu'allemand : "J'ai passé plus de temps en Espagne, avec le Real Madrid, qu'en Turquie. Est-ce que cela fait de mois un Hispano-Germano-Turc ? Pourquoi les gens ne s'arrêtent qu'à ça ?"
Un succès encore fragile
Le travail d'intégration n'est pas encore fini. Pour un Mesut Özil, qualifié par Joachim Löw de "cadeau pour le foot allemand", combien de joueurs d'origine étrangère passent encore à travers les mailles du filet ? Le recensement de 2013 a mis en évidence que 20% des Allemands avaient au moins un parent étranger, mais qu'ils n'étaient que 6% parmi les licenciés sportifs en Allemagne, indique le Goethe Institute. Et leur nombre est en baisse par rapport à l'étude précédente.
D'où la mise en avant des symboles d'intégration que sont Mesut Özil ou Sami Khedira. Et la diffusion de ce genre de publicités, soulignant le nouveau vivre-ensemble à l'allemande.
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