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Foot : comment le Brésil est devenu barbant

Qu'il paraît loin le temps du football samba, des arabesques de Garrincha et des dribbles de Pelé... Aujourd'hui, la sélection brésilienne est dirigée par un ancien milieu défensif qui ne jure que par la rigueur. Mais comment en est-on arrivé là ?

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un supporter brésilien réagit à sa manière à l'élimination du Brésil en demi-finale du Mondial (1-7 contre l'Allemagne), le 8 juillet 2014 à Belo Horizonte (Brésil). (LAURENCE GRIFFITHS / GETTY IMAGES )

Parler de foot brésilien, c'est comme parler de musique. Le terme "samba" arrive très vite dans la conversation. Le journaliste italien Thomas Mazzoni écrivait dès 1949 : "le football joué par les Anglais, même bien joué, fait penser à un orchestre symphonique. Celui des Brésiliens à un groupe de jazz en fusion." Cinquante-cinq ans plus tard, les choses ont bien changé. L'équipe du Brésil, prochain adversaire des Bleus au Stade de France, jeudi 26 mars, traîne désormais une réputation d'équipe défensive, ennuyeuse et sans folie. À tort ?

Le paradis perdu du "football poétique"

Le poste de sélectionneur du Brésil est-il le pire job du monde ? Chaque technicien installé sur le banc est comparé aux glorieux anciens, vainqueur avec brio des Coupes du monde 1958, 1962 et 1970, et avec moins de brio des éditions 1994 et 2002. L'équipe de 1970, qui jouait un football magnifique avec un Pelé au sommet de son art, est entrée dans la légende, par le biais du petit écran. Cette première Coupe du monde télévisée a marqué durablement une génération pour qui le beau jeu est forcément synonyme de Brésil. "Quand notre équipe nationale joue, nous avons le sentiment que l'identité de notre pays est exposée sur le terrain, estime l'anthropologue Luis Edoardo Soares dans le livre Football against the ennemyNos valeurs sont exposées à la face du monde." 

Pelé embrasse le gardien du Brésil Aldo (de dos) après la victoire brésilienne en finale du Mondial 1970, contre l'Italie (4-1), à Mexico (Mexique), le 21 juin 1970.  (GETTY IMAGES SPORTS CLASSIC)

Le mythique cinéaste italien Pier Paolo Pasolini a dit un jour que le Brésil jouait un "football poétique" en ouvrant de façon anarchique des espaces invisibles quand les autres équipes s'escrimaient à faire de la prose. Le mythe est durablement ancré : la star auriverde du début des années 1980, Socrates, a refusé un pont d'or venu d'Italie sous prétexte que dans son contrat figurait noir sur blanc l'interdiction de faire l'amour trois jours avant un match. Commentaire du quotidien Daily Express (cité dans Football against the ennemy) : "Maintenant, nous savons tous pourquoi le foot brésilien est un jeu fait de beauté et de passion, quand son homologue italien est triste à pleurer."

"C'est pour vous, bande de bâtards !"

Les grands anciens font tout pour préserver la légende du Brésil de la grande époque. A commencer par Pelé, qui dénigre systématiquement toutes les équipes du Brésil, de celle de 1990 "mauvaise" à celle de 2010 "bureaucratique". Toutes les équipes tout court d'ailleurs. "J'ai retrouvé un article où Pelé est interviewé au sujet de l'Euro 1984 [considéré par l'UEFA comme la meilleure édition du tournoi], confie Alexandre Seban, auteur du livre L'Histoire du Brésil au Mondial (De Boeck). Il soutenait que le football proposé lors de cette compétition était bien moins bon que le football pratiqué par le Brésil des années 1960-70. A son époque, le football n'était pas télévisé et les envoyés spéciaux des journaux en rajoutaient dans le lyrisme."

"La plus belle équipe de l'histoire du Brésil, c'était celle de 1982, mais elle n'a rien gagné", poursuit Alexandre Seban. Après une série de déconvenues, le Brésil se convertit au pressing et à la contre-attaque prisée par les équipes européennes au début des années 90. 

