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Foot : le Luxembourg, cet éternel perdant qui rêve de devenir le meilleur des "petits pays" européens

L'équipe nationale, qui a gagné un match tous les trois ans en moyenne depuis sa création, a appris à jouer au ballon et espère aujourd'hui se qualifier pour l'Euro 2020. Elle rencontre la Biélorussie à Minsk, ce vendredi, dans le cadre de la Ligue des nations.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Les joueurs du Luxembourg fêtent leur match nul contre la France en match qualificatif pour le Mondial, le 3 septembre 2017 à Toulouse. (FRANCK FIFE / AFP)

A 20h45, vendredi 12 octobre, alors que la Croatie vice-championne du monde défiera l'Angleterre, une autre équipe, bien plus bas dans l'échelle du football mondial, jouera le match le plus important de son histoire, celui qui lui permettra peut-être d'entrouvrir la porte de l'Euro 2020 : le Luxembourg se rend en Biélorussie, pour le match au sommet de son groupe de la Ligue des nations. Remporter sa poule, puis deux matchs à élimination directe, lui assurerait une qualification pour la première compétition internationale de son histoire. La route est encore longue, mais le simple fait qu'une participation à l'Euro soit envisageable est un petit miracle. Il y a peu, gagner un match était déjà un exploit mémorable pour l'équipe du Grand-Duché.

Rares sont les sélections dont la page Wikipédia comporte une liste de toutes leurs victoires. Pour la France, elle ferait 413 lignes. Le Luxembourg, lui, a gagné 34 matchs de football en cent dix ans d'histoire. Et encore, il y a eu une période relativement faste, au début du siècle. Mais entre 1951 et 2007, on compte 10 victoires en tout et pour tout, une tous les cinq ans et demi. Un bilan compréhensible pour un petit pays de 600 000 habitants, dont la moitié ne sont pas luxembourgeois, mais qui le classe parmi les toutes petites nations européennes, en compagnie d'Andorre, de Saint-Marin ou des îles Féroé. "En 2004, on a réussi à perdre deux fois contre le Liechtenstein", se souvient Christelle Diederich, journaliste sportive au quotidien luxembourgeois Tageblatt.

"Ce jour-là, on avait mis le bus devant le but"

Personne ne nie ce passé compliqué. "J'ai joué presque 50 matchs avant de gagner pour la première fois en équipe nationale", raconte Robby Langers, ancien buteur de Nice et de l'OM, qui fut l'une des plus grandes stars du foot local dans les années 1980-1990. "A l'époque, il n'y avait pas de matchs amicaux. On jouait beaucoup moins, et contre des équipes plus huppées", nuance-t-il. En face, le Luxembourg alignait une équipe très limitée : "On avait trois ou quatre joueurs professionnels qui avaient fait carrière à l'étranger, sinon ce n'étaient que des joueurs du cru, qui avaient un travail à côté." Les rares moments de gloire – "on a battu la République tchèque qui, six mois plus tard, était finaliste de l'Euro, on a failli faire match nul contre l'Allemagne championne du monde" – n'effacent pas les moments de galère.

Le Luxembourgeois Gerson Rodrigues tacle le Français Kingsley Coman lors d'un match des qualifications pour la Coupe du monde, le 3 septembre 2017 à Toulouse, terminé sur le score de 0-0. (FRED LANCELOT / REUTERS)

Mais tout cela a changé. Depuis juin 2017, le Luxembourg a gagné 7 des 13 matchs qu'il a disputés. Il a écrasé la Moldavie (4-0), décroché le scalp de l'Albanie et de la Hongrie, deux participants au dernier Euro, et même arraché un nul 0-0 contre la France, le 3 septembre 2017 à Toulouse, lors des qualifications pour le Mondial. "Il ne faut pas se mentir, ce jour-là, on avait mis le bus devant le but, s'amuse Paul Philipp, président de la fédération de foot luxembourgeoise. Les vrais progrès, on les voit quand on bat des équipes plus faibles, mais qui restent très au-dessus de nous." Soit exactement le profil de ses adversaires en Ligue des nations, où le Luxembourg est en tête de son groupe avec deux points d'avance sur la Biélorussie.