Dunga, capitaine du Brésil, pose au milieu de son équipe après la victoire en Coupe du monde, contre l'Italie, au Rose Bowl de Pasadena (Californie), le 17 juillet 1994.  (BILLY STICKLAND / GETTY IMAGES CLASSIC)

En 1994, la Seleçao remporte le tournoi au terme d'une finale insipide contre l'Italie, conclue aux tirs au but. En allant chercher le trophée dans la tribune d'honneur, le capitaine Dunga injurie copieusement les photographes : "C'est pour vous, bande de bâtards ! Qu'est-ce que vous dites, maintenant ? Allez, prenez la photo, tas de traîtres." Ce nouveau Brésil, méprisé au pays, gagne, mais ne séduit pas. Lors du Mondial 1990, la police italienne avait dû séparer joueurs et journalistes. En 1994, une émission satirique réalise un remake de l'assassinat de Kennedy avec le sélectionneur Parreira à la place du président américain. Ambiance.

Le Brésil joue à 11, et défend à 8

Le projet de jeu de la Seleçao ne fait rêver personne. "Défendre à huit plus le gardien, puis contre attaquer le plus rapidement possible, car la vitesse est la clé du jeu", reconnaît l'entraîneur Carlos Alberto Parreira. L'attaquant Romario se plaint dans la presse : "Le Brésil devrait commencer à jouer". C'est trop tard. Le football samba est en coma dépassé, mais l'avouer est hors de question au Brésil. L'image de marque du pays, basée en grande partie sur son équipe de football, demeure un vecteur commercial puissant. Comme lors de cette pub mémorable où les stars brésiliennes (Ronaldo, Roberto Carlos...) se lancent dans une partie au beau milieu d'un aéroport.

C'est avec une défense en béton armé que le Brésil décroche sa cinquième et dernière étoile, en 2002. Au grand désespoir de Mario Zagallo, légende du football brésilien, interviewé dans The Blizzard (en anglais) : "Culturellement, le football brésilien joue avec une défense à quatre, dont deux latéraux offensifs. En 2002, on est passé à une défense à cinq, et on a même gagné la Coupe du monde. Ça ne me plaît pas du tout. J'ai toujours dit que nous n'avions pas besoin de copier les autres. Celui qui copie avoue qu'il est en difficulté." 

Le sauveur s'appelle Simplet

A court d'idées, le foot brésilien ? C'est l'impression que donne la fédération qui rappelle continuellement des anciens sélectionneurs en priant pour que les recettes du passé fonctionnent de nouveau. Avec des résultats contrastés : Carlos Alberto Perreira, vainqueur du Mondial 1994, a échoué en quarts de finale du tournoi 2006, Luis Felipe Scolari a été humilié contre l'Allemagne en demi-finale en 2014 (1-7) et Dunga (celui qui insultait les journalistes quand il était joueur) s'est vu donner une deuxième chance après un Mondial 2010 laborieux. Johann Cruyff, l'esthète du football néerlandais, avait déclaré au sujet de son équipe : "Je ne paierai pas pour voir ce Brésil-là".

Le ministre des Sports de l'époque, Orlando Silva Junior, avait formulé d'une phrase dans le Financial Times la conversion de son pays au pragmatisme : "Au premier tour du Mondial 2006, les Argentins ont épaté les Européens [notamment grâce à une prestation extraordinaire contre la Serbie (6-0)]. Et à la fin, ils ont regardé à la télé une finale 100% européenne. N'attendez pas pareille erreur du Brésil."

Dunga a été rappelé faute de candidats. Pourtant, entre son départ de la sélection en 2010 et son retour, quatre ans plus tard, on ne peut pas dire qu'il ait brillé. Un limogeage express dans le championnat brésilien et des heures passées à boire du café en compagnie d'entraîneurs européens en guise de formation, relève Reuters. Faut-il s'étonner que son surnom, "Dunga", signifie "Simplet", du nom du moins futé des sept nains de Blanche Neige ? 

Une supportrice brésilienne réagit à la déroute de son équipe (1-7 contre l'Allemagne) en demi-finale du Mondial, à Brasilia, le 8 juillet 2014.  (REUTERS   )

Que peut vraiment faire Dunga, qui a reconnu ne pas disposer d'"un Pelé à tous les coins de rue", façon de dire que la génération actuelle n'est pas exceptionnelle ? Renforcer la discipline. Une des premières décisions du nouveau coach a été d'interdire les tongs, les écouteurs, les boucles d'oreilles et les casquettes, y compris pour la star Neymar, qui se retrouvait souvent avec les quatre. A noter aussi la consigne un rien infantilisante de ne pas sortir de table tant que tout le monde n'a pas fini. Pas sûr que cela suffise à enflammer les foules. 

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