Apprendre à ne pas partir perdants

Et avec la victoire, les joueurs luxembourgeois se sont découverts un orgueil. "Dans le temps, on perdait 2-0 et on se disait : 'C'est un bon résultat, les gars', se souvient Paul Philipp, qui a lui-même été joueur dans les années 1970-1980, puis sélectionneur de l'équipe de 1995 à 2001. Aujourd'hui, nos joueurs veulent tout gagner, même parfois des matchs où ils ne peuvent pas l'emporter." Le capitaine de la sélection, Laurent Jans, a vu cette mentalité évoluer depuis ses débuts en 2012.

Quand on gagne un match, ce n'est plus la fête pendant trois jours comme avant. C'est normal, et on passe au match suivant.

Laurent Jans, capitaine de l'équipe de football du Luxembourg

à franceinfo

Cette métamorphose n'a pas eu lieu subitement en 2017. Elle a un acte fondateur : la création, en 2003 au Luxembourg, d'un centre de formation pour les jeunes aspirants footballeurs, à Mondercange. En France, ce genre de structure est une évidence, et tous les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 en possèdent un. Pas au Luxembourg, où le championnat est amateur. La fédération a donc tout centralisé. "C'est possible grâce aux petites distances au Luxembourg, explique Paul Philipp. Les joueurs sont sélectionnés entre 12 et 18 ans, ils s'entraînent chaque jour, on les reconduit chez eux tous les soirs, et le week-end, ils jouent pour leurs clubs respectifs."

Rien à voir avec l'époque de Robby Langers, où les jeunes talents ne s'entraînaient que trois fois par semaine et souffraient en arrivant dans les clubs étrangers. L'objectif de la fédération luxembourgeoise est justement d'envoyer au plus vite ses jeunes hors des frontières, dans des clubs professionnels.

Des joueurs en Ligue 2 et dans des clubs en Europe

Cette stratégie a fonctionné pour plusieurs joueurs. Parmi les jeunes cadres de la sélection d'aujourd'hui, on compte ainsi Vincent Thill et Chris Philipps, partis se former à Metz respectivement à l'âge de 12 et 13 ans, ou encore Christopher Martins Pereira, qui a fait ses classes à Lyon de 16 à 20 ans. Une des premières promotions de Mondercange a même produit une pépite du foot mondial : le meneur de jeu de la Juventus de Turin Miralem Pjanic, lui aussi parti très jeune se former à Metz. Jusqu'à l'âge de 18 ans, il faisait le bonheur des équipes nationales de jeunes du Luxembourg, avant de choisir de jouer pour son pays de naissance, la Bosnie-Herzégovine. "Il a participé à une Coupe du monde, il n'aurait sans doute pas eu cette chance avec nous", estime Paul Philipp.

Les bons résultats des Luxembourgeois ont attiré les recruteurs étrangers à Mondercange, et aussi devant les matchs du championnat local, où Laurent Jans avait été repéré par les Belges de Waasland-Beveren. "Cinq ans plus tôt, les recruteurs n'auraient peut-être pas été là", estime-t-il. Il faut dire que, là aussi, le niveau général s'est amélioré, et pas seulement grâce à la meilleure formation. "Il y a trois-quatre clubs où les joueurs ne sont pas tous pros, mais où ils peuvent toucher de grosses sommes", explique Roby Langers.

Le triple champion du Luxembourg en titre, le F91 Dudelange, a attiré d'anciens joueurs de clubs plus prestigieux, comme l'ex du PSG Milan Bisevac, grâce aux investissements de Flavio Becca. Cet homme d'affaires d'origine italienne, que Le Soir surnomme le "Bernard Tapie luxembourgeois", a aussi une écurie de moto, et a un temps financé l'équipe cycliste des frères Schleck. Son ancien partenaire en affaires, Gérard Lopez, est plus connu des Français, puisqu'il dirige désormais le club de Lille. Il présidait auparavant une équipe luxembourgeoise, le Fola Esch.

Gonzalo Higuain, attaquant du Milan AC, fait face aux amateurs luxembourgeois du F91 Dudelange en phase de poule de la Ligue Europa, dans un match remporté 1-0 par Milan à Luxembourg, le 20 septembre 2018. (ERIC VIDAL / REUTERS)

En mêlant de vieilles gloires étrangères et de prometteurs talent locaux, le F91 Dudelange est devenu cette année le premier club du pays à atteindre la phase de poules d'une compétition européenne, la Ligue Europa, éliminant les champions de Pologne et de Roumanie. Le club se retrouve désormais dans le groupe du mythique Milan AC. Et c'est un joueur de Dudelange, le jeune milieu offensif Danel Sinani, qui a été le héros de la victoire de l'équipe nationale du Luxembourg contre la Moldavie, au point que Robby Langers voit en lui "la future grande star de l'équipe nationale".

"On ne panique plus quand on a le ballon"

Les joueurs sont meilleurs, et le sélectionneur a désormais beaucoup plus de choix au moment de composer son équipe. Mais les progrès s'expliquent aussi par le travail de Luc Holtz, qui dirige la sélection depuis 2010. Il s'est vu confier une mission inédite : faire du Luxembourg une équipe attrayante, après des décennies d'un jeu rudimentaire. "Ça ne sert à rien de former un gamin pendant des années en lui apprenant à ouvrir le jeu, à monter en attaque, si c'est pour que, le jour où il arrive en sélection, il ne puisse plus traverser le milieu du terrain", estime l'ancien sélectionneur Paul Philipp.

Le Luxembourgeois Kevin Malget échappe au Grec Kostas Mitroglou lors d'un match amical remporté par le Luxembourg (1-0), le 13 novembre 2015 à Differdange. (SOPHIE KIP / AFP)

Aujourd'hui, plus question de laisser le ballon à l'adversaire : même les défenseurs sont désormais chargés de faire des passes et de démarrer des actions construites. "Au début, on a pris des buts sur des erreurs de relance, mais le coach nous encourageait à prendre des risques, se souvient Laurent Jans. C'est la manière qui était importante, plus que le résultat." Jusqu'à faire du Luxembourg une équipe capable de prendre le jeu à son compte lorsque ses adversaires sont à sa portée. "Maintenant, on ne panique plus quand on a le ballon", résume la journaliste Christelle Diederich.

"Le risque de prendre une claque existe toujours"

Pour les fans de foot luxembourgeois, un exemple à suivre vient forcément à l'esprit. L'Islande, peuplée de seulement 335 000 habitants, s'est qualifiée pour l'Euro 2016 puis le Mondial 2018, et certains de ses joueurs jouent de nos jours dans les meilleurs championnats.

Vous pensez bien qu'on nous a tiré les oreilles. 'Pourquoi vous ne faites pas comme l'Islande ?', on nous le disait 40 fois par jour.

Paul Philipp, président de la fédération de football du Luxembourg

à franceinfo

Paul Philipp s'est rendu dans la grande île de l'Atlantique Nord pour chercher l'inspiration. "La première chose que le président de la fédération là-bas m'a dit, c'est qu'en Islande, vous êtes sur une île, et que si vous voulez la quitter, c'est surtout par le sport que ça passe." Une mentalité qui n'est pas celle des jeunes Luxembourgeois. Dans leur pays, où le salaire moyen est le plus élevé de l'OCDE, "il faut déjà que les parents soient d'accord pour laisser leur fils partir en Russie plutôt que de rester travailler dans une banque", explique Paul Philipp. Le public du Grand-Duché est également loin d'égaler, pour l'instant, l'impressionnant mur bleu de supporters qui suit les Islandais dans le monde entier en faisant résonner son fameux "clapping". Espérer les mêmes résultats, "c'est mettre la barre un peu haut", estime Paul Philipp.

Lui met en garde contre l'excès de confiance : il voit toujours en la Biélorussie le favori du groupe, avant même de penser au tournoi final de la Ligue des nations. "Ce n'est pas toujours facile", déplore le président de la fédération, "de faire passer le message qu'avoir de tels résultats, ce n'est pas normal pour nous". Tout peut très vite se retourner. "Un mois après le nul contre la France, en 2017, on a pris 8 buts face à la Suède, rappelle Christelle Diederich. Le risque de prendre une claque existe toujours." A Minsk, vendredi soir, la jeune équipe luxembourgeoise espère éviter la claque et continuer son impressionnante série.

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